Liminaire
1– Quelle voix traverse ici le champ d’études en ses énoncés et l’oriente ? D’où ça parle, ça ?
2– Ici, je est un nous, véritablement.
3– De différence en différence, le chercher de la différence sexuelle met en œuvre les lieux des lectures et des écritures ci-après, contresignées au féminin au masculin, quatre à quatre.
4– Quatre à quatre, c’est le cas de le dire. Il y va de la vitesse, des degrés différentiels,
5– … de l’échelle des langues, chacune la montant la descendant la remontant, chacun en passant par le français et en même temps le passant,
6– … de l’éclair phrase et du lent cheminement des analytiques de la littérature,
7– … des mots qui font recel et passe : Genèses, Transvision, Apparitions, Transpiration des secrets. Toute cette cherchance…
8– Il y va de l’obstétrique de la littérature et de l’énoncé séminal d’un séminaire [1] : où il est question du lien structurel entre le crime dédié par l’enfant à maman et l’écrit. Parce que écrire aura toujours été le délicieux acte défendu. Défendu parce que délicieux ? Et tout aura commencé par une scène primitive où l’auteur à venir commet « le pire possible » en l’honneur de maman. Afin de l’attirer, elle, l’aimée, de la faire tomber ou alors de tomber pour elle, de l’aimer en tombant de mimer la passion encore lointaine par les chemins tortueux de la substitution. Premier acte : la chute. Pour Stendhal-Brulard, des baisers ronds roses frais cueillis à la gorge de sa mère. « Amoureux de ma mère (j’avais six ans) j’étais aussi criminel que possible. » Augustin, lui, c’est le larcin : le célèbre vol de poires sans lequel il n’y eût eu ni Les Confessions, ni La Cité de Dieu. Une logique génétique est inaugurée dans le verger algérien pour toute la durée de la littérature. Du même jardin naîtront Rousseau et Derrida. Pour Rousseau, des pommes enfermées dans une dépense qu’il cherche à pêcher par les fentes d’une jalousie. Derrida, une fois on le prend la main sur la grappe de raisin. Une autre fois, on le voit piquer des figues : c’est là entre grappe et figue qu’il invente la poétique des Différences Sexuelles. Pour Genet, c’est une grappe aussi mais postiche. Et pour tous c’est une affaire de mots volants. « Moi j’ai voulu voler, et j’ai volé sans que la misère m’y poussât… ce n’est pas de l’objet convoité par mon vol que je voulais jouir mais du vol même et du péché » disent-ils, tour à tour, les auteurs.
9– Second acte : c’est l’après-péché. Il s’agit du mystère de la honte comme désir, de la légende de la honte qui est du désir d’être vu, d’être remarqué, grondé, menacé – par maman (on remarquera que papa, grotesque, déguisé sous son bonnet de nuit n’est pas du tout intéressant). La honte comme vérité, la vérité comme honte, la sensualité cachée dans la honte. La chaîne des délits délicieux est solide et bien longue ; elle traverse les temps, ajoute et allie les événements. À l’aube le crime, à midi le châtiment, enfin au crépuscule – surtout-pas-l’aveu. L’aveu, je veux seulement l’évoquer, l’agiter, le garder au secret, mais non point l’effectuer. Sauf. Sauf à l’accomplir, bien plus tard et ardument sous le voile du récit. D’abord on vole un fruit, là-dessus on écrit. Par la suite du vol. Les livres sont les fruits du vol des fruits. Pour que ça marche, on doit être pris. Alors tout commence : le voilà dit criminel. Dicriminel. On répète inlassablement par écrit ce bref moment de gloire qui a ébloui maman d’étonnement ou de colère. Tous nos auteurs, ça leur plaît d’être coupables. Ce qu’ils veulent goûter, c’est le goût du châtiment. Il y a un rapport étroit entre le méfait et le fait d’écrire.
10Entre le texte de fiction d’Hélène Cixous à l’abord : L’Enregistrement de maman et l’essai critique à l’autre bord du livre de Mireille Calle-Gruber, La naissance du troisième corps, et après la réflexion philosophique-théorique d’Eberhard Gruber, Déconstruction de la Genèse. De la différence sexuelle, ce volume a retenu les textes de chercheurs, docteurs et doctorants en Études féminines à l’Université de Paris VIII, qui participent au séminaire hébergé par alliance et connivences au Collège international de philosophie depuis sa fondation. Cet ensemble se veut donc hommage au lieu qui reçoit la diversité de ses pas. Ces textes élaborent une dynamique des croisées textuelles : Claudia Simma, Points de rencontres à partir d’un livre de Clarice Lispector, et des principes processuels de l’écriture littéraire : Laurent Dubreuil, Les fruits symboliques, sur le « vol des poires » d’Augustin ; et non moins textes qui déplient des interprétations au lieu de la crypte des lettres et des phrases : Hervé Sanson, Escamotage(s) : un couple en ses épiphanies, une lecture de Jean Genet ; Françoise Coissard, Battre le fer. Jeu de la chaîne, Éric Prenowitz, Enfances du texte, sondant les parentés du texte cixousien.
11En recueillant ces travaux où les signataires croisent leurs différences, décuplent l’énergie du penser en projetant hors la langue maternelle un texte tout tissé d’autres, ce volume, au titre d’Obstétriques de la littérature, a voulu garder marque d’une inouïe internationalétude.
Notes
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[1]
Séminaire d’Hélène Cixous, D.E.A. d’Études féminines, Université de Paris VIII et Collège international de philosophie, 1999-2000 et 2000-2001.