Pour une recherche en danse : de l'accès aux sources aux développements de méthodologies spécifiques
À propos de la recherche en danse
1Bien que la danse ait suscité de tout temps une production écrite multiple et hétérogène – encyclopédies et traités, histoire de la danse et des ballets, « réflexions » sur la danse qui analysent son influence culturelle et sociale, biographies, notations... –, l’idée persiste qu’un antagonisme existe entre pratique et théorie de la danse, opposition qui serait consubstantielle à chacun de ces deux champs de savoirs. Ancrée dans une tradition orale, la transmission de la danse s’est toujours heurtée à la difficulté de mettre en mots ses pratiques bien que les danseurs en perçoivent l’enjeu à de multiples égards.
2Comment parler du corps et décrire le mouvement ? Quelles méthodes employer ? De nombreux systèmes de notation de la danse – près d’une centaine depuis le traité de Raoul Auger Feuillet publié en 1700 – ont successivement proposé des modes d’écriture du mouvement dont les signes et la syntaxe se sont transformés parallèlement aux conditions esthétiques dans lesquelles se jouait la production artistique. À l’origine, ils étaient conçus pour transcrire les chorégraphies, mais depuis le début du XXe siècle où l’évolution des médias a permis peu à peu de nouvelles captures du mouvement, leur premier objectif est devenu l’analyse du mouvement. La notation Laban – la plus emblématique de cette ambition –, le système Benesh et le système Conté sont actuellement les plus utilisés dans le monde. L’analyse qualitative labanienne et l’analyse fonctionnelle du mouvement dansé, récemment développée en France, viennent compléter les apports de ces principes notationels. Mais cet ensemble de méthodes n’est pas suffisant pour appréhender la multiplicité d’aspects que recouvrent la mobilité du corps humain et les codes gestuels impliqués dans un projet artistique ni pour comprendre la relativité des modes de représentation du corps et les philosophies dont ils relèvent. De fait, au cours de son histoire, la danse a entretenu des liens très étroits avec les autres arts et disciplines scientifiques. Relier l’étude de la pratique de la danse à celle d’autres pratiques de l’art s’avère nécessaire, et des approches transversales peuvent aisément être conduites en particulier avec les autres arts scéniques : histoire générale des spectacles, réception critique, étude des cadres de production… Cependant, l’utilisation de méthodologies similaires, si elle peut contribuer à alimenter la réflexion et à inspirer des démarches originales, ne couvre pas toutes les caractéristiques de la danse. Traiter des techniques de corps, des caractéristiques du mouvement, des styles et des syntaxes chorégraphiques nécessite des approches plurielles et requiert aussi les contributions d’autres disciplines scientifiques comme la philosophie, la psychanalyse et les sciences cognitives et des méthodologies spécifiques.
3La danse a toujours fait l’objet de réflexions théoriques, dont les objectifs oscillaient entre discours d’autolégitimation, contenus descriptifs de pratiques socialement déterminées et instrumentalisation de la discipline à des fins morales. Malgré cette profusion d’écrits, l’histoire de la danse en tant que discipline est relativement jeune en comparaison avec l’histoire des arts en général. Elle commence seulement depuis quelques décennies à identifier ses objets d’étude et à élaborer ses propres outils d’investigation. Un antagonisme oppose toujours un traitement historique visant à une analyse des modalités et du contexte dans lequel l’art chorégraphique et plus largement la danse se sont développés et un traitement esthétique, souvent nommé théorie ou science de la danse – l’étude de la danse comprise comme celle des œuvres, des processus, des pratiques et de la transmission grâce à l’apport croisé de différentes disciplines scientifiques et visant à développer une pensée singulière de cet art. La prise en compte, d’une part, de la mémoire inscrite dans les corps des danseurs, du mouvement lui-même et des structures chorégraphiques comme autant de sources possibles et le traitement, d’autre part, des sources écrites, iconographiques et audiovisuelles, voilà une autre bipolarité qui pourrait figer une opposition entre théorie et pratique, pensée et mouvement. Ces sources « écrites », tout comme celles qui sont « inscrites » dans le corps des artistes, ouvrent des espaces potentiels de recherches croisées, de possibles corpus à élaborer par les chercheurs et constituent des ressources immenses pour le développement d’une pensée théorique.
De la situation française de la recherche en danse
4Alors qu’aux États-Unis, la création chorégraphique bénéficie de très peu d’accompagnement de la part des pouvoirs publics – ce que compense partiellement le soutien des fondations privées – la recherche en danse, grâce à la place importante accordée à la danse dans les universités américaines et à l’exceptionnel réseau de grands centres d’archives et de bibliothèques, a une réelle vitalité tant par l’importance des domaines couverts, que par les disciplines et les champs d’étude concernés. L’activité chorégraphique, son histoire et ses pratiques sont régulièrement questionnées par des disciplines aussi diverses que l’esthétique, l’histoire, l’anthropologie, la philosophie ou la sociologie ou par une approche plurielle croisant ces différents champs de la recherche tels que la proposent les Cultural Studies, Gender Studies, Post-colonial Studies ou Performances Studies. Autant de travaux qui fournissent des apports méthodologiques considérables et font l’objet de publications, autorisant ainsi la circulation d’une pensée multiple, vivante et profuse.
5En France, au contraire, si l’État a accompagné depuis le début des années 1980 la création contemporaine de manière significative, et bien que, depuis trente ans, les arts soient entrés comme champs d’étude à l’université et dans les institutions dédiées à la recherche, aucune réelle politique et peu d’initiatives institutionnelles n’ont été conduites jusqu’à ce jour pour sauvegarder le patrimoine lié à la danse et soutenir le travail des chercheurs. Des départements universitaires ont cependant engagé un réel travail consacré à l’art chorégraphique. C’est le cas de l’université de Paris 8, UFR arts, philosophie, esthétique, créé en 1989 par Michel Bernard – qui propose un cursus d’étude partant de la licence en arts du spectacle, option danse, jusqu’à un doctorat en esthétique, sciences et technologies des arts, option études chorégraphiques – et celui de l’université de Nice avec la section danse du département des arts dans la faculté des lettres, arts et sciences humaines. L’université Blaise Pascal, UFR sciences et techniques des activités physiques et sportives à Clermont-Ferrand, propose, quant à elle, depuis peu un DESS en anthropologie de la danse.
6De nombreux chercheurs isolés luttent par ailleurs depuis une vingtaine d’années pour mener à bien leurs travaux sans réel soutien (malgré l’existence de quelques bourses) ni opportunité pour en diffuser les conclusions : peu de colloques scientifiques, peu de collections éditoriales susceptibles de les publier, pas de revue de recherche… Les artistes, chorégraphes, danseurs, pédagogues, manifestent cependant vivement aujourd’hui leur besoin d’interlocuteurs susceptibles de documenter, questionner et théoriser à partir de leurs pratiques et de leurs travaux. Ils appellent à la création de laboratoires, rencontres, résidences… qui rassemblent à la fois théoriciens et praticiens éloignant ainsi le risque d’une étude de la danse qui soit calibrée par les critères formels de l’université, sans réel dialogue avec les pratiques artistiques. De plus, l’enseignement de la danse en général réévalue aujourd’hui ses pratiques et cherche à transmettre aux danseurs les ressources fondatrices de leur art par l’étude des œuvres, des processus et des pratiques qui lui sont attachés.
7Cette ambition est nouvelle et se concrétise peu à peu dans les écoles par l’étude du répertoire, de la composition ou de l’improvisation parallèlement à l’approche de l’histoire de la danse. Enfin, cette attente de la part des artistes et des professionnels est accrue par la nécessité de construire ou de conforter une culture chorégraphique auprès d’un public curieux et désireux d’élargir et de diversifier une connaissance de la danse, souvent fragile ou élaborée à partir des figures mythiques qui balisent l’histoire de la danse et conditionnent bien souvent la perception des œuvres contemporaines. Culture chorégraphique sans laquelle aucun réel impact de l’art chorégraphique ne puisse être attendu.
Le Centre national de la danse : un acteur de la recherche
8La création du Centre national de la danse atteste la volonté du ministère de la Culture et de la Communication de prendre en compte ces nouveaux enjeux et de créer une structure visant à ce qu’une réelle synergie soit à l’œuvre entre les domaines de la création, de la pédagogie, du patrimoine et de la recherche. Les priorités du département du développement de la culture chorégraphique – l’un des quatre départements de cette institution – sont, entre autres, de contribuer à la constitution d’un patrimoine chorégraphique et à sa valorisation, et d’inciter, accompagner et soutenir la recherche théorique ou appliquée. Cet ensemble appelle la mise en place d’un projet cohérent qui passe par la création de dispositifs complémentaires et répondant à la complexité des attentes et des besoins inhérents à ce champ de la recherche.
9C’est à dessein qu’une vaste médiathèque spécialisée a été créée au sein de ce département, visant notamment à éviter la perte et la destruction de documents et à partir de laquelle nous nous proposons de soutenir les travaux universitaires, d’organiser des colloques et des expositions, de mener un important travail d’édition pour développer et diversifier les publications consacrées à la danse, et de faciliter ainsi à travers différents moyens l’accès aux œuvres chorégraphiques tout en leur donnant une plus grande lisibilité. Cette simultanéité et cette convergence des modes d’action, au service d’une ambition commune, reposent sur la conviction qu’à partir des sources elles-mêmes, divers « métiers » doivent être à l’œuvre conjointement pour que se mette en place une sorte de « cercle vertueux » contribuant à favoriser la connaissance et la recherche scientifique, et la formation des publics de demain.
10Notre projet consiste en effet à s’appuyer sur les sources recueillies ou produites volontairement pour développer une dynamique et un ensemble de ressources permettant de nourrir diverses approches. Il s’agit d’alimenter la production de travaux de recherches susceptibles de donner lieu à diffusion (à travers colloques, éditions ou expositions) et d’enrichir à leur tour les fonds documentaires, les savoirs et les acquis scientifiques dans le domaine. Cet effort, contribuant à nourrir les points de vue, devrait permettre enfin de développer une curiosité constante sans laquelle ne pourront pas s’élargir et se renouveler les publics de la danse.
Quelles sources ?
11Indéniablement, les sources documentaires ouvrent des espaces potentiels de recherches et fournissent, parallèlement à la mémoire des corps, la matière de corpus précieux pour la recherche scientifique et pour le développement d’une pensée théorique. Cependant, dans les ensembles documentaires actuellement disponibles dominent les sources iconographiques, images fixes et animées produites par la photographie et la vidéo. Outre qu’on connaît et diffuse souvent les mêmes images, contribuant ainsi à ne laisser voir qu’une iconographie redondante ou établie aux seules fins de promotion de spectacles, on a, en matière d’images de danse, une trace en elle-même problématique. Que montre l’image fixe du mouvement, et que laisse percevoir de la « corporéité » de la danse un film qui aplatit nécessairement ce qui est donné à voir ? Enfin, ces traces – qui sont le plus souvent captées du point de vue de la salle et dans le temps de la représentation plutôt que durant le travail d’élaboration – tendent surtout, comme dans un processus de fossilisation, à tenir lieu de substitut d’un spectacle qui, lui, est dit « vivant ». Pourtant, ces images sont incontestablement les sources les plus demandées dans les bibliothèques spécialisées.
12Parallèlement, les chercheurs peuvent disposer d’autres types de documents qui informent sur les caractéristiques techniques des spectacles et sur leur scénographie, leurs décors, costumes, lumières, sons, etc. Ces sources permettent d’approcher l’œuvre dans sa dimension théâtrale, même si certains créateurs jugent qu’il ne peut s’agir ici que d’une trace arrêtée de l’œuvre. S’ajoutent à ces diverses sources les archives qui documentent non pas le travail à l’œuvre, dans sa dimension de performance ou dans ses caractéristiques formelles, mais ses circonstances ou son contexte. Cette matière-là n’est pas non plus négligeable : grâce aux programmes, documents administratifs des compagnies et des lieux de diffusion, affiches, statistiques de billetterie ou contrats des artistes, etc., d’autres types d’études peuvent voir le jour qui analyseront les conditions de création des œuvres, permettant de nourrir une histoire des spectacles comme des politiques publiques ou des systèmes de production et de consommation culturelles.
13Parmi ces différents corpus, dominent les traces et documents qui se rapportent à ce qui entoure les œuvres, leur contexte, leur promotion et leur diffusion, au détriment du processus de création et de production et de ce qui se joue et se rejoue en elles et dans le corps des danseurs. S’agissant d’un art « vivant », affaire de mouvements, de gestes et de corps (et ce, dès avant la représentation sur le plateau du théâtre), il semble primordial d’encourager le recueil de traces dans le temps même de l’activité des artistes, de conserver une forme de mémoire de leurs modes de création, de leurs intentions, discours et commentaires, bref de leur travail artistique, entre savoir, savoir-faire et « savoir-faire-faire ». Les sources documentaires ne tiendront jamais autant lieu de traces de l’œuvre ou de l’art chorégraphique que lorsqu’elles auront été produites au plus près de la création. Parallèlement à ces témoignages directs au cœur du travail de création, doivent aussi être favorisées d’autres démarches – comme la notation chorégraphique ou l’« analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé » – qui permettent, sinon de re-présenter à elles seules l’œuvre, du moins d’en rendre possible la lecture et la transmission. Ainsi, entre sources directes et indirectes, entre discours et empreintes dans les corps, entre mémoire fluctuante du vivant et documents inertes mais fixes, sans jamais confondre patrimoine documentaire ou archivistique et patrimoine chorégraphique, s’offrent diverses voies de collecte et de production de traces et de témoignages utiles qui tiendront lieu demain d’« aide-mémoire » et nourriront la recherche en danse.
La médiathèque
14C’est dans ce cadre que la médiathèque du Centre national de la danse a commencé à développer ses collections, qui comprennent déjà quelque 20.000 ouvrages de toute nature consacrés à l’art chorégraphique, aux pratiques de danse et aux disciplines proches, une importante collection de périodiques spécialisés (plus de 1000 titres vivants ou morts), un riche ensemble d’archives anciennes et contemporaines liées à des artistes et compagnies de danse (environ 4000 compagnies documentées, de nombreux lieux de diffusion – théâtres ou festivals – ou d’enseignement de la danse), un volume significatif d’images fixes et animées se rapportant aux œuvres et aux pratiques pédagogiques (1500 vidéos, environ 10000 photographies récentes ou anciennes), mais aussi des enregistrements sonores, des documents électroniques, des dossiers d’actualité, des manuscrits, des estampes, affiches et autres documents spéciaux. Les premiers ensembles documentaires constituant cette collection proviennent principalement du fonds « danse » auparavant proposé par la Cité de la musique (Paris), des fonds documentaires de l’ex-Théâtre contemporain de la danse et d’autres structures antérieures spécialisées en danse, et de donations de personnes privées, en premier lieu la très importante donation de Mme Gilberte Cournand.
15À partir de ce cœur déjà très riche, nous nous efforçons de développer nos acquisitions selon les objectifs suivants : compléter la collection d’ouvrages édités de façon à représenter l’ensemble des publications produites en France depuis le début du XXe siècle et l’ouvrir largement aux publications publiées dans d’autres langues et d’autres pays ; collecter le plus systématiquement possible des ensembles de photographies, affiches, archives et manuscrits d’artistes, documentant la création en danse depuis un siècle et rassembler systématiquement la « littérature grise » afférente à la danse pour la période contemporaine : programmes, dossiers de compagnies, documents promotionnels, etc., afin de compléter les lacunes éditoriales ; accueillir, notamment par le biais de donations, des fonds documentaires ou d’archives représentatifs de l’activité de structures, personnalités ou collectionneurs liés à la danse : ces documents rattachés à une personne ou à une activité, par-delà leur richesse intrinsèque, sont très précieux pour témoigner et rendre compte d’un regard singulier, d’une action au service de la danse ou d’un travail créatif ou intellectuel.
16Si ces missions sont bien sûr comparables à celles d’autres bibliothèques et centres de documentation spécialisés dans les arts du spectacle, s’y ajoutent dans notre cas la responsabilité d’informer tous les publics sur l’actualité de la vie chorégraphique en France, le développement de bases de données sur les artistes et les œuvres dans les différents registres esthétiques, le soutien à la création de fonds documentaires spécialisés au niveau national, la constitution et la proposition à de jeunes chercheurs de corpus de recherche, la captation audiovisuelle et la production d’archives spécifiques en liaison avec les activités propres au CND, dans le domaine de la transmission des connaissances, de la pédagogie ou du spectacle. Nos différentes ressources documentaires font et feront l’objet d’une description et d’une diffusion adaptées à nos différents publics, de même qu’on procédera au fil du temps à l’établissement d’inventaires spécifiques, à la valorisation scientifique des fonds d’archives particuliers et à la construction d’outils variés d’aide à la recherche. Un de nos impératifs principaux sera évidemment d’en assurer la conservation pour les générations à venir. Dans le même temps, il s’agira de les rendre largement accessibles au plus grand nombre : cela suppose qu’une collection « virtuelle » vienne-grâce aux techniques de numérisation et à l’utilisation des réseaux informatiques – compléter la collection originelle de la médiathèque. Ainsi préservation du patrimoine et diffusion des ressources seront deux objectifs satisfaits parallèlement. Par ailleurs, notre fonctionnement reposera sur une structuration des collections permettant la coexistence de trois modèles de bibliothèque en une seule « médiathèque » : bibliothèque patrimoniale et de recherche avec une collection permanente organisée scientifiquement, bibliothèque de consultation courante proposant une large partie des fonds en libre accès pour tous et bibliothèque de prêt grâce à l’acquisition de nombreux documents en deux exemplaires ou plus. Ainsi pourront être accueillis et pris en compte des publics très différents, depuis les chercheurs spécialisés et leurs demandes les plus pointues, jusqu’au large public des passionnés de danse et amateurs, en passant par les différents publics de professionnels et d’artistes de plus en plus soucieux d’interroger leur art et son histoire, et d’en construire une mémoire réconciliée avec la création vivante.
Ouvrir un espace de dialogue et de débat
17Aux fins de transmettre aux publics intéressés les résultats des travaux de recherche scientifique et d’ouvrir un espace de dialogue et de débat relatif à des problématiques peu ou insuffisamment thématisées, plusieurs colloques ont d’ores et déjà été organisés (notamment autour d’Oskar Schlemmer, des répertoires chorégraphiques ou de la figure du solo dans l’histoire de la danse). C’est ainsi qu’en octobre 2002, un grand colloque international a eu pour objet « Les pratiques, figures et mythes de la communauté en danse depuis le XXe siècle », sujet qui a été traité non seulement par des artistes, théoriciens et historiens de la danse, mais également par des théoriciens émanant d’autres champs de la pensée comme ceux de la philosophie ou de l’anthropologie. Cette thématique trouve aujourd’hui un prolongement dans la publication au sein de notre collection « recherches » d’un recueil d’essais théoriques intitulé : Être ensemble : figures de la communauté en danse depuis le XXe siècle.
18L’introduction, le développement et l’affirmation de l’enseignement et de la recherche en danse dans le cadre universitaire et dans différentes associations et institutions spécialisées ont récemment permis la définition, la mise en place et surtout le questionnement des outils et des fondements théoriques de la discipline. Ce constat nous a conduits à organiser en novembre 2003, en collaboration avec la section danse de l’université de Nice, un colloque consacré aux méthodologies de la recherche. Le but de ce colloque était de rassembler des chercheurs de provenances et d’orientations méthodologiques différentes et de les inviter à s’interroger sur la définition même de la recherche en danse, sur le processus de structuration de la discipline, sur les fondements théoriques des études et les outils choisis. L’objectif était également d’étudier les modalités en acte dans la construction d’un réseau de connexion entre les disciplines (interdisciplinarité, transdisciplinarité) et de réfléchir sur la danse (et ses discours) comme lieu de production des savoirs.
Mettre en place une politique éditoriale active
19Bien que la pratique et la création chorégraphique connaissent une réelle vitalité en France, le nombre de publications consacrées à la danse dans notre langue est demeuré jusqu’à présent peu important tant au regard des attentes exprimées qu’au vu des ressources disponibles et encore non exploitées à ce jour. Bien des ouvrages publiés ailleurs dans le monde ne sont pas traduits en langue française, de nombreux textes fondateurs ne sont plus accessibles que dans les grandes bibliothèques et les textes d’aujourd’hui restent rares. Pour tenter de combler ces lacunes, nous avons engagé une activité éditoriale active et complémentaire de celle des éditeurs privés. Nous éditons des ouvrages dans des domaines très spécifiques trop peu rentables économiquement pour concerner le marché de l’édition, nous soutenons des initiatives d’éditeurs ou d’autres institutions et les incitons à s’engager dans l’édition de collections consacrées à la danse.
20Les collections du Centre national de la danse se structurent autour de la pédagogie, du patrimoine, de la création et de la recherche. Les « Cahiers de la pédagogie » ont pour objectif d’accompagner la formation des danseurs et des professeurs de danse. Ils proposent des programmes d’enseignement, des méthodes pédagogiques et des approches théoriques concernant la transmission de la danse. Consacrée aux travaux des artistes et à leur trajectoire, la collection « Parcours d’artistes » a pour ambition, à travers des factures adaptées à chaque artiste, de proposer des ouvrages qui témoignent de démarches singulières. Les « Carnets de la documentation » et les catalogues visent à favoriser la circulation des ressources disponibles. Enfin, une collection intitulée « recherches » a vu le jour en 1999 et accueille chaque année des ouvrages (thèses, actes de colloque, essais, etc.), très attendus par la communauté scientifique et chorégraphique.
21D’autre part, grâce à une convention entre la Direction du livre et de la lecture, le Centre national du livre, la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles et le Centre national de la danse, des textes majeurs, non disponibles en langue française, font l’objet d’éditions critiques. Ces titres sont choisis dans une bibliographie établie par le département après consultation des différents prescripteurs ou diffuseurs en matière de culture chorégraphique et de personnalités de l’enseignement supérieur. Cette autre collection a pour titre « Nouvelle librairie de la danse ».
Engager des partenariats sur le plan scientifique
22Le Département du développement de la culture chorégraphique du CND et le Collège international de philosophie se sont associés pour proposer à un public diversifié – artistes, amateurs, chercheurs, aussi bien qu’étudiants – un séminaire de recherche initié par Véronique Fabbri « Théâtres du corps, une philosophie pour la danse ». L’idée directrice de ce programme pluriannuel est de faire valoir que les concepts philosophiques ne sont pas seulement des instruments d’analyse pour la danse et, inversement, que la danse n’est pas seulement un objet d’analyse pour la philosophie mais aussi une expérience qui inscrit en elle-même un mode de questionnement proche du questionnement philosophique.
23En 2002, un premier séminaire – « Le public, au singulier pluriel. Autour de l’œuvre de Jean-Luc Nancy » – a permis d’étudier les transformations du public et les notions de spectacle, de représentation, en relation avec les transformations de l’art et avec celles de l’espace public. L’objectif était de mettre en évidence l’historicité de ces notions, en partant des questions spécifiques que soulève l’art contemporain et plus particulièrement la danse contemporaine.
24« La danse et la musique, d’une lecture de Nietzsche à une analyse de la scène chorégraphique contemporaine » fut le thème central du second temps de ce séminaire. Cette réflexion était axée sur les rapports de la danse à la musique dans la danse moderne et contemporaine, laquelle en se développant comme un art à part entière a défini sa modernité propre, affirmé son autonomie par rapport à la musique, et développé une conception du rythme inédite, qui met l’accent sur sa physicalité et sa différence d’avec le rythme musical. Le séminaire de 2004 offrira la possibilité d’interroger les rapports de la danse et du cinéma, à partir d’une lecture de Gilles Deleuze.
25D’autres partenariats (avec le Mas de la danse ou le laboratoire « la présence et l’image » du département des arts du spectacle de l’université de Rennes 2) ont été et seront mis en œuvre dans l’avenir avec les institutions les plus présentes sur les terrains de recherche intéressant la danse. Ils permettront de conforter et d’approfondir les échanges et d’engager régulièrement des collaborations actives entre chercheurs et institutions dédiées à la recherche.
En conclusion
26Le projet du Centre national de la danse répond ainsi à la volonté de créer une structure permettant une réelle synergie entre les domaines de la création, de la pédagogie, du patrimoine et de la recherche. L’ensemble de ce programme est tout à la fois ambitieux pour une équipe qui ne compte qu’une quinzaine de personnes et très modeste en regard des besoins et de l’indispensable développement que la recherche en danse appelle.
27Nous en sommes conscients et espérons que d’autres initiatives verront le jour et viendront enrichir ces projets. Seule la convergence d’entreprises soutenues par une réelle politique adaptée à ce domaine-allocations de bourse de recherche, résidences de chercheurs, développement de cursus universitaires, création de laboratoires, nouvelles collections éditoriales de référence, aide à la constitution et à la valorisation de fonds documentaires spécialisés… – assurera en France, à l’instar des pays anglo-saxons, les conditions d’élaboration d’une pensée féconde à l’image de ce que, dans d’autres domaines intellectuels, notre pays a su produire. Sans attendre, il ne faut pas oublier de saluer ici le travail de nombreux chercheurs qui ont d’ores et déjà constitué les bases à partir desquelles la recherche en danse pourra, nous l’espérons, prospérer.