Procédure de rappel
1FRANÇOIS NOUDELMANN : Lors de la réalisation de l’œuvre « Procédure de rappel », tu as interrogé un certain nombre de directeurs de programme du Collège international de philosophie et maintenant c’est l’heure de renverser les rôles. Après l’artiste qui interroge les philosophes, c’est à mon tour de te demander quelle a été cette expérience parce que je crois que c’est intéressant pour nous, pour le Collège, d’avoir le regard d’un artiste, d’un artiste-chercheur, sur ses activités. D’abord, pourrais-tu rappeler ton projet, comment est venue cette idée, comment tu en as instauré le protocole ?
2YANN TOMA : Il fallait penser un projet artistique qui permettrait à chaque directeur de programme de réaliser un retour sur le Collège, mais un retour qui ne soit pas un retour nostalgique, ni même un retour commémoratif mais plutôt un retour dans quelque chose qui est toujours actif. Au lieu de proposer une œuvre qui soit une œuvre concrète, palpable, tangible (une installation, une photographie ou n’importe quoi d’autre) qui aurait été une figure symbolique illustrant ce que pourrait être le Collège, j’ai décidé de proposer un processus artistique basé sur une pratique plastique de l’entretien établie sur le long terme : une procédure de rappel artistique.
3F. NOUDELMANN : Les directeurs de programmes, ceux qui sont passés par le Collège depuis vingt ans, ont participé à cette entreprise. Ça a été en effet une véritable entreprise ! Tu leur as demandé à chacun de choisir un mot et ils ont commenté ce mot pendant environ une demie heure. Alors j’aimerais savoir comment cette démarche entrait dans ta propre pensée. Tu travailles, on le sait très bien, sur des questions de mémoire, de collection, de réactivation, d’archives. Est-ce que tu pourrais dire comment ce projet s’est construit aussi à partir d’une démarche qui, pour toi, est déjà très ancienne, très longue ?
4Y. TOMA : Je crois que le point de départ de ma réflexion sur « Procédure de rappel », c’est le processus des « Transmissions » : « Début de transmission » (2001), « Transmission Oberkampf » (2002), et « Transmission Pernon » (2002). Le principe était de proposer à chaque individu ayant fenêtre sur rue d’accepter d’accueillir chez lui un boîtier lumineux transmettant en continu un même programme de lumière-morse (code Scott) constitué de longues et de brèves. Ce programme n’était autre qu’un mot choisi par l’habitant lui-même. Ainsi, des centaines de mots furent simultanément émis de différents points lors de plusieurs occasions. Ces œuvres-processus, élaborées en milieu public, interrogeaient et déployaient une forme collective de transmission de la pensée de chacun. Elles restituaient au monde du sens et de la mémoire à travers un mode de communication a priori incompréhensible mais que tout le monde pouvait reconnaître malgré tout. Elles proposaient un transfert des idées de l’espace privé à l’espace public. Dans cette série d’œuvres, des familles entières diffusaient de leur fenêtres des mots en codes morses. C’était un processus qui avait demandé une mise en œuvre complexe et méthodique afin que tous puissent, la même nuit, engager leur mot. Chaque participant devenait de fait abonné de mon entreprise fictionnelle. Car, comme tu l’as fort justement relevé, je m’évertue à mettre en lumière une entreprise tentaculaire ayant pour vocation de produire et distribuer de l’énergie artistique : Ouest-Lumière.
5Appliquer une procédure artistique au Collège, au cas par cas, avec chacun des philosophes concernés par le processus artistique, cela avait un intérêt certain pour moi. On touchait ici non seulement les philosophes, mais on touchait aussi les êtres. Je voulais aller en profondeur dans ce qu’étaient les personnes. Je voulais faire découvrir aux autres ce qu’était un philosophe, que ce n’était pas forcément quelqu’un à mettre au-dessus de tout le monde, une pensée supérieure qui réfléchirait pour tout le monde, mais qu’il était aussi possible d’entrer en contact avec les philosophes, d’y avoir accès. J’avais, en tant qu’artiste, à effectuer un déplacement, élargir mon champ de réflexion, sortir des problématiques du monde de l’art contemporain ou y entrer autrement. Je pense que pour les gens qui allaient être en contact avec l’œuvre par la suite, être confronté au corps et à la parole in vivo de chacun des participants, qui plus est dans cet état d’esprit, c’était entrer dans un autre rapport à la philosophie.
6F. NOUDELMANN : Est-ce que tu peux rappeler concrètement comment cette entreprise s’est effectuée ? Comment les philosophes, en tout cas ceux qui sont passés par le Collège international de philosophie, car ce n’est pas une profession, se sont-ils comportés face au dispositif que tu avais mis en place ? Je rappelle que le protocole consistait à se tenir chacun sur une chaise pendant une demie heure devant une caméra, comme tu le fais en ce moment. Comment les philosophes ont-ils réagi par rapport à leur propre image ? Il y a, tu le sais, une défiance traditionnelle des philosophes vis-à-vis des images ! As-tu tiré quelque expérience de ce rapport-là?
7Y. TOMA : Je reviens sur ce que tu as dit. Si être philosophe ce n’est pas faire partie d’une profession, c’est plus peut-être se plonger dans un état tout comme être artiste pourrait être considéré également par le biais d’une immersion singulière dans une autre facette de la réalité. L’idée était de capter cet état. L’appareil d’enregistrement est une sorte de capteur, tout comme on pourrait capter aussi le souffle, le pouls, le cœur, les mot à travers les livres. Finalement on enregistre l’enveloppe charnelle qui s’exprime avec ses mots, mots qui ne sont pas forcement ceux que l’on retrouve dans les livres. Pour certains, il n’y avait aucune appréhension, ils étaient habitués à parler à France Culture, dans les conférences publiques. D’autres, peut-être plus soucieux de leur image, à certain moment même pudiques, ont été troublés par le processus de cadrage vidéo. Pour contrecarrer ce phénomène, j’ai du mettre en œuvre une préparation. Nous nous sommes à chaque fois parlé, présentés, nous avons même plaisanté, je leur ai fait visiter mon Abri anti-aérien. Pour certains même, très nerveux, j’ai été amené à servir des verres de vodka pour décontracter leur corps.
8F. NOUDELMANN : Est-ce que tu peux commenter le choix des mots ? Est-ce que tu as repéré des philosophes qui étaient plus portés à reprendre des concepts qu’ils utilisent dans leur propre pensée ou des philosophes qui se laissaient aller à un mot inédit et se livraient à une sorte d’imaginaire et de fiction ? Comment se sont passés ces différents entretiens ?
9Y. TOMA : J’ai en mémoire un philosophe qui est entré dans l’abri et qui a rempli son rôle avec une rigueur implacable. Il s’est assis, a parlé, ne m’a absolument pas laissé le loisir de poser une seule question. Puis il est reparti immédiatement et a disparu. Ça, c’est un type de visite très rare mais qui m’a marqué. J’ai eu aussi, par exemple, un autre type de visite. Le philosophe entrait et commençait à parler de son mot, puis, au fil de mes questions, les choses évoluaient, se déplaçaient et s’enrichissaient en prise directe avec la pensée de l’individu questionné. La relance, la façon dont je me positionnais en tant que partenaire de l’ombre, me permettait de tenir la tension nécessaire au bon déroulement de l’entretien. Je n’étais pas toujours parfait et il m’est arrivé à plusieurs reprises de poser des questions qui refermaient mon interlocuteur. J’aimais également fonctionner par coupure, en cassant le rythme trop maîtrisé de mon invité. J’arrivais de ce fait à atteindre la personne, à briser peut-être le masque.
10F. NOUDELMANN : Il y a eu des mots plutôt inattendus dans les dons de philosophes.
11Y. TOMA : Oui, en effet. Il y a eu des mots comme « ours », « funambule », « papillon », « dimanche de la vie », etc.
12F. NOUDELMANN : Et là tu as été surpris par ces propositions ?
13Y. TOMA : Jamais surpris, toujours saisi. Je ne pense pas que la nature du mot ait réellement influé sur le contenu. En revanche, il est un révélateur de la personnalité. Il y a, selon moi, trois grandes familles : ceux qui ont avancé un mot et l’ont décliné avec maîtrise, ceux qui ont apporté un mot avec quelques idées et qui l’ont laissé se déplacer, et puis ceux qui sont arrivés sans rien avoir préparé. Je me souviendrai toujours de ce philosophe qui est arrivé en ayant à l’esprit le dernier mot de la page du livre qu’il était en train de lire dans le métro avant d’arriver. J’ai trouvé que cela révélait un certain type de comportement par rapport à la pensée. La grande majorité était inscrite dans la seconde famille. Je crois finalement que le philosophe, le penseur, navigue constamment entre ces trois états. Il passe de la certitude à l’incertitude. Il ouvre le champ de sa pensée en se déplaçant sans cesse. Il affirme aussi sa position en se mettant à distance volontairement, par exemple en lisant lorsqu’il ne veut peut-être pas la travestir ou la trahir tout simplement.
14F. NOUDELMANN : Au regard de cette exigence plus ou moins forte de maîtrise chez les philosophes, comment se sont-ils comportés par rapport à une démarche d’artiste comme la tienne, c’est-à-dire est-ce que certains sont venus en pensant que c’était simplement une interview sur eux-mêmes ou sur leur pensée ou d’autres ont-ils joués le jeu de l’œuvre, c’est à dire sont entrés dans un projet qui est le tien et qui n’est pas une collection d’entretiens mais qui est justement de provoquer une sorte d’installation, de présentation à la fois globale et divisée de tous ces mots ? Comment s’est construit le rapport à ton propre projet ?
15Y. TOMA : Je pense que ce rapport-là était très difficile à saisir pour chacun des participants…
16F. NOUDELMANN : … parce que, toi, tu proposais un protocole, tu avais la règle générale. Tout le monde ne l’avait pas peut-être pas ?
17Y. TOMA : J’avais un regard pratiquement panoramique, [rires]
18F. NOUDELMANN : … tu étais le Dieu de Leibniz… [rires]
19Y. TOMA : …j’étais dans mon avion et je réalisais les photographies aériennes de la chose collective, [rires]… C’est sûr que c’était difficile pour certains participants d’appréhender la totalité…
20F. NOUDELMANN : …d’entrer en expression avec l’œuvre ?
21Y. TOMA : Je pense que chacun comprenait que les autres le faisaient. D’ailleurs personne ne l’aurait fait si il n’y avait pas eu ce sentiment d’engagement collectif à long terme et ce partage sous-jacent. Il y a une phase préalable sur laquelle je souhaiterais revenir brièvement : c’est la procédure d’appels téléphoniques qui est une procédure extrêmement fatigante, elle consistait à prendre contact avec chacun des anciens directeurs de programme. C’était une phase extrêmement fatigante et qui demandait, au cas par cas, un effort de diplomatie et d’écoute intense de l’autre. D’ailleurs, pour me motiver, j’avais pris la décision tout de suite de me filmer lorsque j’appelais, tout cela pour être dans le bain du processus. Cela durait des heures et des heures. Je devais incarner l’artiste et en même temps être responsable de quelque chose d’important pour le Collège. Il ne fallait pas que j’apparaisse comme un « amateur » aux yeux de quelques-uns. Il ne fallait pas être hésitant, ni même approximatif au téléphone si je voulais avoir la chance de recevoir mon hôte. Il fallait convaincre du bien fondé de l’œuvre et de la pertinence d’un travail qui n’avait que comme seul objectif de dresser un portrait général et informel du Collège.
22F. NOUDELMANN : Il faut quand même signaler que tu as essuyé quelques refus !
23Y. TOMA : Oui, tout à fait ! Certains de ces refus étaient dus à des problèmes personnels avec le Collège, des philosophes qui étaient fâchés avec lui. D’autres avançaient une impossibilité de se déplacer, soit pour des problèmes de santé soit pour des problèmes familiaux. D’autres encore avançaient des questions théoriques, ce que je respecte. Je n’ai pas insisté. J’ai été néanmoins un peu choqué par la réaction de l’un d’entre eux qui considéra ma démarche comme de « l’art à l’état gazeux » et qu’il n’avait pas à cautionner, en quelque sorte, un processus où il serait « blousé »…
24F. NOUDELMANN : … ou qui lui donnerait des vapeurs ? [rires]
25Y. TOMA : …oui, ou des gaz, je ne sais pas. [rires] Globalement, tout le monde était au fait du projet. Au fil de mon lent travail, je me suis rendu compte qu’il y avait des liens très forts entre les membres du Collège, qu’il y avait des familles et que, dès que l’ont faisait passer un message à quelqu’un, il était aussitôt transmis et circulait entre un réseau d’amis. D’ailleurs, des philosophes ont tellement joué le jeu qu’ils m’ont permis d’avoir accès à d’autres de leurs amis et donc d’étendre le nombre des entretiens. J’ai acquis, au sein du Collège, au fil de ma démarche, des complicités incroyables. J’ai réussi ainsi, grâce à elles, à avancer plus vite sur certains terrains.
26F. NOUDELMANN : Je reviens au rapport de la philosophie et de l’art. Au Collège, effectivement la relation est longue, elle est ancienne mais, jusqu’à présent, elle s’est faite avec des artistes que l’on peut considérer comme modernes ou contemporains restés dans le système de la peinture. Là, en fait, avec cette procédure de rappel, un certain nombre de philosophes sont en contact d’un art beaucoup plus contemporain que celui auquel ils restent attachés qui était plus celui, peut-être, des années 80. Est-ce que tu as senti des interrogations ? Est-ce que, aussi, tu as eu affaire à des philosophes parlant de l’art, et j’aimerais bien, c’est une question qui m’intéresse aussi, avoir le jugement et le regard d’un artiste face à des philosophes qui ont la prétention, l’ambition, de savoir ce qu’est l’art ou d’en parler ? Est-ce que tu as eu affaire, soit par des mots, soit par des discours, soit par des regards ou des attitudes, à des philosophes qui avaient une certaine idée de l’art et qui était mise en jeu, ou en cause, par ton propre travail ?
27Y. TOMA : Oui, cela entraînait des interrogations justifiées, quelques philosophes ont même considéré jusqu’à la fin qu’il s’agissait uniquement d’une interview. Ils ne comprenaient pas que ça puisse être un processus artistique. D’autres ont saisi immédiatement que c’était un espace de captation qui menait à autre chose que ce qu’on était en train de faire. Filmer quelqu’un parler devant une caméra, c’est une chose. On en a l’exemple à la télévision. On voit des gens s’exprimer, toujours dans des bonnes conditions techniques. Mais la mise en présence simultanée de plusieurs philosophes dans un même lieu, cet espèce de rapport où tout le monde se retrouve réuni en un partage singulier au même instant, c’est pour moi une posture empreinte assurément de plasticité. Je pense que les personnes qui n’ont pas considéré que c’était une œuvre lorsqu’elles sont venues ici, dans cet abri, et qui croyaient finalement qu’il s’agissait d’alimenter une sorte d’« université de tous les savoirs » philosophiques, ont pu constater, lorsqu’elles sont allées in situ à la rencontre de l’installation à la Bibliothèque Nationale de France, que c’était un processus artistique qui amenait à une concrétisation plastique, une révélation autre de leur intervention. Mon souhait était, avant tout, que le public puisse passer à travers des corps en prise directe avec leur pensée philosophique, que cela puisse acquérir autant une dimension enrichissante pour les philosophes que pour le public présent à la Bibliothèque. Il s’agissait pour le public de se plonger dans un environnement.
28F. NOUDELMANN : C’est une difficulté d’ailleurs à laquelle le public était confronté. À la fois il pouvait avoir envie de découvrir le mot et la pensée de tel ou tel chercheur mais, en même temps, il avait affaire à une présentation visuelle et là, évidemment, il y avait une accommodation à effectuer entre une attitude qui consiste à aller vers untel ou untel, aller vers une tête connue ou bien un mot intéressant et puis appréhender la circulation, c’est à dire la mise en communauté, la mise en connexion de tous ces mots. Je crois qu’il y a quand même aussi différentes attitudes possibles face à ta démarche où on est amené dans un processus de circulation et non pas dans une appréhension simplement globale, plastique et visuelle, ou bien dans une focalisation sur une écoute d’un discours. Ce qui est en jeu ici tient à une circulation aléatoire, motivée non seulement par les membres qui ont participé mais aussi par le public et son attitude. Est-ce que de ce point de vue là d’ailleurs tu as constaté, parce que je sais que tu as pris les vidéos surveillance de cette période ou bien que tu as observé de visu le comportement des passants à la Bibliothèque Nationale de France, des circulations particulières ?
29Y. TOMA : Oui. J’ai même filmé des gens en train de consulter les différents écrans proposés. Ce qui est intéressant c’est qu’ils étaient non seulement attirés par les mots, peut-être même aussi certains par les personnalités en tant que telles. Il me semble néanmoins que les gens étaient surtout attirés par ce qui se dégageait de l’image en mouvement. Donc le travail de la pensée, en mouvement, qui était effectué par chacun des philosophes. J’ai trouvé quelque chose de très intéressant à ce sujet chez Hannah Arendt. Dans la « condition de l’homme moderne », elle dit que « l’histoire racontée est le résultat de l’action ». Cette phrase m’amène à réfléchir au rapport du philosophe en tant qu’acteur mais aussi en tant que témoin. Il se confie dans la vidéo et à un instant précis, il va confier une part de lui-même qui n’apparaît pas habituellement dans sa pensée philosophique. Donc, ce qui a attiré le plus les personnes qui ont visité l’exposition, c’était ce qui se dégageait de l’intériorité de chacun des corps des participants. Il y a un moment où se produisait chez le spectateur une rencontre entre la pensée et le corps, un moment où le corps épousait les mots et devenait juste par rapport à ce qui se produisait à l’intérieur. Rien que pour ça, rien que pour vivre ce moment là et en être témoin, je crois que c’était intéressant de faire cette expérience car elle semblait révéler différemment le philosophe et permettait aux gens de porter un regard inédit sur la philosophie. Le mot devenait un stimulus, au sens nerveux du terme.
30F. NOUDELMANN : Pour terminer, j’aimerais savoir, du fait que l’approche de certains philosophes sur l’art s’est parfois trouvée interloquée par là procédure de rappel que tu as orchestrée, si ton regard sur la philosophie ou les philosophes a aussi été modifié par cette démarche artistique ?
31Y. TOMA : En effet, je pense que mon regard a évolué au fil du processus. Il n’a pas été modifié complètement car je connaissais le contact des philosophes (j’ai été très proche dans le passé de certains d’entre eux). Le vécu de cette œuvre, c’est surtout le plaisir d’avoir partagé avec certaines personnes, surtout ceux qui ont pris le temps de discuter et de partager des moments sympathiques, de simplement prendre le temps de se rencontrer. On n’a jamais assez le temps de se rencontrer. Pour moi, souterrainement, ça alimente le croisement des expériences et ça nourrit mon travail artistique. Humainement, cela me transmet tout simplement une énergie pour pouvoir continuer de créer. Peut-être cela a-t-il été de même chez certains de mes invités philosophes ?
32Yann Toma, vit et travaille à Paris. En récupérant des éléments d’archives de l’ancienne compagnie d’électricité Ouest-Lumière au début des années 90, Yann Toma s’est approprié un réseau symbolique, une infrastructure usinière dont il a fait son territoire de recherche et la matière même de son activité. Si différents champs d’opération reflètent aujourd’hui les manifestations de Ouest-Lumière, il s’agit avant tout d’un réseau immatériel que l’artiste a constitué patiemment, un réseau de résistance souterraine reposant sur la notion de mémoire. La reprise ainsi que la réactivation artistique de l’entreprise s’inscrit dans un mouvement global épousant les notions de gratuité et de responsabilité. L’artiste, autoproclamé ironiquement président à vie, est à la tête d’un réseau composé de plusieurs milliers de personnes. Son système artistique se compose de services et de sous-services : tout un processus aboutissant inévitablement à un centralisme dirigiste, processus calqué de manière parodique sur le fonctionnement de l’entreprise d’aujourd’hui. Toutefois, l’entreprise Ouest-Lumière, inscrite sur une trajectoire artistique, produit essentiellement du rêve, du sens et de l’énergie symbolique. L’œuvre « Procédure de rappel » s’inscrit dans le cadre des abonnements collectifs que l’artiste déploie depuis plusieurs années.
Notes
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[1]
L’Abri est le lieu où le processus de travail de « Procédure de rappel » s’est effectué. Chaque directeur de programme du Collège s’y est rendu pour y vivre un entretien avec l’artiste.