La philosophie au risque de l'autobiographie
1Le partage entre écriture philosophique et écriture littéraire, entre écriture romanesque et écriture biographique, entre écriture de soi et écriture de l’autre, entre écriture et oralité, Sartre n’a cessé de l’affirmer, d’en poser l’équation, d’en préciser les limites et les conditions, d’en indiquer le sens. Non sans contradictions plus ou moins flagrantes, plus ou moins conscientes. La chose a été remarquée quelquefois, et (plus rarement) commentée.
2La thèse sartrienne sur le sujet est bien connue : alors que l’écriture littéraire est « en style », essayant « de donner à chaque phrase des sens multiples et superposés », l’écriture philosophique est « sans style » car « en philosophie, chaque phrase ne doit avoir qu’un sens » [1]. On cite moins souvent la proposition contraire, que Sartre a pourtant plusieurs fois formulée : « Il ne faut pas oublier qu’une phrase dans un essai critique, et même en philosophie – surtout en philosophie d’ailleurs – a plusieurs sens, dont certains objectifs, et qui échappent [2]. »
3Le partage, largement admis, ne va pas pourtant sans quelques flottements. Selon les bibliothèques, on trouvera L’Idiot de la famille au rayon « Philosophie » (le livre a paru dans « La Bibliothèque de philosophie », chez Gallimard, et l’auteur le donne en effet comme « la suite de Questions de méthode », qui ouvre Critique de la Raison dialectique) ou au rayon « Littérature » (après tout, c’est une étude sur Flaubert…) La remarque serait de peu de conséquence si Sartre lui-même ne désignait L’Idiot (en même temps d’ailleurs que le Saint Genet) comme le type de l’ouvrage qu’il a toute sa vie voulu écrire : « Il y a eu deux œuvres de philosophie pure : L’Être et le Néant et Critique de la raison dialectique, mais c’est un peu en dehors de ce que j’aime faire. Le Saint Genet et L’Idiot de la famille me paraissent tout à fait représenter ce que j’ai cherché : c’est l’événement qui doit être écrit littérairement et qui, en même temps, doit donner un sens philosophique. La totalité de mon œuvre, ce sera ça : une œuvre littéraire qui a un sens philosophique [3]. »
4Cette hésitation renvoie à la contradiction, apparemment seulement technique, que je relevais pour commencer – contradiction que je crois inhérente à l’œuvre de Sartre, mais dont les implications sont virtuellement infinies. Je voudrais essayer de donner sens et statut à cette hésitation, et faire travailler la contradiction à laquelle elle conduit presque fatalement, en posant la question de l’écriture autobiographique chez Sartre. Car l’implication autobiographique, ou son soupçon, est précisément ce qui tout à la fois menace et motive les distinctions sartriennes. L’autobiographie est peut-être même le point aveugle et sourd de ces antithèses fermes et obstinées, dissymétriques et décidées.
5Les quelques propositions que je veux hasarder, Sartre n’est pas allé jusqu’à les formuler, mais son œuvre, je le crois, ne les interdit pas ; il me semble même que l’un des enjeux importants de son œuvre aujourd’hui serait à chercher dans ces parages. Parmi les déclarations contradictoires de Sartre sur le thème, il me semble en effet que celles qui confessent la conjonction, l’entremêlement indiscernables ont aujourd’hui bien plus de vraisemblance que les autres. Ce qui ne peut se soutenir que si l’on donne un statut théorique raisonné à la dénégation, à laquelle il faudrait donc reconnaître une visée également poétique. Ce parti pris ne se justifie pas seulement, je crois, par le consensus quasi unanime de la critique sartrienne sur ce point (les biographies sont presque universellement perçues comme des autobiographies indirectes, ou déguisées), mais par la simple constatation que le biographique occupe dans cette œuvre un volume considérable, et que l’autobiographique, qui le varie, a fait l’objet de déclarations, de projets, de réalisations innombrables, surtout dans les dernières années. Jouer Sartre contre Sartre, comme y invite le titre du présent numéro, c’est donc, à la lettre et à la fois, s’opposer à Sartre lui-même, mais c’est aussi le faire en son nom. Contre Sartre et au nom de Sartre, j’examinerai donc cette hypothèse : seule la veine biographique de l’œuvre est susceptible de rendre compte de la disjonction, et sinon de l’apaiser, du moins de l’édulcorer.
6Un contre-pied aussi manifeste, d’ailleurs aussi décidé, doit d’abord s’expliquer sur la pratique du détournement, voire de la trahison. Si la pratique d’une lecture impliquée, partisane, annexante ne pose (plus) guère de problèmes théoriques lorsque le texte lu est « littéraire », la chose ne va certes pas de soi lorsqu’il est « philosophique ». Sartre lui-même, dans l’un des nombreux endroits où il cherche à distinguer dans l’indémêlable (« littérature et philosophie mêlées », disait Hugo), affirme l’unicité et la permanence de l’énoncé philosophique : « De façon générale, il est toujours plus difficile d’écrire, mettons quatre phrases en une, qu’une seule en une seule comme en philosophie. Une phrase comme Je pense, donc je suis peut avoir des conséquences infinies dans toutes les directions, mais, en tant que phrase, elle a le sens que Descartes lui a donné [4]. » Ce n’est pas trahir Sartre que soutenir la proposition contraire, qui pour être autrement sartrienne n’en est pas moins certainement sartrienne : « Il y a une lie infinie du texte, dit-il encore, et nous pouvons en connaître certains aspects dans notre vie : si nous nous occupons d’une œuvre que nous avons écrite dix ou vingt ans plus tôt, quelque chose s’y découvre et paraît, que nous n’y avions pas mise, n’ayant pas compris qu’elle y était au temps que nous l’avons écrite, mais qui maintenant paraît son sens véritable [5]. »
7Merleau-Ponty avait avancé, pour justifier sa lecture de Husserl, quelques propositions exigeantes et rigoureuses ; il avait même forgé à cette occasion, sinon à cette fin, le concept d’« impensé », disant qu’il l’empruntait à Heidegger [6]. L’impensé de Husserl selon Merleau-Ponty n’est pas exactement l’implicite de Husserl ; il ne justifie pas non plus un détournement pur et simple ; le concept cherche plutôt à donner un statut philosophique – « épistémologique », sans doute, vaudrait mieux – à la pratique qui consiste à tirer des conséquences, même extrêmes, de propositions auxquelles l’histoire, auxquelles d’autres lectures, voire un simple coup d’œil étranger ont conféré un peu de relativité. « Quand Husserl termine sa vie, dit Merleau-Ponty, il y a un impensé de Husserl, qui est bel et bien à lui, et qui pourtant ouvre sur autre chose. Penser n’est pas posséder des objets de pensée, c’est circonscrire par eux un domaine à penser, que nous ne pensons donc pas encore. » C’est ainsi que peut se justifier une pratique de lecture qu’on dirait aussi bien « traître ». La trahison à laquelle je procède ici consiste en somme à soupçonner la contradiction, à la prendre au sérieux ; à chercher le commun dénominateur d’éléments réputés par Sartre sans commune mesure.
8La proposition essentielle – scandaleuse, en un sens – serait donc celle-ci : il n’y a pas lieu de distinguer fondamentalement entre écriture philosophique et écriture littéraire. Les conséquences d’un tel postulat affectent en premier lieu l’œuvre qui, le contestant, permet pourtant qu’il vienne à l’idée. Il voudrait en effet qu’on la relise en totalité, et qu’on tente non seulement d’apercevoir le « philosophique » dans le « littéraire » (dans La Nausée, dans les Mots, dans Huis clos), ce qui a été fait souvent, sans que Sartre d’ailleurs s’en plaigne ; mais aussi le « littéraire » dans le « philosophique » (dans L’Être et le Néant, dans Questions de méthode, etc.), ce que Sartre a parfois, mais plus rarement, esquissé ou laissé esquisser.
9Ce postulat demanderait aussi, si on voulait le mettre à l’épreuve, qu’on lise de près les textes qui, contestant sa vraisemblance, ne laissent pas de l’asseoir quelque peu : Saint Genet, donc, L’Idiot de la famille ; mais aussi Baudelaire qui, considéré du point de vue que je veux esquisser, pourrait presque être lu comme l’un des chapitres de cette fameuse suite des Mots, longtemps promise et finalement jamais écrite. C’est dans le Baudelaire en effet, et seulement là, qu’on apprend quelle réaction au remariage de la mère bien-aimée peut inventer un adolescent que son enfance a conduit, comme fatalement, vers la littérature.
10Textes hybrides et ambigus, que Sartre range tantôt dans ses œuvres philosophiques, tantôt dans ses œuvres littéraires ; qui lui permettent, plutôt, de plaider pour une abolition, au moins un accommodement de la frontière, par trop rigide et marquée, bien arbitraire pour tout dire, qui sépare la littérature de la philosophie : « Tout ce que j’ai écrit, dit-il par exemple, et entre autres, est à la fois philosophie et littérature, non pas juxtaposées, mais chaque élément donné est à la fois littéraire et philosophique, aussi bien dans les romans que dans la critique [7]. »
11Des remarques comme celle-là permettraient de reformuler ma proposition hasardeuse – périlleuse – qui deviendrait donc : dans l’œuvre de Sartre, la distinction entre littérature et philosophie est mise à mal par la pratique singulière d’une écriture obliquement, et obscurément, et obstinément, autobiographique. Une formulation extrême de cette formule extrême serait : l’entreprise philosophique n’est qu’une face de l’entreprise générale qui ne fait jamais fi de l’autobiographique. Ou, plus radicalement encore : chez Sartre, il n’y a d’écriture qu’autobiographique.
12À remarquer que si l’on disait « subjectif » au lieu d’« autobiographique », on trouverait sans doute dans ces années-là (les années 1940 et 1950) quelques formules harmoniques. Merleau-Ponty n’est jamais allé, certes, jusqu’à coordonner philosophie et autobiographie, jusqu’à les conjoindre, mais il a postulé qu’« une fois introduite en philosophie, la pensée du subjectif ne se laisse plus ignorer » ; que « la pensée du subjectif est un de ces solides que la philosophie devra digérer » [8]. Il est frappant de constater d’ailleurs que dans « La découverte de la subjectivité », il s’appuie précisément sur le Sartre de L’Être et le néant pour étayer sa thèse et rapporter, par exemple, la philosophie de Heidegger au goût subjectif de son auteur : « Le philosophe même qui aujourd’hui regrette Parménide et voudrait nous rendre nos rapports avec l’Être tels qu’ils ont été avant la conscience de soi doit justement à la conscience de soi son sens et son goût de l’ontologie primordiale. La subjectivité est une de ces pensées en deçà desquelles on ne revient pas, même et surtout si on les dépasse. » (Ibid.)
13Les conséquences du postulat de départ – peut-être pas si fracassant finalement – ne concerneraient donc pas le seul Sartre. On prétendrait sans mal d’ailleurs, au nom même de la thèse sartrienne bien connue selon laquelle tout homme est un universel singulier, que la vérité découverte à propos de tel individu – ou sous son prétexte – vaudrait également pour tout un chacun : pour Baudelaire, pour Genet, pour Tintoret, pour Mallarmé, mais aussi – et pourquoi pas ? – pour Augustin, pour Derrida, pour Descartes, pour Nietzsche, pour Valéry. L’intuition de Sartre serait alors que l’écriture de la philosophie ne relève pas d’un processus fondamentalement différent de celui qui régit aussi l’écriture des romans, du théâtre – ou de l’autobiographie ; que le concept d’universel singulier, dont il a tant usé, n’a peut-être même été forgé que pour rendre pensable cette postulation vive et double : d’un côté (le littéraire) ce qui relèverait du singulier ; de l’autre (philosophique), de l’universel. D’où l’attention indéfectible de Sartre à la généricité ; d’où sa revendication intermittente d’une indécision des frontières ; d’où peut-être aussi, et non loin de là (chez Merleau-Ponty), la place charnière assignée à la philosophie, précisément entre l’universel et le particulier : « La discordance des philosophies tient à ce que la subjectivité n’est pas chose ni substance, mais l’extrémité du particulier comme de l’universel, à ce qu’elle est Protée [9]. »
14Si Descartes est dans un bref développement que Sartre consacre à la question [10] l’exemple immanquable de l’écriture univoque, Stendhal est, lui, l’anti-Descartes. Le premier peut écrire : « Je pense, donc je suis » ; le second : « Tant qu’il put voir le clocher de Verrières, souvent Julien se retourna ». La première phrase n’a que « le sens que Descartes lui a donné » ; tandis que dans la seconde, « en disant simplement ce que son personnage fait, [Stendhal] nous donne ce que Julien sent, et en même temps ce que sent Mme de Rénal, etc. » Dans la même page Sartre essaie, sur ce modèle, d’opposer l’écriture des Mots, où il a, dit-il, « essayé de donner à chaque phrase des sens multiples et superposés », à celle de L’Être et le néant, ou de ses textes philosophiques en général, dont le langage « exclusivement technique » est censé garantir l’univocité.
15L’équation serait quelque chose comme : « Les Mots sont à L’Être et le néant ce que Stendhal est à Descartes » ; ou « ce que l’écriture littéraire est à l’écriture philosophique ». Mais les choses, on le sait bien, ne sont pas si simples. Non seulement parce que l’écriture philosophique n’est jamais garantie contre l’équivocité : celle de L’Être et le néant accueille, indûment mais fatalement, « des phrases d’ordre littéraire » [11] ; mais aussi parce que, symétriquement, la singularité que Les Mots cherchent à fixer dans un langage feuilleté se résout finalement en une universalité univoque et désenchantée ; ou, si l’on veut, parce que l’homme des Mots est « tout l’homme ». Et de fait Stendhal, l’homme des romans presque explicitement impliqués, est aussi l’homme de l’égotisme, de la dictée – d’une dictée qu’on imagine joyeuse et spontanée ; quant à Descartes, philosophe en première personne, il est épris de poésie autant que de certitudes [12], et cet éclectisme explique peut-être les dix-huit ans (1619-1637) qu’il mit pour trouver la formule poétique de son Discours. Stendhal, romancier assez peu laborieux, est à Descartes, philosophe narrateur, poéticien inquiet et scrupuleux, ce que Descartes est à Stendhal : son envers pas tout à fait symétrique, son infirmation vive et urgente. Mieux : Stendhal est à Descartes ce que Sartre est à Sartre.
16S’entretenant avec Michel Contat, Sartre déplore précisément la contrainte, à quoi le réduit sa quasi-cécité, de s’en remettre désormais à une sorte de pratique orale de l’écriture – pratique presque stendhalienne, en un sens, en tout cas volontiers, et même décidément autobiographique. S’il y a un impensé de Sartre en matière d’écriture, c’est dans ces parages, me semble-t-il, qu’il faut le chercher, le « tremblé » des références, leur indécision – sinon leur approximation –, la diversité des pratiques enfin, permettant la liaison en vue de laquelle elles sont convoquées.
17Le travail générique de Sartre (travail inquiet, inlassable, considérable, et dont les implications, je le crois, restent à évaluer) serait donc l’indice le moins douteux de l’impensable conjonction.
18Partons de La Nausée. Il ne s’agirait pas tant, dans la perspective qui est la mienne, de chercher à mesurer l’implication de la philosophie dans la trame romanesque que de mettre cette intrication avec une autre plus résolue, qui a les genres (leur frontière, leur nature, leur légitimité) pour matière et souci. Roquentin, il faut le rappeler, est un diariste : le genre qu’il pratique est apparenté à l’autobiographie ; son pronom d’usage est la première personne du singulier ; et son aventure, certes, est singulière. Sans qu’on puisse en déduire – tout est là, évidemment – que l’universel lui soit du tout indifférent ni étranger. Cette première personne, à la fois propos et obstacle, visée et entrave, est pour le philosophe Sartre le pronom de la plus grande – et sans doute de la plus préoccupante – ambiguïté. Le livre dans son ensemble retrace, à la première personne, le trajet de quelqu’un qui renonce à son projet initial de reconstituer la vie d’un personnage historique (le marquis de Rollebon), pour entreprendre un récit d’un autre genre : un roman. Or, si la biographie de Rollebon est impossible c’est précisément que la première personne la menace en chacun de ses lieux : « Ce sont des hypothèses honnêtes et qui rendent compte des faits, dit Roquentin à propos de ses reconstitutions historiques ; mais je sens bien qu’elles viennent de moi, qu’elles sont tout simplement une manière d’unifier mes connaissances […] J’ai l’impression de faire un travail de pure imagination. Encore suis-je bien sûr que des personnages de roman auraient l’air plus vrais [13]. »
19Si le roman au contraire est finalement souhaitable, ce n’est pas qu’il soit pur de toute implication subjective, c’est au contraire que le choix résolu de l’imaginaire est seul susceptible de réaliser une nouvelle configuration subjective, elle hautement désirée : « Mais il viendrait bien un moment où le livre serait écrit, serait derrière moi, et je pense qu’un peu de clarté tomberait sur mon passé. Alors peut-être que je pourrais, à travers lui, me rappeler ma vie sans répugnance […] Et j’arriverais – au passé, rien qu’au passé – à m’accepter [14]. »
20Ce qui sépare l’entreprise biographique de l’aventure romanesque, c’est l’acceptation de la visée autobiographique (« un peu de clarté tomberait sur mon passé… »), c’est l’espoir, grâce à cela, d’une coïncidence apaisée de soi avec soi (« et j’arriverais – au passé, rien qu’au passé – à m’accepter »).
21La biographie n’est pas recommandable car elle ne prospère que d’une implication subjective mal maîtrisée. Le roman lui est donc préférable, mais c’est à condition que sa visée soit indirectement autobiographique [15]. À quoi il faut évidemment ajouter que l’entreprise autobiographique proprement dite n’est justifiable en droit que si elle est elle-même romanesque : « Les Mots est une espèce de roman aussi, un roman auquel je crois, mais qui reste malgré tout un roman [16]. »
22La Nausée certes est un roman ; mais le livre a la forme d’un journal relatant par le menu une expérience existentielle singulière et une hésitation poétique de fond (biographie ou roman ?) Il est évidemment fondamental que le roman monnaie l’expérience existentielle traumatisante (la découverte de l’existence) en termes de poétique. Biographie et roman s’opposent (et s’excluent) en effet comme le « réel » et l’« imaginaire », ce qui existe (« Mon erreur, c’était de vouloir ressusciter M. de Rollebon [17] ») et ce qui n’existe pas (« Il faudrait qu’on devine, derrière les mots imprimés, derrière les pages, quelque chose qui n’existerait pas, qui serait au-dessus de l’existence [18]. ») Configuration absolument remarquable. Tous les ingrédients de l’entreprise sartrienne sont déjà présents, et déjà ordonnés, selon une hiérarchie qui, en gros, restera la même jusqu’à la fin. La présence intriquée du roman, de la biographie, de l’autobiographie, du discours philosophique est surplombée par le choix de l’imaginaire, seule réponse adéquate à la rencontre – vive et nauséeuse – de l’existence.
23Il n’est pas exagéré de dire que c’est cette équation, et non une autre, qui est mise en œuvre dans L’Être et le Néant, où les paramètres sont seulement distribués différemment. Ce que Roquentin relatait au jour le jour et qui était donc déployé selon une temporalité incarnée est ici exposé selon un ordre plus méthodique, plus rationnel si l’on veut – plus propre aussi à l’exposé spéculatif. La différence générique (là un roman, ici un essai [19]) est l’indice d’une hésitation, mieux : d’une indécision générique ; chaque livre de Sartre est comme une relance de cette hésitation fondamentale, l’espoir d’une formule enfin parfaite [20]. La Nausée, on l’a bien souvent noté, est un roman « philosophique » ; mais L’Être et le Néant, cela a été bien souvent dit aussi, comporte des exemples, des descriptions, des scènes, des personnages (le garçon de café ; mais aussi l’En-soi, le pour-soi, qui se comportent dans le livre comme de véritables personnages ; mais aussi Flaubert, qui est – déjà – l’objet d’un développement important). Les deux ouvrages se terminent d’ailleurs sur le projet, formulé par le narrateur, d’écrire un livre d’un type nouveau. « Une autre espèce de livre. Je ne sais pas très bien laquelle », disait Roquentin ; et le narrateur de L’Être et le Néant : « Cette psychanalyse [il s’agit de la psychanalyse existentielle, dont le livre tente de jeter les bases] n’a pas encore trouvé son Freud ; tout au plus peut-on en trouver le pressentiment dans certaines biographies particulièrement réussies. Nous espérons pouvoir tenter d’en donner ailleurs deux exemples, à propos de Flaubert et de Dostoïevsky. Mais il nous importe peu, ici, qu’elle existe : l’important pour nous c’est qu’elle soit possible [21]. »
24Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un retour au premier projet de Roquentin (une biographie type Rollebon), mais d’une confirmation de sa décision timide et précaire, douteuse et décidée (écrire un roman). Ce type de biographie idéale (« particulièrement réussie ») serait en effet une sorte de roman : « Un écrivain est toujours un homme qui a plus ou moins choisi l’imaginaire ; il lui faut une certaine dose de fiction. Pour ma part, je la trouve dans mon travail sur Flaubert, qu’on peut d’ailleurs considérer comme un roman. Je souhaite même que les gens disent que c’est un vrai roman [22].» L’aveu n’est pas seulement du caractère fictionnel de l’entreprise « biographique », il est aussi de la proximité du biographe avec son objet. Proximité si souvent confessée et si souvent déniée que cela vaut presque pour preuve [23].
25C’est une manière comme une autre de lire L’Être et le néant que d’en faire le premier jalon de cette entreprise, folle infiniment, dont L’Idiot de la famille est le monument inachevé. Et le livre de philosophie expose bien, finalement, le même rêve de réconciliation de soi avec soi, d’acceptation de soi, de coïncidence de soi avec soi qu’escomptait le roman. « S’accepter », c’était le rêve de Roquentin ; ce sera celui de Genet ; celui du narrateur des Mots, qui déteste son enfance [24] et finit par trouver avec l’enfant qu’il n’a pas cessé d’être une paix relative ; mais c’est aussi celui du pour-soi dans L’Être et le Néant : « Concrètement, chaque Pour-soi est manque d’une certaine coïncidence avec soi. Cela signifie qu’il est hanté par la présence de ce avec quoi il devrait coïncider pour être soi [25]. »
26Or, si Flaubert est un personnage de roman, pourquoi serait-il différent de Roquentin qui est et n’est pas son auteur [26] ? En quoi, même, différerait-il du pour-soi qui tient à l’En-soi par des liens forts, ébranlables difficilement – essentiels en fait, puisque ce sont ces liens qui me rattachent à ce que j’appelle mon passé [27] ?
27Il y aurait donc deux manières, d’ailleurs non exclusives, d’entendre la proposition qui dirait que L’Être et le Néant – par exemple – est un livre de philosophie autobiographique. La première consisterait à faire l’inventaire des thèmes et motifs existentiels qui fournissent le matériel des exemples, des scènes, des micro-récits dont le livre fourmille (la nausée, le poisseux, la lecture, le visqueux, la terrasse de café, Flaubert, etc.) Cette manière est la plus ordinairement tentée. On la justifierait sans trop de mal par des recoupements avec les romans (qui eux aussi…), et l’on pourrait tenter dans cet esprit une sorte de topographie de l’imaginaire sartrien à partir de son travail philosophique. On la justifierait encore par une mise en rapport de tel ou tel développement, ou au contraire de telle esquisse, avec une entreprise de plus longue haleine et de plus fraîche date que l’obsession autobiographique inquiète et façonne. On dirait alors que L’Idiot de la famille est la suite non de Questions de méthode, mais de l’Être et le néant.
28La seconde manière, bien moins souvent pratiquée, s’affronterait pourtant à des serrures autrement mystérieuses, ouvrirait des voies philosophiques autrement excitantes. Elle consisterait en effet à rapporter les concepts mis en place à une subjectivité en mal d’identification et de reconstitution historique de soi. À y regarder de près, certains textes de Sartre lui-même invitent à envisager sans ironie cette hypothèse, qui me paraît aujourd’hui l’une des plus stimulantes que Sartre, peut-être contre son gré en effet, nous ait laissé à penser. J’ai toujours été frappé par l’audace de cet aveu, à la fin des Mots, par ses implications vertigineuses :
29« [Jean-Paul a 12 ans, il vient de découvrir l’inexistence de Dieu] Je crus l’affaire réglée. D’une certaine manière elle l’était puisque jamais, depuis, je n’ai eu la moindre tentation de le ressusciter. Mais l’Autre restait, l’Invisible, le Saint-Esprit, celui qui garantissait mon mandat et régentait ma vie par de grandes forces anonymes et sacrées. De celui-là, j’eus d’autant plus de peine à me délivrer qu’il s’était installé à l’arrière de ma tête dans les notions trafiquées dont j’usais pour me comprendre, me situer et me justifier. » (p. 209)
30Ce n’est pas seulement la vie qui est régentée par l’inexistant ; les « notions » elles-mêmes, celles-là mêmes qui font penser, lire, écrire, sont ici entrevues dans la dépendance d’une instance que la vie, de quelque manière que ce soit, a déterminée. Si une œuvre de pensée est bien un assemblage de notions, un jeu de concepts, comment théoriser le rapport de la configuration qu’ils opèrent avec la vie qui les a produits ? Ne peut-on avancer l’idée que l’œuvre de pensée est produite, comme la romanesque, ou l’autobiographique, ou la biographique, avec un souci plus ou moins cathartique ? Les idées, d’ailleurs, Sartre le laisse entendre dans les mêmes pages [28], ne peuvent-elles pas être rapportées à une disposition mentale, à une prise de conscience, à un bouleversement intérieur, à une conversion (le mot a été prononcé souvent), bref à une donnée biographique ? Ne peut-on dire que la vie, que l’histoire de chacun a quelque chose à voir (au moins) avec les raisons pour lesquelles ces idées sont aperçues, élues, accueillies, repoussées, ces concepts inventés ?
31Dans un entretien avec Michel Contat, Sartre lui-même désigne cette porte (et cette serrure) à son interlocuteur qui peut-être n’aurait osé y jeter les yeux :
32« MC : On peut d’ailleurs inférer de la lecture de vos romans beaucoup de choses concernant la manière dont vous avez vécu la sexualité.
33JPS : Oui, ou même de mes ouvrages philosophiques [29]. »
34Ce qui permet de dire que le long développement sur Flaubert, à la fin de L’Être et le néant, est l’indice d’une implication subjective, ce sont de telles déclarations ; c’est aussi l’intarissable avenir donné par Sartre à ce qui n’était alors qu’un « exemple » ; c’est surtout l’énorme investissement affectif dont l’entreprise est chargée (investissement maintes fois et énergiquement dénié, mais nûment confessé dans la brève préface du livre, où Sartre dit sans grandes précautions avoir autrefois éprouvé la nécessité d’« un compte à régler » avec Flaubert).
35Il s’agit, au fond, de tirer toutes les conséquences de cette proposition de Questions de méthode – proposition fondamentale, quoique discrète, et même presque invisible – qui pose sans ambages ni nuances d’aucune sorte que « l’expérimentateur fait partie du système expérimental » [30].
36Proposition dont les implications dépassent considérablement l’œuvre où elle est formulée et qui, à l’époque où elle est avancée, est certes intempestive. Sartre philosophe, inlassable tant qu’il s’agit de penser les rapports d’un créateur à son œuvre [31], est peu enclin à poser la question du rapport de la pensée à celui qui la pense, encore moins de conjoindre celles de la philosophie et de l’autobiographie. La philosophie moderne (disons, postcartésienne : de Kant à Husserl en passant par Hegel) n’accueille pas volontiers l’idée que la pensée philosophique puisse être tributaire d’une vie réellement vécue ; que l’imaginaire, les passions, les goûts, les frustrations, les fantasmes de celui qui la forge et l’expose y aient quelque part. Récusant par principe toute forme de sainte-beuvisme, elle n’a garde d’être non plus proustienne : le moi philosophique (qu’indique la cartésienne première personne du singulier, celle du « je pense, donc je suis ») n’est pas le « moi profond » : universellement partagé, le bon sens est singulièrement désincarné. Quant à Nietzsche, qui pose en termes neufs et bouleversants cette très ancienne question, et dont la formule « Comment on devient ce que l’on est » est tout près d’être sartrienne, il est sur ce point résolument, dirait-on, ignoré par Sartre.
37Cette œuvre, en cela encore paradoxale, renouerait plutôt, sur ce thème, avec la tradition antique et exemplaire selon laquelle vérité et sagesse n’étaient guère distinctes, et qui croyait pouvoir faire connaître une pensée en racontant la vie de celui qui l’avait imaginée et mise en œuvre. Car les anciens ne dédaignaient pas, ni les premiers modernes (Montaigne), de collecter, de rapporter, d’inventer, de déformer des anecdotes plus ou moins vraies, plus ou moins sages, plus ou moins sûres, sur la vie des philosophes. C’est qu’une pensée n’était pas publiable si une vie ne l’avait d’abord éprouvée ; si son exemplarité n’était le gage plausible de son universalité.
38L’œuvre de Sartre, évaluée à cette aune, est profondément ambiguë. Et cette ambiguïté tient tout entière dans la volonté, régulièrement affirmée, de dire le singulier (contre le marxisme) en même temps que l’universel (contre un certain usage de la psychanalyse), soit dans le statut original qu’elle réserve à l’exemple. À s’en tenir aux déclarations de Sartre, Flaubert est un exemple – n’est qu’un exemple [32] ; et le lecteur des Mots est amené de même, et malgré peut-être qu’il en ait, à dénier toute singularité à son singulier héros, « fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». Reste évidemment à déterminer (c’était au fond mon seul propos) la part du sujet, de son histoire singulière, de ses fantasmes, dans le choix, et dans l’élaboration de l’exemple en question. Il faudrait pour cela accueillir, dans notre appréhension de cette œuvre, comme dans celle de toute œuvre qu’incommodent les frontières, le principe d’un essentiel bouleversement : poser que l’imaginaire est au principe de la pensée, qu’une analyse dialectiquement conduite recouvre régulièrement le sentiment voire la simple expérience de l’insolite. Lire L’Être et le néant comme si Roquentin l’avait écrit ; Les Mots comme si Diogène Laërce en était l’auteur.
Notes
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[1]
« Autoportrait à soixante-dix ans », in Situations, X, Gallimard, 1976, p. 137-138.
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[2]
« L’écriture et la publication », entretien avec Michel Sicard, numéro spécial d’Obliques (1979), p. 26.
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[3]
Ibid., p. 29.
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[4]
« Autoportrait à soixante-dix ans », entretien avec Michel Contat, loc. cit., p. 139.
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[5]
« L’écriture et la publication », loc. cit., p. 26 ; je souligne.
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[6]
Maurice Merleau-Ponty, « Le philosophe et son ombre », in Signes, Gallimard, 1960 (je cite l’édition Folio essais).
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[7]
« L’écriture et la publication », loc. cit., p. 29 ; c’est Sartre qui souligne l’indiscernable coordination.
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[8]
« Partout et nulle part », in Signes, op. cit., p. 250.
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[9]
Ibid., p. 249-250.
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[10]
« Autoportrait à soixante-dix ans », loc. cit., p. 137-139.
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[11]
« Oui, j’utilisais, par erreur – comme d’ailleurs la plupart des philosophes l’ont fait – des phrases d’ordre littéraire pour un texte dont le langage aurait dû être exclusivement technique, c’est-à-dire dont les mots auraient dû avoir un sens univoque. », Ibid. (je souligne).
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[12]
« J’étais amoureux de la poésie » ; « je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons », Descartes, Discours de la méthode, première partie, p. 36 de l’édition GF Flammarion.
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[13]
Jean-Paul Sartre, La Nausée, Gallimard, édition Folio, p. 24-25.
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[14]
Ibid., p. 249.
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[15]
Au début des années soixante-dix, Sartre caressait l’idée d’écrire un roman « qui aurait été la suite de [s]on autobiographie, et dont [il] avai[t] abandonné le projet ». « L’élément de fiction aurait été très mince ; j’aurais créé un personnage dont il aurait fallu que le lecteur pût dire : “Cet homme dont il est question, c’est Sartre”. […] La meilleure manière de comprendre le personnage aurait été d’y chercher ce qui lui venait de moi. », « Autoportrait à soixante-dix ans », loc. cit., p. 145.
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[16]
Ibid., p. 14.
-
[17]
La Nausée, op. cit., p. 249.
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[18]
Ibid.
-
[19]
Essai d’ontologie phénoménologique est le sous-titre de L’Être et le néant.
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[20]
Il n’est pas impossible que le Saint Genet, que le Flaubert, si difficiles à caractériser de ce point de vue, soient les entreprises qui s’approchent le plus de cet idéal impossible.
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[21]
L’Être et le néant, op. cit., p. 620.
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[22]
« Sur moi-même », in Situations IX, p. 123.
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[23]
C’est sans doute cela que Sartre cherche à préciser lorsque, dans un entretien avec Michel Sicard, il dit vouloir se démarquer de la pratique biographique des professeurs de philosophie (Michel Sicard, Essais sur Sartre, op. cit., p. 152).
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[24]
« Et puis le lecteur a compris que je déteste mon enfance et tout ce qui en survit » (Les Mots, Gallimard, édition Blanche, p. 137).
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[25]
L’Être et le Néant, p. 137 (je cite l’édition Tel, Gallimard).
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[26]
« J’étais Roquentin […] ; en même temps j’étais moi. », Les Mots, op. cit., p. 210 (souligné par Sartre).
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[27]
« Par définition, le pour-soi existe sous l’obligation d’assumer et il ne peut rien être que pour soi. Mais précisément, il ne peut assumer son être que par une reprise de cet être qui le met à distance de cet être. » (L’Être et le Néant, op. cit., p. 153 ; on se souvient de Roquentin : « J’arriverais – au passé, rien qu’au passé – à m’accepter. », La Nausée, op. cit., p. 250).
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[28]
« Je raconterai plus tard […] par quelle raison je fus amené à penser systématiquement contre moi-même au point de mesurer l’évidence d’une idée au déplaisir qu’elle me causait » (Ibid., p. 210 ; je souligne). Cf. dans un état d’esprit très proche me semble-t-il : « La guerre ne fait pas seulement l’objet de mes pensées, elle en fait aussi l’étoffe. » (Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, 1995, p. 60.)
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[29]
Situations X, p. 146-147.
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[30]
« Marxisme et existentialisme », in Questions de méthode, Gallimard, Tel, p. 34, n. 1.
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[31]
« Quel est donc le rapport de l’homme à l’œuvre ? Je ne l’ai jamais dit jusqu’ici. Ni personne à ma connaissance. » (Préface à L’Idiot de la famille).
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[32]
« Que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui ? Il m’a paru qu’on ne pouvait répondre à cette question que par l’étude d’un cas concret : que savons-nous – par exemple – de Gustave Flaubert ? » (Ibid., je souligne.)