Du cas d'espace à l'œuvre
« La solitude de l’œuvre
La solitude de l’œuvre – l’œuvre d’art, l’œuvre littéraire – nous découvre une solitude plus essentielle. Elle exclut l’isolement complaisant de l’individualisme, elle ignore la recherche de la différence ; le fait de soutenir un rapport viril dans une tâche qui couvre l’étendue maîtrisée ne la dissipe pas. Celui qui écrit l’œuvre est mis à part, celui qui l’a écrite est congédié. Celui qui est congédié, en outre, ne le sait pas. Cette ignorance le préserve, le divertit en l’autorisant à persévérer. L’écrivain ne sait jamais si l’œuvre est faite. Ce qu’il a terminé en un livre, il le recommence ou le détruit en un autre. »
1Je rappelle les termes de mon intervention [1] et des développements connus depuis.
2Pour cette journée d’étude, Jehanne nous proposait, autour de la notion de dispositif musical, de réfléchir à la façon dont la musique contemporaine pense ses propres dispositifs musicaux et architecturaux.
3Ainsi, dans le thème proposé, en s’approchant de conceptions actuelles de l’espace, mes observations circulent entre l’architecture, l’œuvre contemporaine et la musique.
4Avouant ma maigre expérience de la musique contemporaine, tout en remémorant des questionnements (l’art, l’œuvre, l’architecture, la culture et la dimension publique), je tente, sans oublier l’apport musical, d’appréhender une inquiétude « politique »: comment l’espace conçu diffère-t-il un régime despotique de signes ?
5Cette même inquiétude qui relance une ancienne interrogation artistique : comment l’œuvre déloge-t-elle un régime despotique de signes ?
6En devançant sans doute l’appréhension despotique, je suppose donc que ces champs [2] se tendraient autour de désirs dont j’interroge les raisons despotiques.
7Entre éclairages et entr’aperçus, croyant toujours que l’appréhension d’un champ avance quelque chose d’un champ voisin, je tâtonne à l’examen de voisinages.
8Entre autres, je suppose que l’espace contemporain, notamment « public » ou « politique », connaît de profonds bouleversements et que ses légendes modernes et post-modernes doivent être révisées.
9Selon cette comparaison artistique et musicale, je voudrais cerner la dimension autoritaire de l’architecture, ce qu’elle impose comme presque-discipline et ce qu’elle ordonne spatialement.
10Composant une méthodologie distincte (projet architectural), on admet que l’architecture ne dispose pas de toutes les caractéristiques d’une discipline, ni même ne les cherche :
- son objet principal (précisément espace) flotte entre ce qu’elle lui confie comme qualités domaniales et ce qu’il est communément ;
- ses concepts demeurent empruntés (ils restent attachés à leurs référents d’origine : techniques du bâtiment, anthropologie, sociologie…) ;
- peu gagnée à l’historiographie critique, son histoire est bien l’histoire de « ses » objets, mais une histoire trop peu intriguée de ses moyens (valeurs conceptuelles, performances symboliques, instrumentalisations historicistes…).
11L’incapacité disciplinaire d’un ensemble identifié de pratiques – ici l’architecture – n’est qu’une excentricité épistémologique, qui ouvre du champ. Une telle ouverture implique, par exemple, des dispositions méthodologiques capables de compromettre une généralisation despotique.
12En quelque sorte, cette question (du despotique) semble, en partie, être réglée pour la musique elle-même performée selon une durée : le morceau débutant prédit sa fin, dont le programme précise le cours. D’où la régie d’un éventuel régime despotique selon une territorialité annoncée et bornée, exercice conditionnel d’une écoute obligée dans un temps limité et un espace dont on peut le plus souvent sortir.
13L’architecture, comme dispositif d’établissement, est plus accaparante.
14La réalisation architecturale, construction de la conception architecturale, s’impose dans des dispositions matérielles, dont des bâtiments et des organisations d’espaces, qui durent, et n’expriment [3] que rarement leur précarité…
15Du reste, l’expression de l’inconstance d’un bâtiment s’enrichit de ce qu’est conventionnellement un bâtiment : un objet matériel plutôt durable et le plus souvent accessible.
16De même, pour rester comparatif, la pièce d’arts visuels présente la brièveté de sa réception, faisant peut-être de cette caractéristique – du peu de temps nécessaire pour s’en convaincre, du moins s’en saisir – sa spécificité positive.
17En réponse à des idées bizarrement convenues [4] sur l’accessibilité aux œuvres d’arts visuels, celles-ci n’augurent pratiquement jamais d’un long temps perceptif, hormis dans des variations filmiques qui ressortent alors des temporalités cinématographiques elles-mêmes très codifiées, et plutôt connues, et dont le temps n’excède que très rarement cent quatre-vingts minutes…
18En somme, même si elle comprend des données exigeant des investigations, l’œuvre d’arts visuels est vite donnée.
19Il s’ensuit trois temporalités : pratiquement sans terme pour l’architecture, bornée pour la performance musicale et très diligente pour la plupart des œuvres d’arts visuels.
20Au reste, cette affirmation concrète – du peu de temps nécessaire à la perception de la plupart des œuvres d’arts visuels – ne récuse pas une lente découverte des ressorts de l’œuvre, voire une investigation infinie ; malgré les qualités, souvent incommensurables, des œuvres, ce constat restitue néanmoins l’espace occupé par la dite œuvre [5].
21Même spécifié « architectural », l’espace est un cas particulièrement passionnant d’une difficulté à stabiliser un propos : il convoque d’infinies disputations cognitives qu’opposent différentes théories de la connaissance, dans lesquelles s’entrechoquent encore extériorité et subjectivité du réel [6].
22L’espace, indéfini mais qualifié, joue un rôle considérable dans les théories de l’architecture moderne où il apparaît fréquemment comme un ressort de la production architecturale : ce à quoi elle se doit (de produire) et ce qui la spécifie (comme champ légitime de production).
23Cet « espace » est « qualifié » puisqu’employé comme discriminant et opérateur assez efficace de la spécification architecturale.
24Cette appropriation (architecturale) de l’espace connaît plusieurs déterminations dont la nécessité qu’a une pratique de signaler son objet et, en l’occurrence, de se positionner dans l’étendue des pratiques avec ses méthodes pour son objet.
25L’architecture apparaît d’emblée comme co-gestionnaire de dispositifs de contraintes extra-esthétiques qui marquent ses volontés artistiques de rapports de force qui concernent la société en général, et en particulier ce qu’y engage la production d’espace « durable » [7].
26Mémorisons bien cet aspect : l’obligation de produire, entre autres, de l’espace social, astreint l’architecture à des « réalismes » qui la séparent d’autres pratiques artistiques ; sans nier que les pratiques artistiques produisent aussi de l’espace social, notamment en audiences (espaces de réception), mais pas aussi immédiatement que l’architecture se doit de le faire.
27Chaque champ artistique a son espace, littéraire [8], musical…
28L’espace musical semble se dépenser dans l’espace architectural, qu’il occupe sans que l’on puisse globalement établir ce qui, de la détermination musicale et de la détermination architecturale, coopère [9].
29Malgré la promesse spatiale de l’architecture « à contenir », la performance musicale y surdétermine un espace spécifique – dense, voire irrésolu – pour lequel l’architecture n’est le plus souvent qu’un lieu propice à cette performance.
30Que dire des caractéristiques actuelles d’un espace social auquel contribue l’architecture et dans lequel la musique se donne ?
31Il s’organise autour et avec des dispositifs nouveaux qui lui procurent d’autres aspects selon des modalités discrètes, voire volatiles, mais effectives, notamment les voies numériques…
32Grâce à leur puissance propositionnelle et à leur force déceptive, ces régimes variants développent de nouvelles attentes [10] ; ils contribuent à la modification du désirable et à l’étrange impossibilité contemporaine de l’espace public.
33Très vite, on saisit que les voies numériques déploient leur nouvel espace public (communicationnel, productif, politique, coopératif) et qu’elles en privent l’espace physique, non pas en raison d’une concurrence virtuel-physique, mais au motif que l’espace physique est de plus en plus occupé (accaparé) par les forces traumatisantes-anesthésiantes du despote sécuritaire.
34Rappelons-nous, le despote n’est pas sécuritaire par crainte mais par intérêt : la génération des peurs lui donne raison.
35Ne l’oublions pas, les voies numériques sont aussi des voies nouvelles de contrôle, aux mains de ceux qui les font tourner et créent les flux-formats fonctionnels…
36L’architecture doit donc contribuer-dévier des espacements autoritaires par ses voies propres de ruses, entre autres, numériques…
37Et la musique s’élargit dans les espaces à disposition…
38Et l’art s’interpose, forcément…
39En s’exerçant sur la puissance critique, le contrôle impérial peine à jouir d’une étendue toujours au risque de s’y perdre. La multitude nécessite le surdimensionnement des organes de contrôle et la fabrication de machines et de dispositifs qu’il faut aussi placer sous contrôle.
40Le contrôle impérial invente l’incontrôlable, il invite son clone : le terrorisme.
41Nous retrouvons évidemment dans les codifications et dispositifs (contraignants) de production des œuvres des contraintes, mais ni la matérialité produite, ni ces injonctions n’obligent autant que pour l’architecture à « reculer » toute approche artistique (poétique) [11].
42Toutefois, le choix d’un architecte, notamment réputé, s’effectue encore comme le choix d’un artiste, montrant, si nécessaire, ce que ce champ suppose d’art.
43La raison autoriale joue communément d’un principe artistique qui fait de la responsabilité artistique un ressort fondamental de la production d’œuvre [12].
44La correspondance entre des déterminations matérielles fortes et un supposé régime despotique de signes tient à différents facteurs. Le despote doit avoir les moyens de faire apparaître (spectaculaire despote) et de perpétuer son despotisme (imputrescible despote).
45D’ailleurs, puisque le despote se veut encore plus, il démontrera sa puissance despotique dans son apparition permanente, c’est-à-dire le spectacle incessant de ce qu’il est en puissance, non pas en soi mais socialement.
46Ainsi, spatialisant les demandes despotiques, l’architecture réalise des espaces sociaux qui matérialisent les attentes du despote, son commanditaire « fortuné », dans des formes auxquelles elle accorde les meilleures apparences.
47On se demande perpétuellement si tout pouvoir, y compris poétique, n’est pas despotique !
48Une pensée cruelle (?) fait de l’architecture une amplification du despote, aggravation qui lui fournit d’aimables formes pour qu’il soit entendu et compris ; mais cette féroce pensée, qui suppose que le commanditaire peut tout [despotiquement] commander, se heurte à la puissance despotique-para-despotique du concepteur, « retourneur » de la volonté despotique en des formes, artistiques précisément, qui échappent au despote, tout au moins bouleversent artistiquement son impératif.
49Par ailleurs, en prétendant ramener l’art à ses enjeux politiques, on augure qu’il s’en serait éloigné, ignorant ainsi tout ce qu’il comporte politiquement. L’art contemporain exploite une théorie politique de l’auteur, assortie d’une théorie politique du public, coordonnée à une organisation politique de la société qui le produit.
50Il est très difficile d’imaginer l’art [13] hors de ses déterminations politiques, laissant entendre qu’il est marqué politiquement, sans dire ce que chaque auteur engage politiquement dans chacune de ses œuvres.
51On imagine alors de possibles conflits entre les injonctions générales et des volontés artistiques qui chercheraient, entre autres, à s’en affranchir.
52Une autre définition de l’artistique-poétique tiendrait donc au virement despotique : l’art convertirait les requêtes despotiques en actions artistiques révélant une précarité despotique. L’œuvre – notamment d’arts visuels – suppose un temps perceptif court qui réduit l’étendue despotique et la révoque dans le registre des recours et ironies de son infinie intrigue en multitude interrogative. À son tour, la performance musicale brise l’instance despotique qu’elle met en pièces dans des séquences qui même cohésives n’empêchent pas moins de lui échapper…
53Le despote est diffracté, défié par de toutes petites choses locales et soudaines, qu’il a même prescrites, voire commandées…
54Nous répétons combien toute commande artistique est despotique, et comment elle se heurte à chaque volonté artistique qui la déplace dans des formes qui la mettent en crise ; il n’y a pas de crise de l’art mais de l’art comme crise.
55S’il devait y avoir crise de l’art, ce serait alors [vraisemblablement] l’impuissance confirmée de la volonté artistique à mettre en crise le despotique ; l’art est la preuve antonyme du despote…
56Le despote n’est jamais loin : ce qu’il laisse au nombre [la culture], il le reprend en surface occupée ; marquant le territoire de sa puissance-à-financer-en-bâtis, il étend sa présence spacieuse dans ces opérations qui forcent le respect tant elles semblent donner à ceux qui peuvent ainsi se cultiver.
57Du reste, à la fausse inaccessibilité des œuvres contemporaines répond leur disponibilité et leur large diffusion (musées, lieux consacrés, médias…), disponibilité accrue qui, tout en augmentant leur accessibilité, les rapprocherait, par densification-intensification d’un supposé régime despotique.
58Mais le despotique cache le despote, non plus dans une culture imposée qui le confondrait, mais dans des cultures dispersées, fluctuantes, nomades, qui justifient un pouvoir despotique d’organisation par sa crise despotique.
59Afin d’entretenir la peine du despotique, l’art, convive subjectif, doit alors faire virevolter la crise despotique en crise du despote.
60Souffrant lui-même du régime autorial, toujours exposé à sortir de son cadre fictionnel et spéculatif pour imposer des voies du monde, l’art contaminé se convainc à peine de la crise du despote ; il est aussi tenté de donner des ordres.
61Je sais forcer le trait du régime despotique dans ses extensions artistiques, mais il me semble que des pratiques de commande publique, multipliant les prescriptions et injonctions à faire cet art de nos régimes proclamés démocratiques, s’approchent redoutablement du régime despotique…
62On refuse parfois d’accepter que le peu de moyens ou des objectifs de gratuité (entre autres marchande) sortent les « productions » artistiques des dispositions conventionnelles qui leur imposent des modalités et des objectifs qui, pour ne pas être toujours despotiques, restent très autoritaires : argent, marché, institution, intermédiaires mercantiles, médias, productivisme, historicisme…
63Une société de contrôle post-disciplinaire agence une société de commande où les flux sont, par des commandes formelles et informelles (délibérées et automatiques), sans arrêt métamorphosés en produits que des flux, autres ou mêmes, plus ou moins intenses, portent à des consommateurs frustrés-repus…
64Ainsi, derrière les automatismes qu’il ordonne, la figure du despote s’adapte en permanence de ce qui ne peut plus durer hors des conditions que sa tyrannie change en l’amusant.
65Ainsi, horreur, dans de petits manuels vendus chaque semaine (people médias), les amusements du despote donnent envie… de devenir-despotico-machinique…
66Ainsi, chacun, ridiculisé comme produit proto-industriel [14], s’espère comme industrie.
67Revenant à l’architecture, je comprends son infinition, conciliable en zone d’intensités ; c’est-à-dire sa définition ouverte, que des défenseurs disciplinaires jugent déceptive, qui engage miraculeusement des caractéristiques instables et complémentaires avec lesquelles il est pertinent d’opérer dans notre univers de survies communicationnelles.
68À une époque post-disciplinaire – j’insiste lourdement – on comprend mieux l’intérêt de cette infinition architecturale. Elle rappelle l’avantage historique de cette zone d’intensités [déjà post-disciplinaire] et l’énorme potentiel méthodologique de son motif de production [du projet architectural proche d’un projet en général].
69ÉTANT DONNÉ cette situation, « l’architecture comme zone d’intensités comparativement à ce que l’on peut aimer savoir de l’œuvre et de la musique », comment se (re)pose la question politique (régime despotique), et qu’y peuvent art et musique ?
70J’aimerais connaître la cohabitation des spatialités musicales et architecturales [15], mieux apprécier leurs jeux respectifs, établir des expériences que nous ne décrivons pas bien, ce qui ressort d’une mise en espace architectural d’une musique actuelle dans un lieu médiéval…
71Par quels moyens établir (relater) ces expériences puisque la musique occupe tout l’espace, sa puissance de remplissage est totale même si elle se « heurte » à des espaces d’autres temps, son effet musical la ramène à son actualité, comme si les maigres différences sonores ne suffisaient pas à manifester la différence architecturale.
72Cependant, la performance musicale diffère selon le lieu et l’architecture lui impose des mesures « étrangères » et audibles qui rapportent les différences physiques locales et très loin les différences sociétales qu’elles supposent.
73Sans nous (re)perdre dans les linéaments de cette infinition chronique, nous pénétrons une subtile hésitation épistémologique entre ce qui tient lieu de produit spécifique et ce qui s’entend comme étendue de partage, et forçons d’anciennes acceptions pour appréhender leurs ressorts contemporains, à savoir, par exemple, comment le bien nommé espace public ne s’apparente plus à rien de comparable [16].
74Ainsi, l’architecture, dans sa participation à l’urbanisme producteur d’espaces proclamés publics, dispose mal de ce qui la spécifie : des qualifications d’espaces dont la partition privé-public est devenue très douteuse.
75Autre indisponibilité sémantique « de l’espace comme objet d’infinition chronique » qui, tout en confirmant l’instabilité disciplinaire de l’architecture, exige qu’elle soit une expérimentation cognitive [17].
76Par expérimentation cognitive, nous entendons la production-conception d’objets hypothétiques-matérialisables, particulièrement ici (en architecture) qui concernent des dispositions spatiales ; d’où ce croisement renforcé de la musique et de l’architecture, dans laquelle la musique se donne tout autant comme « production-conception d’objets hypothétiques-matérialisables, qui ne concernent pas moins des dispositions spatiales »…
77Si l’une (musique) se produit plutôt dans l’autre, qui la précède, il n’y a pas d’autant une priorité de l’architecture, elle-même précédée de la possibilité du son, d’une opportunité poétique, voire de la nécessité d’un monde physique et leurs deux dispositifs de conception ne se concurrencent pas.
78La redisposition méthodologique est à la fois une exigence autoritaire [de la méthode pour chaque cas] et le recours des subjectivités libérantes [chaque cas légitime sa méthode]. Le despote se fait victime de sa communication : son despotisme s’étend aux œuvres contradictoires qu’il commande et sa tyrannique dilution sociétale [hypersujet disperseur de société] lance son répliquant critique : des subjectivités coopératives.
79Avec ses variations sonores, de la musique se propose de remplir temporairement des espaces d’architecture où se joue la tension du despote et de l’artiste, figures imposées d’une société moderne conviée à se défigurer [18].
80Ainsi se dispose une double résistance, par l’architecture au despote, et par la musique à l’architecte.
81Le musicien dira souvent coopérer à ce qu’il lui est donné comme « architecture » pour s’y déployer. Les deux activités artistiques croisent alors leurs modalités respectives : un temps limité contre-avec un temps indéfini, un espace limité contre-avec un espace arrêté, des qualités dissemblables de flux : modulations sonores [19] contre-avec inflexions d’usages.
82Confrontations qui ouvrent.
83Bien qu’il nous aide à mobiliser nos spéculations esthétiques, l’espace est toujours une étrange expression de l’œuvre.
84À la servitude fermée de l’espace architectural, procureur de murs, la musique répond, le remplit d’ouvrants, relançant peut-être les hypothèses de ses commencements.
85Ainsi s’accordent temporairement [la performance musicale cessera] les rituels de mésententes et les accords effectifs de sons répercutés par des murs invariants mais instrumentalisés.
86Ainsi l’œuvre musicale déloge un régime despotique de signes auquel elle expose ses flux.
Notes
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[1]
Intervention conduite dans le cadre de la journée d’étude « Les dispositifs musicaux et leurs dispositifs architecturaux aujourd’hui : l’espace, nouveau matériau musical », organisée au CIPh le 18 mai 2005 par Jehanne Dautrey.
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[2]
Il semble plus réaliste de parler de champ plutôt que de discipline, a fortiori pour l’architecture qui ne s’est jamais constituée comme telle ; de plus, nous nous trouvons manifestement dans une époque post-disciplinaire !
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[3]
De même que la musique se penserait, les bâtiments et les dispositions spatiales exprimeraient, c’est-à-dire que nous supposons que les opérateurs (de musique et d’architecture) transfèrent partie de leurs intentions dans les réalisations qu’ils performent.
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[4]
Il serait intéressant de pouvoir un jour disposer d’une anthropologie fine de la fantasmagorie des accès aux œuvres contemporaines, à savoir « comment se fait-il qu’elles soient autant supposées inaccessibles alors qu’elles se sont rendues de plus en plus accessibles ? »…
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[5]
On trouvera des œuvres qui contrediraient ces assertions, entre autres, des propositions conceptuelles actualisables (comprenant d’innombrables temps matériels), mais, sauf preuve contraire, ces œuvres d’une infinie matérialisation sont aussi des œuvres réduites à un assez bref énoncé, qui corrobore nos assertions d’une « brièveté » de l’œuvre d’art visuelle.
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[6]
Par exemple, Bernard d’Espagnat, À la recherche du réel, Bordas, Paris, 1981, ou Ian Hacking, Concevoir et expérimenter, Épistémè Essais, Bourgois, Paris, 1989, traduit de l’américain, 1983.
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[7]
Bien que la durabilité des espaces architecturés, particulièrement selon une conception durable du développement (DD), m’importe, je me focalise plutôt ici sur le poids temporel de l’architecture.
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[8]
Qu’a notoirement théorisé Blanchot.
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[9]
Il faudrait sans doute l’établir pour chaque coopération sans préjuger d’une possible généralisation !
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[10]
L’excellente revue Multitudes (http://multitudes.samizdat.net/) explore ces variations, montrant que ces attentes nouvelles sont conventionnelles et critiques.
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[11]
À force d’en user, « artistique » dit peut-être moins bien ce qu’affirme « poétique », c’est-à-dire le choix désirant d’un impératif évocateur et sub-productif qui récuserait l’efficacité spectaculaire dans une capacité sensible où le cognitif est relégué à sa fonction d’organe…
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[12]
Pour ma part, je déploie depuis trois ans une théorie du quelconque qui entretient la possibilité d’activités artistiques qui ne seraient plus asservies au despotisme autorial…
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[13]
Que nous considérions comme l’« ensemble des œuvres disponibles et plus ou moins sectorisées (musiques, arts visuels, cinéma…) ».
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[14]
Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Encyclopédie des nuisances, Paris, 2002 (traduit de l’allemand 1956).
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[15]
Que, entre autres, Jehanne et la journée qu’elle avait convoquée s’emploient à nous faire entendre.
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[16]
Cette question « Quelle acception de l’espace public ? (faits, suppositions, dont fantasmagories) » relève aujourd’hui tout questionnement territorial, y compris ici « Quelle territorialité l’architecture offre-t-elle à l’expression musicale ? »…
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[17]
Point par lequel l’architecture est aussi une pratique artistique !
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[18]
Quant à son héroïsme supposé : Jean-Marie Apostolidès, Héroïsme et victimisation. Une histoire de la sensibilité, Exils, Paris, 2003.
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[19]
Merci encore aux musiciens de rester indulgents à propos de mes réductions musicales !