Notes sur Michel Foucault à l'université de Tunis
1Michel Foucault a enseigné en Tunisie de septembre 1966 à l’été 1968. Outre son enseignement au département de philosophie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Tunis, il a fait un cours public au sein de la même institution et donné des conférences au Club Tahar Haddad et au Centre de Recherches (CERES), ainsi que des interviews aux journaux de la place [1]. C’est aussi durant ce séjour tunisien, dans sa maison de Sidi Bou Saïd, qu’il écrivit son livre L’archéologie du savoir, paru en 1969.
2Il sera question ici de ce passage à l’université et de l’hommage que ses étudiants tunisiens lui rendirent trois ans après sa mort, les 10 et 11 avril 1997. C’est à Tunis que Michel Foucault occupa pour la première fois une chaire de philosophie à l’université ; cela lui permit, en dehors d’un enseignement de psychologie sur « la projection » et un enseignement d’histoire de l’art sur la peinture de la Renaissance, de donner un cours d’histoire de la philosophie sur Descartes et un cours public sur « La place de l’homme dans la pensée occidentale moderne ». Passionné par « l’avidité absolue de savoir » [2] de ses étudiants, il leur consacre des heures en bibliothèque, les aide à fonder un club de philosophie où il donne des conférences dont « Qu’est-ce qu’un auteur ? » et « La naissance de la monnaie ».
3De ses cours, il reste les notes prises par ses étudiants ainsi que l’héritage d’un enseignement d’histoire de l’art et d’esthétique qu’il institua à l’époque sous forme de certificat complémentaire ; ce dernier avait pour objet des commentaires d’œuvres picturales sur diapositives avec à la fois une analyse plastique et thématique, insistant sur la construction de l’espace, de la lumière et sur les modes de représentation du corps humain au Quattrocento et à la période baroque [3]. Quant au cours d’histoire de la philosophie sur Descartes, plus précisément, sur le Discours de la méthode et les Méditations, c’est celui dont certains de ses anciens étudiants conservent des notes intégrales [4]. Ce cours n’ayant pas été publié, nous n’en donnerons ici en appendice qu’un plan général de la première partie, la deuxième partie étant consacrée à un commentaire détaillé des Méditations.
4Après la mort de Michel Foucault, quelques-uns de ses étudiants ont fondé un groupe de recherches, coordonné par Fathi Triki, sur « Penser l’aujourd’hui ». Ce groupe a été à l’origine de l’organisation, au Club Tahar Haddad, des journées d’études sur la philosophie de Michel Foucault, les 10 et 11 avril 1987 en présence de Paul Veyne, de Didier Eribon et de Dominique Seglard. Les journées ont consisté d’abord en la redécouverte des conférences de Michel Foucault (Structuralisme et analyse littéraire, février 1967, Folie et civilisation, avril 1967 et La peinture de Manet,1971) données en ce lieu même et restées jusque-là ignorées du public, dans des enregistrements sur magnétophone. Elles ont été écoutées, après avoir été enregistrées sur cassette audio, lors de ces journées grâce au concours de Jalila Hafsia, directrice du Club. Des copies de ces cassettes ont été données le jour même pour être déposées au Centre Foucault (rue Saulchoir). Les contributions [5] à ces journées ont paru deux ans plus tard dans un Numéro spécial de la revue Les cahiers de Tunisie, revue de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis [6].
5Aujourd’hui, plusieurs travaux de recherche universitaire, en français et en arabe, portent sur les questions philosophiques soulevées par Foucault comme celle du pouvoir, celle du discours ou celle de l’esthétique de l’existence.
6Plan détaillé du cours de Michel Foucault (1966-1967 à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines) sur Descartes
Partie I : Le discours de la méthode
7I – Le discours de la méthode et le début de l’Âge classique – Caractéristiques :
81. Pouvoir monarchique centralisé et première forme de capitalisme commerçant
92. Formes rationnelles de la pensée
- Fondation d’une économie politique
- Fondation d’une science de la nature
- Fondation des formes de réflexion scientifique : ordre de la mathématique, de la physique, de la géométrie algébrique et de la dioptrique
- Développement des domaines épistémologiques : histoire naturelle, analyse des phénomènes monétaires.
- le sujet comme fondation des idéalités mathématiques.
- Idée d’une connaissance objective du sujet
10A. Pas de position inaugurale mais index pointé sur les travaux faits ou à faire (les Regulae, les Méditations, le Traité du monde ; Préface et substitut au Traité du monde (non publié par prudence après la condamnation du Galilée)
11B. Texte d’autobiographie philosophique : promotion de la vérité. Différemment du je des Méditations, le sujet du Discours est une mise en œuvre du cogito comme forme générale de toute pensée.
12III – Spécificité du Discours de la méthode :
13A. Rupture avec l‘édifice de la philosophie médiévale
141. Le Discours de la méthodeinaugure le discours philosophique sous sa forme moderne : substitution du problème de la vérité au problème de l’être.
152. Le problème de la vérité et du rapport du discours à la vérité
16B. La philosophie comme définition de la méthode par laquelle on peut atteindre cette vérité elle-même
171. Le discours philosophique et les problèmes d’une connaissance méthodique vraie
- Philosophie du sujet avec pour objet la conscience de la vérité, la représentation, l’idée, l’erreur, l’imagination, corps, âme, etc.
- Philosophie comme fondement nécessaire pour toute connaissance vraie : autocréation de la philosophie par chaque discours philosophique.
- Le travail scientifique et l’enchaînement rigoureux des évidences
- Analyse des six parties du discours
- Méthode plus mathématique que logique par la forme du raisonnement
- Différence d’avec le projet encyclopédique du xvie siècle par déplacement de l’universalité du contenu de la connaissance vers l’instrument de reconnaissance de la vérité.
18A. Algèbre et géométrie : sciences faciles par opposition à celles du droit et de l’histoire
- simplicité des mathématiques et lumière naturelle
- Le principe de la méthode et la lumière naturelle
191. Le bon sens comme
- Présence à l’esprit des idées innées
- Possibilité de reconnaître comme vrai ce que nous saisissons sans intermédiaire
- Méthode cartésienne non formaliste non apodictique
- Connaître et définir l’ordre : une seule et même chose
- Méthode algébrique
203. La mathématique et la connaissance géométrique de l’espace
214. La Mathesis fondamentale comme méthode générale et totalisation de toutes les connaissances
22C. La morale provisoire
231. Tradition, religion et intégralité de l’exercice de la liberté
242. La morale provisoire comme condition de possibilité pour l’usage de la méthode.
Notes
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[1]
cf. Rachida Triki, « Foucault en Tunisie », in Michel Foucault, La peinture de Manet, suivi de Michel Foucault, un regard, sous la direction de Maryvonne Saison, Seuil, Paris, 2004.
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[2]
« Il n’y a probablement qu’au Brésil et en Tunisie que j’ai rencontré chez les étudiants tant de sérieux et tant de passion, des passions sérieuses et ce qui m’enchante plus que tout, l’avidité absolue de savoir. » Interview de Foucault par Gérard Fellous, in La Presse, Tunis, 12 avril 1967.
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[3]
Cet enseignement continua après le départ de Foucault grâce au professeur Hammadi Ben Hlima qui fut doyen de cette faculté.
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[4]
Le cours sur Descartes est conservé en notes par Mohammed Jaoua, actuellement professeur de philosophie à l’université de Sfax.
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[5]
Les contributions à cette journée, publiées par Les Cahiers de Tunisie, n°149-150 (3e & 4e Trimestre 1989) sont les suivantes : F. Triki, Foucault et la philosophie ouverte ; A. Cherni, Cogito et Video ; N. Kridis, Psychogénèse et sociogénèse, R. Boubaker-Triki, L’exemplarité de la peinture ; M. Halouani, À propos de la naissance de la clinique et M. Khammassi, Foucault et la fin du structuralisme.
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[6]
Les contributions des intervenants à ces journées ainsi que les conférences transcrites par un groupe d’étudiants de Foucault pour ce qui est de « Structuralisme et analyse littéraire » et de « Folie et civilisation » et par moi-même, pour ce qui est de « La peinture de Manet » avec identification des tableaux décrits dans la conférence, ont été publiées deux ans plus tard en 1989 dans la Revue Les cahiers de Tunisie, par les soins de l’historienne Kmar Ben Dana-Mechri et non sous ma direction comme il est dit dans l’article de Dominique Seglard, « Foucault à Tunis », in Foucault Studies n°4, feb 2007, p.7-18.