La place de la sculpture

1La sculpture est un art spécifique dans la mesure où elle intervient directement dans l’espace commun, qu’il soit privé ou public, réel ou symbolique. Par là même, la sculpture mêle ses enjeux esthétiques aux questions anthropologiques, politiques et historiques des communautés humaines. Quelle place ces dernières réservent-elles à la sculpture ? Quel type d’intervention dans l’espace nos sociétés tolèrent-elles, sélectionnent-elles, valorisent-elles ?

2La sculpture n’est pas seulement un objet, cerné dans ses contours, elle est un dispositif qui aménage l’espace. Elle met toujours en relation un artefact, l’espace commun, l’espace de la représentation et des corps ambulants, percevants. Autrefois statuaire, monument, architecture, elle est devenue installation, performance, action. L’activité artistique du sculpteur d’aujourd’hui ne se limite plus à la taille, au modelage et à l’assemblage des matériaux solides mais porte tout autant sur le travail de la lumière, du mouvement et du son. Immobilité et permanence mais aussi rythme et processus, la sculpture est autant un art du temps que de l’espace.

3Si ces transformations témoignent de la fécondité de la création artistique et ouvrent de nouveaux champs d’expériences et de questionnements esthétiques, il n’en reste pas moins que la sculpture a perdu l’ensemble des fonctions qui constituaient son identité sociale : celles d’œuvrer à la mémoire ou au culte, tant public que domestique ; celles de figurer et séparer les pouvoirs familiaux, politiques et religieux ; celles de borner l’aire commune, la limite de l’espace humainement constitué et la présence du sacré. Autrement dit, la sculpture ne prend désormais plus en charge l’acte d’instituer la communauté humaine dans son rapport à elle-même, au monde et au divin.

4L’objectif de ce numéro de Rue Descartes est d’interroger la nature et les enjeux de ce changement de statut social. Implique-t-il une crise ou une redéfinition de la sculpture ? Pour y répondre, le numéro prête attention à la transformation contemporaine des modes d’occupation de l’espace. Quel est en effet le sens de la sculpture dans une société de la mobilité, de l’intériorisation du religieux et de la parcellarisation du pouvoir ? Comment peut-elle encore y avoir une place ? Non pas une place dans l’espace mais comme opération d’organisation de l’espace. La place de la sculpture est donc appréhendée ici à la fois comme un problème et un symptôme.

5Nous tentons de thématiser la façon dont l’institution de sculptures participe à la délimitation et à la structuration de l’espace commun (Frédéric Vengeon). Il n’est pas étonnant dès lors que la sculpture publique active et cristallise la conscience politique, qu’elle soit confrontée au cours de l’Histoire et à la succession des hégémonies (A.M. Lozonczy) ou qu’elle s’inscrive dans les débats d’une société démocratique (P.Simay).

6Nous interrogeons simultanément la place de la sculpture dans le système des arts et son histoire. Selon quelles stratégies la sculpture organise-t-elle l’espace de la rencontre avec son spectateur (A. Le Normand-Romain) ? Quelles relations la sculpture entretient-elle avec cet autre art de l’espace qu’est l’architecture (M. Brüderlin) ? L’art de l’installation doit-il se comprendre comme une destitution ou un développement de la sculpture (J.Chauveau) ?

7Un entretien avec l’un des plus grands sculpteurs contemporains, Antony Gormley, nous permet de mieux appréhender à partir de son travail la force d’attraction des sculptures qui fonctionnent comme des pièges et qui, dans leur immobilité même, qualifient le temps et l’espace de la vie humaine.

8Paradigme de l’hylémorphisme et topos éthique de la sculpture de soi, notre reflexion se devait de questionner la place de la sculpture dans la traditon philosophique. Nous présentons ce qui en constitue sans doute le traitement philosophique le plus abouti : la tentative hégélienne d’appropriation de la sculpture dans le système de l’idéalisme absolu (J.Larfouilloux). À ses risques et périls.