L'Aistéthique : Transformation énergétique et culture de la fadeur

1 – La sensibilité subtile et l’idéal de la fadeur

1« Elle s’adapte aux contrastes comme un paysage ou le chant délié d’un oiseau. La tâche qu’elle donne à l’oreille n’est pas de suivre un développement ni de reconnaître le retour du même, mais au contraire, en route au-dessus de l’abîme du silence, d’amener les sons à une unité, dans laquelle seulement, elle gagne, en tant que son, sa véritable expression. Ce n’est que selon le critère de la musique dynamique dont elle ne dépend pas, qu’elle semble déchirée. Elle ne fait pas de surenchère (Sie steigert nicht) : elle ébauche l’image du vivant dans l’alternance de la respiration et du souffle retenu [1]. » Elle ne surenchérit pas. Peut-on concevoir une esthétique qui se serait détachée de la contrainte de l’intensité, de la tension, et de la transgression ? Une telle possibilité apparaît, même si ce n’est que faiblement, en marge de l’esthétique d’Adorno, qui fait coexister la défense de la beauté naturelle avec l’éloge du choc.

2Existe-t-il une correspondance interne entre la recherche d’une musique qui ne serait pas de surenchère, et la cithare Qín, dont l’histoire remonte aux commencements légendaires de l’art chinois, et qui est devenue une composante essentielle de la culture chinoise des lettrés, au plus tard à partir du troisième siècle de notre ère ? L’art moderne euro-américain s’est-il ouvert à des conditions extérieures à lui-même, lui permettant de prendre véritablement au sérieux des aspects donnés de la culture lettrée chinoise ? Dans la troisième et quatrième partie de cet article, j’aimerais me consacrer à l’un des plus célèbres représentants de cette dernière, X? K?ng (,223-262). Mes réflexions se ramènent à ce que j’aimerais appeler ici, provisoirement, culture de la fadeur. Celle-ci comprend, d’une part, une esthétique de la nuance micrologique, de la sensibilité subtile et presque imperceptible, dans laquelle les sens de la vue, de l’ouïe, du goût, de l’odorat et du toucher s’exercent pour développer la perception jusqu’à cette limite vague, dans laquelle le perceptible naît du subtil, pour s’y abîmer ensuite ; d’autre part, cette culture dépasse la sphère de la perception du corps, englobant l’éthique de la désintensification et de la dégressivité, pour jouer un rôle dans les qualités spirituelles de la perception intuitive, sans pourtant que ne se produise aucune rupture abrupte entre ces deux sphères.

3Il me semble absolument justifié, sous ce rapport, de parler d’une esthétique de la fadeur[2]. Mais après avoir examiné les discussions esthétiques dans le monde sinophone durant une dizaine années, j’en suis arrivé à considérer le concept d’esthétique en tant que tel comme insuffisant, et je me suis mis à la recherche d’une alternative. Tandis que les langues européennes offrent la possibilité de prendre de la distance avec l’esthétique, considérée comme théorie des belles formes, de l’œuvre d’art et de la critique d’art, grâce à la différence entre « esthétique » et « aisthétique », et qu’elles permettent de mettre l’accent sur la signification de l’aisthétique comme théorie de la connaissance sensorielle ou même comme théorie générale de la perception, que l’on puisse élargir à la perception de l’atmosphère et de la perception du corps propre [3] (Leib), le concept chinois moderne « d’esthétique » (m?ixué ) porte inéluctablement inscrit en lui la théorie du Beau. Ce néologisme chinois de m?ixué, d’abord formé au Japon au ve siècle, qui témoigne de l’historicité de la réception de la philosophie européenne en Asie orientale, se révèle aujourd’hui non seulement comme trop encombrant pour apprécier à leur juste valeur les développements euro-américains de l’esthétique au xxe siècle, mais aussi comme un obstacle de plus en plus sérieux à la reconstruction de l’histoire de l’esthétique chinoise, qui n’a toujours accordé au beau qu’une importance secondaire.

4Une extension du concept d’esthétique s’est ainsi imposée, qui fait même éclater le domaine de l’aisthétique, et qui ne saurait se contenter des efforts d’intégrer la corporalité, l’atmosphère, la force et l’énergie. Dans le contexte sinophone, l’emploi de concepts tels ceux « d’esthétique énergétique » (néngliàng m?ixué ou qìhuà m?ixué ) ou « d’esthétique transformative » (zhu?nhuà m?ixué ) marque la tentative de satisfaire d’une part aux exigences de l’importance du souffle-énergie ( ) et de la transformation énergétique naturelle (zìrán qìhuà ) dans l’histoire de l’art chinois, et d’autre part de prendre suffisamment en considération le rapport étroit existant entre culture de soi esthétique et pratique ascétique (ascèse au sens d’exercice [4]). Le concept d’esthétique énergétique m’apparaît également problématique en allemand ou en français, mais bien moins qu’en chinois, dont les efforts conceptuels non seulement montrent la tension entre les différentes dimensions de sens de l’esthétique, mais font également apparaître les conséquences partiellement absurdes de la dynamique transculturelle à l’intérieur de la langue chinoise moderne. À la différence du nationalisme culturel, qui s’efforce de plus en plus, dans la Chine d’aujourd’hui, de purifier la langue chinoise d’une influence en profondeur forcée par la réception massive du savoir occidental depuis le xixe siècle, il s’agit pour moi de préciser le plus clairement possible chacun des points auxquels a mené cette réception, à ce resserrement trop linguistique et théorique, qui bloque la pensée en chinois ; de plus, mon but est de relier, tout à fait dans le sens de la critique transculturelle [5], la transformation de cette pensée contemporaine en chinois à une transformation de la pensée contemporaine en Europe.

5L’emploi du concept d’aistéthique, unissant aisthétique (en allemand : Aisthetik) et éthique, représente un essai dans cette direction [6]. Le problème de la traduction chinoise « d’esthétique » comme « théorie du Beau » (m?ixué ) est ainsi, en un certain sens, renversé. Le discours del’aistéthique (en allemand : Aistethik) est marqué par l’effort – hésitant et tâtonnant – de trouver à l’heure qu’il est un équivalent français à un concept expérimental chinois, associant une compréhension non seulement de l’aisthétique mais aussi de l’éthique, compréhension formée par une dynamique transculturelle ayant traversé le contexte chinois. En attendant, il me semble insuffisant de limiter ces considérations au problème de la traduction et à la recherche d’alternatives à m?ixué (théorie du Beau) en chinois, qui existeraient tels « théorie de la sensibilité » (g?nxìnglù ) ou « théorie de la perception » (zh?juéxué), et qui sont actuellement utilisées tout au plus dans des études spécialisées académiques, par exemple sur le concept kantien de l’esthétique, et qui restent pour cette raison à la traîne de l’usage de m?ixué, fermement ancré dans le langage quotidien. Il vaudrait la peine d’essayer de renforcer ces traductions alternatives, si celles-ci ne donnaient pas seulement une traduction convenable de l’esthétique, mais résolvaient aussi en outre le problème de l’articulation impossible de la dimension « esthétique » de la culture lettrée chinoise dans le concept de m?ixué. Cela ne me semble toutefois pas être le cas. Le concept d’esthétique demeure attaché à une dimension de perception sensible et de forme sensible, dimension par laquelle précisément la sphère intermédiaire de la transformation énergétique, qui fait dans la philosophie chinoise l’objet d’une attention particulière, ne peut se voir accorder l’importance qui lui est due. Dans cette sphère de la transformation énergétique, les dimensions sensible (g?nxìngde) et suprasensible (ch?og?nxìngde), physique (xíngérxìade) et métaphysique (xíngérshàngde) de l’expérience « esthétique » se distinguent tout en communiquant ensemble l’une avec l’autre. C’est dans ce sens que je comprends la proposition de remplacer la traduction « d’esthétique » comme « théorie du Beau » (meixue), par le néologisme – presque intraduisible – de « théorie de la communication des sens » (g?nt?ngxué ou t?ngxué[7]), qui est imprégné d’associations classiques. Cette proposition rejoint mes réflexions, tout en me semblant encore loin de l’idéal recherché.

6Au cours d’une série de discussions que j’ai conduites sur ce problème, un autre concept s’est progressivement formé, à savoir juéxué, que je traduis moins littéralement que je ne le caractérise philosophiquement par aistéthique, pour m’en approcher sur la voie de la correspondance transculturelle entre des philosophies contemporaines en Chine et en Europe. Ce rapprochement devrait être effectué, en français et en allemand, par une explication des rapports de l’aisthétique et de l’éthique. Je comprends l’aisthétique, à la suite de Gernot Böhme, comme une théorie générale de la perception (allgemeine Wahrnehmungslehre), qui présente d’un côté une dimension sensible-corporelle de la perception humaine. La signification de jué comme « perception empirique » (zh?jué) correspond à cet aspect dans le concept de juéxué. En outre, l’aisthétique dispose d’une dimension du corps propre (Leiblichkeit), par laquelle il est possible d’approcher « l’esthétique des atmosphères » et « le travail esthétique », au centre d’une « nouvelle esthétique ». Ainsi correspondent le deuxième niveau du concept chinois de juéxué, la compréhension de jué comme « sentir, éprouver, ressentir » (g?njué) : au début se trouve l’attention à son propre souffle et à l’air, que nous respirons (l’environnement entre ici en jeu). Ainsi s’ouvre la dimension du souffle-énergie () et du corps énergétique (qìhuà sh?nt?), dont la signification dans le contexte chinois implique bien davantage, que ce qui est devenu concevable dans le cadre d’une esthétique du corps propre et de l’atmosphère.

7Le côté éthique de l’aistéthique entre en jeu avec la troisième dimension de juéxué, à savoir la signification de jué comme « intuition » (zhíjué) ou « illumination » (juéwù). L’esthétique devient éthiquement significative par la transition de l’ascétique esthétique, vers ce que j’aimerais – en référence à Kant et Foucault – appeler l’ascétique éthique (ethische Asketik[8]). Je parle ici « d’éthique » au sens d’un exercice de soi sur soi, d’une transformation ascétique de soi-même, qui ne se conforme pas simplement à la corporalité ou la percerption énergétique (shùnjué), mais qui – dans un renversement réflexif – parte à contre-courant (nìjué) de ces dimensions pour ouvrir ainsi à la dimension « métaphysique » (xíngérshàng) ou « spirituelle » (shén) de la perception intuitive. En ce sens le concept d’aistéthique ne suggère nullement une fusion de l’esthétique et de l’éthique dans un éthos esthétique, comme uncontinuum ininterrompu entre esthétique et éthique ; il s’agit bien plus du fait que l’exercice esthétique puisse devenir éthique, quand la perception sensible et le ressenti (Spüren) énergétique sont tellement tournés vers le subtil, que la qualité de la fadeur se révèle, qualité associée à la « Voie » (dào) à plusieurs reprises dans les textes portant la marque du confucianisme ou du taoïsme. –Aistéthique comme transcendance immanente, qui ne fait un principe absolu ni de l’immanence, ni de la transcendance : comme essai d’admettre la possibilité de la transcendance dans l’immanence de la transformation. Mais ce concept de transcendance immanente est à distinguer « d’une transcendance comme pure absolutisation d’immanence », dont parle François Jullien [9].

8Ces expériences dans les considérations ci-dessus sont incorporées dans le domaine de la philosophie sinophone, dont les conditions de compréhension en Europe doivent encore être créées. L’examen d’une philosophie non-européenne exige, au moins dans le contexte de l’Asie orientale moderne, l’étude de la part de l’européen dans le non-européen, étude qui pose d’énormes difficultés dans une perspective européenne, parce que « nous » sommes confrontés continuellement à la présence de ce qui vient de nous dans ce qui est étranger, et à une hybridisation philosophique, qui réduisent à néant les stratégies d’une herméneutique contrastée construisant la Chine comme un « dehors ».

2 – Le nu en Europe et en Chine

9Pourquoi ces considérations expérimentales sur la compréhension de l’aistéthique et de juéxué? Je souhaiterais maintenant m’approcher d’une réponse préliminaire à cette question en passant par un examen critique de quelques idées du philosophe et sinologue François Jullien concernant la pensée et l’esthétique chinoises. Je nourris des doutes considérables quant à la perspective centrale de Jullien, perspective qui comprend la Chine globalement comme un dehors, dont il tire prétexte pour réflechir sur les présupposés implicites, les impensés, de la philosophie en Europe. Je ne peux me défendre de l’impression que le contraste méthodologico-stratégique posé entre l’Europe et la Chine, rejoué dans des variantes multiples, ne mène finalement au renforcement des idées reçues et des clichés européens sur la Chine qui doivent être dépassés pour entrer dans un travail de critique transculturel sur les problèmes communs – en Chine et en Europe – du présent.

10Jean Levi a critiqué Jullien en disant que les contrastes proposés par ce dernier « aboutissent à un catalogue d’antinomies attendues qui appauvrissent des deux cultures en les réduisant au squelette des représentations scolaires. […] Quelques tournures empruntées à Foucault et Deleuze qui viennent émailler l’illusion d’une analyse novatrice ; en réalité, la vision qui nous est proposée tant de la Chine que de l’Occident est des plus convenues et des plus traditionalistes. […] La démarche même de François Jullien me paraît conduire à une impasse ; elle stérilise toute approche comparative originale [10]. » Cette critique me semble très juste sur le principe ; mais en même temps je suis convaincu de l’importance de la pensée de Jullien, parce que celui-ci a réussi à lier la sinologie et la pensée contemporaine d’une façon vraiment novatrice. Je préfère donc, plutôt que de rejeter en bloc la pensée de Jullien, de penser avec Jullien contre Jullien, de dynamiser les contrastes et de vraiment faire entrer des ressources historico-culturelle chinoises dans la philosophie critique contemporaine – d’expression européenne ou chinoise moderne.

11La critique de Levi se confirme d’une façon stupéfiante dans le dernier chapitre du livre de Jullien, L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe, intitulé « L’idéal n’est pas épuisé ». Son auteur voit la « crise de l’Europe » actuelle dans une « transformation silencieuse », qui affaiblit l’Europe par une sorte de sinisation rampante. Cette sinisation ne se fait pas à la manière d’une influence directe ni non plus indirecte de la Chine sur l’Europe. Elle consiste au contraire en une assimilation qui s’accompagne du refus de la métaphysique platonicienne, une métamorphose de l’Europe vers la « non-idéalité chinoise [11] », une pensée transformative vers laquelle la philosophie en Europe avance pour des raisons internes : la pensée en Europe se glisse dans une « transformation silencieuse [12] » et mine les conditions de possibilité de son redressement historique. – Cette perspective me rappelle les déclarations excitées de nombreux philosophes chinois, pour qui la critique de la métaphysique et le déclin de l’Occident coïncident et qui pour cette raison, à la différence maintenant de Jullien, insistent sur le fait que la philosophie chinoise a développé sa propre métaphysique. Pourtant, l’observation de Jullien sur la « transformation silencieuse » de l’Europe m’intéresse – à cela près que je vois dans l’affaiblissement qu’il proclame de la confiance dans l’idéal et le salut, l’utopie et la révolution, un décalage historique dans lequel la faculté pas particulièrement héroïque de l’Europe semble indubitablement s’orienter de nouveau après les catastrophes de la première moitié du mxxe siècle et après le déclin : la possibilité de s’éloigner de l’héroïsme, de remettre en question le culte du choc et de la rupture, de percer à jour la compulsivité dans l’élan du dépassement permanent des limites, et de ne pas se griser plus longtemps aveuglément de la violence des révolutions.

12Jullien en revanche invoque impassiblement la « quête de l’idéal », dans laquelle la fécondité de la culture européenne se trouve à son avis fondée. De même, son livre De L’essence ou du nu qui porte sur les conditions de possibilité du nu dans l’art européen et de son impossibilité en Chine, est marqué de ce motif. La comparaison ainsi ouverte de deux cultures du sens conduit à une interrogation plus large : celle de savoir jusqu’à quel point il peut au fond être question d’une culture du sens dans le cas de l’histoire de la culture lettrée chinoise. À cette interrogation : que signifie penser la sensibilité et la corporalité énergétiquement et de manière conséquente, c’est-à-dire, moins à partir de laforme que de la transformation ?

13La culture du sens, qui fait partie de l’horizon de la culture de soi, montre avant tout l’apparence d’une non-sensualité, non seulement parce que les arts importants comme l’écriture du pinceau ou la peinture au lavis d’encre sont marqués d’un abandon important de la « couleur » () ( peut aussi signifier la sensualité et la sexualité), mais aussi parce que le corps humain, et avant tout le corps humain nu, est ainsi presque entièrement estompé. Dans le même temps, le corps n’est assurément pas idéalisé non plus, et ne sert ainsi pas de medium à la quête d’une forme idéale, dans laquelle s’exprimerait une pensée métaphysique. L’absence d’attrait chromatique et la prédilection pour les nuances de noirs témoignent de la sorte moins d’une inimitié envers les sens, que d’une cultivation du sens fascinée par la perméabilité entre le sensible et le spirituel, la sensibilisation du spirituel et la spiritualisation du sensible, cultivation qui a ainsi établi un passage entre les deux, vers le champ de diverses pratiques ascétiques. La culture lettrée chinoise a-t-elle pu développer une sensibilité subtile, un « matérialisme “supérieur” car subtil [13] », parce qu’elle était pluset moins attachée à la sensibilité que le courant dominant de la culture européenne ? L’art et l’artisanat d’art ne présentent-ils pas des témoignages d’un tel matérialisme subtil, depuis la mutabilité incessante de la calligraphie, jusqu’aux glaçures fades et aux formes affinées de la céramique d’époque Song ? Oui. Mais cette forme d’interrogation adhère encore à une distinction entre matérialisme et idéalisme, interrogation en un sens métaphysique, avec laquelle le concept d’aistéthique tend à prendre ses distances. L’aspiration à sortir du cercle vicieux du dépassement et de la réprobation du corps, ouvre à une perspective transculturelle sur un motif classique de l’esthétique et de l’éthique chinoises : le lien entre transformation énergétique et culture de la fadeur.

14« Pourquoi la peinture lettrée, en Chine, a-t-elle finalement préféré la figuration d’une tige de bambou, ou d’un rocher, à celle du corps humain ? Un homme – un rocher : étrange vis-à-vis… Car peut-on les comparer ? Le critique chinois le donne à croire puisqu’il part du principe que peindre un rocher fait appel à la même exigence que peindre un corps humain. Non qu’il considère le corps humain figé, mais parce qu’il considère le rocher vivant [14]. » En conséquence de quoi, la peinture lettrée chinoise est obligée d’articuler la transformation des énergies naturelles dans des formes esthétiques de telle sorte que le passage d’un état est inclus dans un autre : « de l’un à l’autre, la peinture chinoise peint la trans-formation. Elle peint l’effet de vague et de flou […] qui va de pair avec la mutation. Or, tout est toujours en mutation. Tandis que la pensée grecque valorise le formé et le distinct, d’où son culte de la forme définitive qu’exemplifie le Nu, la Chine pense – figure – le transitionnel et l’indiciel (sous les modes du “subtil”, du “fin”, de “l’indistinct”) ; et c’est en quoi sa pensée est précieuse. Car la pensée grecque, se fondant sur le principe de contradiction et accordant tout le crédit à la clarté […], nous a laissés étrangement démunis à cet égard : penser (figurer) l’indistinct de la transition. C’est pourquoi la Chine a privilégié la figuration de bambous et des rochers, des vagues et des brouillards, et non pas du nu [15]. »

15Et, ce qui est décisif pour comprendre sa perspective, Jullien dans son explication de la signification du nu dans l’art européen ne se contente pas du motif de la sublimation du désir ou de l’idéalisation du corps dénudé vers une beauté harmonieuse de la forme, il voit plutôt dans la « révélation » de la forme idéale une puissance et un « effroi », qui autorisent seulement à parler d’une manifestation du vrai dans le visible : « cet effroi naît d’un vertige face à ce qui surgit d’Infini dans ce qui s’offre en même temps comme le plus rigoureusement circonscrit et fini, et dont rien n’estompe la forme même – celle d’un corps nu. C’est de l’irruption soudaine de cet Ailleurs au sein de l’immédiateté du sensible, du plus sensible, dans le contour de la carnation de cette forme nue, que nous sommes saisis d’“effroi”. L’expérience est métaphysique [16]. » Il écrit ailleurs : « Le nu surgit d’un grand face-à-face héroïque avec l’Être [17]. » Le nu rend visible dans la forme une forme idéale, dans la visibilité une visibilité supérieure, métaphysique. La signification centrale du nu dans l’art européen et son absence dans l’art chinois amène le procédé contrastif de Jullien à établir d’une part un lien entre le nu et la philosophie (métaphysique) en Europe, ainsi que, d’autre part, entre la non-existence du nu en Chine et l’absence de métaphysique dans la pensée chinoise, dont Jullien tient pour caractéristique l’absolutisation de l’immanence. D’abord le regard de loin, le regard qui par le détour par le dehors chinois, a pris connaissance d’un lieu dans l’art duquel le nu ne joue aucun rôle significatif, donne, selon Jullien, un aperçu explicite sur l’essence cachée de la culture européenne : « s’il est un trait révélateur de l’aventure intellectuelle de l’Occident, esthétique mais aussi théorique, c’est-à-dire qui le caractérise en fonction d’un choix propre (et permette ainsi de parler d’Europe ou “d’Occident”), c’est bien le nu [18]. »

16Le nu devient un problème philosophique aussi dès que se pose la question des conditions de sa possibilité ou de son impossibilité. L’absence du nu renvoie à une impossibilité, dont Jullien essaie de retrouver l’origine jusque dans la pensée chinoise. Ainsi, de même que l’existence du nu révèle une particularité de la culture chinoise, son absence met en évidence des qualités spécifiques de la culture et de la pensée chinoises [19]. De là, Jullien progresse vers la caractérisation des spécificités respectives de la culture et de la pensée en Europe et en Chine. Ainsi il travaille une fois de plus avec le contraste entre l’être et le procès, qu’il élargit maintenant à la discussion esthétique du rapport de la forme idéale à la transformation énergétique. Jullien en vient logiquement à se demander si l’artiste et l’amateur d’art en Chine n’ont à vrai dire jamais recherché le beau, compris au sens de la forme idéale.

17Sa réponse est que l’art en Chine n’a pas employé la belle forme, mais plutôt un rapport entre le matériel et le spirituel, le manifeste et le caché, rapport centré autour du motif de l’énergétique. Alors que l’art européen a cherché la révélation d’une substance par l’intermédiaire du nu, il fut question pour l’art chinois de la transmission d’une vivacité plus subtile, échappant à la perception sensible, à l’intérieur de la forme visible : « Les artistes chinois ne cherchent pas plus à faire surgir du plus visible au sein du visible qu’ils ne visent à faire descendre l’idéal en lui ; ils aspirent, en revanche, à capter l’invisible au travers du visible : à capter cette dimension d’efficience invisible ou d’esprit (shén), et comme telle infinie, qui ne cesse de traverser le visible et de l’animer [20]. » Ainsi « les Chinois ont préféré l’expérience d’un fade dont la capacité de déploiement se découvre inépuisable. Cette fadeur est celle du discret. Or, un nu n’est jamais discret ; il faut au contraire effraction [21]. » Ainsi l’herméneutique contrastive de Jullien s’approche-t-elle par la démarcation négative, du rapport entre la transformation et la fadeur. Ce rapprochement révèle des vues fascinantes, mais reste insuffisant tant qu’il conditionne l’écart entre la forme et la transformation, l’idéal et l’efficacité, l’effraction et la fadeur, le spectaculaire et le discret, à la contrainte d’un choix existentiel pour l’un ou l’autre côté.

18Par sa louange de « la puissance d’effraction du nu [22] », Jullien s’éloigne de l’idéalisation néo-classique du nu dans l’éthéré, et d’une minimisation harmonieuse de la métaphysique, pour laquelle il prend un parti si convaincu, en même temps que pour une interprétation déterminée de l’Europe [23]. Ainsi il s’oblige, et « nous » avec lui, à une fausse alternative, dans un pernicieux ou bien – ou bien, derrière lequel guette un agressif schéma ami-ennemi. N’est-il pas question pour lui en fin de compte, de mieux comprendre la Chine, pour pouvoir mieux la combattre ? Pour la maintenir dehors – hors de l’Europe ? C’est la direction qu’indique cette curieuse question : « Quelletransformation silencieuse défait l’Europe [24] ? » L’idée qu’une sinisation insidieuse de l’Europe puisse venir de la crise de la métaphysique platonicienne et des ouvertures internes de l’Europe pour une telle transformation silencieuse, lui semble si détestable, qu’il voit le destin de l’Europe en jeu et qu’il croit, une fois de plus, devoir peindre sur le mur le déclin de l’Occident. La stratégie d’une ouverture vers le dehors (de la Chine ou du non-européen) qui néanmoins tient dehors d’une main ferme son influence réelle, pourrait correspondre à la peur inconsciente répandue en Europe de la menace de la Chine. Je me demande en revanche s’il n’existe pas une possibilité en Europe, par sa réceptivité pour la subtilité des transformations silencieuses, de s’ouvrir aussi à la sphère de la fadeur, dans laquelle la culture des lettrés chinois a trouvé une articulation extrêmement différenciée.

19Je ne voudrais néanmoins pas écarter si facilement d’un revers de la main les réserves de Jullien. Son aversion pour les tendances à ce développement est-elle entièrement sans fondement ? Sa démarche aboutit certes à étouffer précisément cette dynamique transculturelle, qui est née sur fond de capitalisme global, dynamique ayant résulté de problèmes partagés par l’Europe et la Chine, et de laquelle la culture sort aussi changée en Europe. Toutefois, on ne peut dénier la sensibilité perspicace avec laquelle Jullien a mis le doigt sur lecoût politique de la pensée de la transformation et de la fadeur : selon lui, l’inclination des lettrés chinois pour la fadeur correspond à un régime politico-économique, dans lequel la politique de l’harmonie et l’économie de l’énergie forment des liens si étroits, que toute possibilité de critique et de dissidence est exclue. La fadeur subtile et l’intensité spectaculaire renvoient ainsi non seulement à différentes cultures de l’expérience sensible, mais aussi à différents régimes du corps dans lesquels esthétique et politique s’assemblent différemment.

3 – Transformation et critique

20Le motif du « se maintenir évolutif » comme empreinte individuelle de la pensée chinoise du procès et de la transformation traverse les études de Jullien sur la pensée et l’esthétique des lettrés chinois. C’est la grande intuition, toujours variée, dans sa réflexion sur la culture chinoise, et à laquelle mes propres considérations doivent beaucoup. Cela devient problématique lorsque Jullien se met à l’interprétation politique de cette intuition, et qu’il la lie logiquement au conformisme et à l’absence de critique. Cette tendance apparaît de façon très directe dans son interprétation du penseur, poète et musicien Xi Kang, l’un des sept sages légendaires de la forêt de bambous, dont l’importance pour le développement de la culture lettrée chinoise depuis le troisième siècle ne saurait en rien être surestimée [25].

21Jullien considère l’idée, déployée en conséquence, de la vie comme procès transformatif ainsi que ses rattachements au motif d’une harmonie de l’énergie humaine et cosmique, comme un obstacle décisif pour la formation de la critique et de la dissidence en Chine. Ces dernières requièrent au contraire pour Jullien l’occupation d’une position face à, et éventuellement aussi en opposition, au pouvoir, ne pouvant éviter ainsi l’arrêt, l’obstruction, et l’unilatéralité. Il s’étonne, à propos de l’exécution de Xi Kang pour raisons politiques, que cette puissance brutale et arbitraire du pouvoir ne soit combattue que par la musique de sa cithare Qin ; et pour cette raison il y voit une preuve de ce que « l’idéal de la disponibilité » s’accompagne du « [refus de] penser le conflit [26] ». Le « lettré chinois », selon la généralisation de Jullien, est resté bloqué depuis plus de deux mille ans dans l’alternative « entre l’engagement au service du prince et le repli sur le développement personnel ». Pour devenir un intellectuel critique, le lettré aurait dû rompre avec la pensée harmonieuse de la « fonctionnalité processive », et s’avancer vers ce « plan de l’idéalité », avec lequel il considère que le développement de la culture européenne est fatalement lié. Le « lettré chinois » ne s’est construit aucun droit de défense, de résistance, ni même de critique face à un appareil d’État trop puissant, car cela aurait demandé « la constitution d’un autre côté (que celui du pouvoir) [27] ». L’alternative donnée par la tradition lettrée comme changement harmonieux, entre la cour et la forêt de bambou, n’était-elle pas, toujours selon Jullien, rien d’autre qu’une « illusion – simple fuite, sans [aucune] valeur utopique[28] » ? La mort exemplaire de Socrate ne montre-t-elle pas un « autre ordre du monde », tandis que Xi Kang a enduré une mort absurde, dénuée de toute révolte et de tout espoir ? C’est en ce sens que Jullien voit les lettrés chinois « condamné[s] au silence éternel des processus [29] ».

22Au contraire de l’immanence an-utopique du procès, s’accompagnant d’un mode de vie toujours en flux, Jullien évoque à plusieurs reprises la force utopique de la tradition métaphysique de l’Europe, pour opposer « l’effraction de l’idéal » européenne à « l’intégration dans l’harmonie » chinoise [30]. Cette opération interculturelle me semble témoigner d’un désarroi vis-à-vis du rapport entre l’immanence et la critique, contre lequel la philosophie européenne moderne depuis Spinoza et Leibniz s’est battu de diverses manières [31]. Pour cette raison, je me demande si le problème formulé par Jullien n’est pas devenu depuis quelques siècles un problème européen, renvoyant à la possibilité de la critique, avec en arrière-plan général, une philosophie de l’immanence qui s’est donné pour l’une de ses tâches prioritaires la reconnaissance du devenir, du changement et du corps. Après le déclin de la métaphysique traditionnelle et de la théologie chrétienne, la critique immanente est liée à des rapports de forces et de pouvoir nécessairement et spécifiquement historiques, à l’intérieur desquels il lui faut se constituer. Avec cet arrière-plan, apparaît la possibilité, par le motif de la transformation énergétique, d’entrer dans une dynamique de critique transculturelle, dans laquelle la pensée contemporaine en Chine et en Europe pourrait correspondre réciproquement de façon critique. À vrai dire, le rapport conceptuel du pouvoir et de la force à plusieurs reprises a fatalement conféré aux démarches de l’ontologie énergétique, de Nietzsche à Foucault, la tendance vitaliste à l’intensivité du corps, la mobilisation des forces et la transgression des limites. L’enlisement vitaliste d’un concept culturel – et non physique – de l’énergie incite d’une part au scepticisme, mais aussi d’autre part aux efforts de défaire l’énergétique de la contrainte de l’intensivité. Ainsi le potentiel critique du rapport de la transformation énergétique et de la culture de la fadeur entrent en ligne de compte.

23Au cours de sa discussion de la subtilité del’indirect littéraire, Jullien demande : « Quel est le coût – politique – de cette subtilité [32] ? » Il évalue le « coût » de cette subtilité, avec laquelle le motif de la fadeur s’associe le plus étroitement, en fonction du présent : le prix ne se manifeste ainsi pas seulement par l’incapacité historique de dépasser le système de l’autoritarisme impérial, mais encore dans la difficulté que les lettrés chinois ont de se moderniser pour devenir des intellectuels, et de faire avancer la démocratisation de la Chine. Cet aspect est d’importance pour la discussion du rapport de l’immanence et de la critique, parce qu’au xxe siècle le scrupule esthétique de l’art moderne et la pensée de l’immanence, pour laquelle la transcendance et la finalité sont devenues problématiques, est entré dans une constellation qui pose à nouveau, et avec persistance, la question de la possibilité de la critique et de la dissidence.

24Pour Jullien, aucun chemin ne mène de la prédilection lettrée pour la fadeur à la critique sociale et politique. Au contraire, je soupçonne pour ma part que se produise chez Xi Kang un changement paradigmatique du motif de la fadeur de l’esthétique vers l’éthique, qui étaie cette franchise de la parole et de l’action critique, pour lesquels il a avant tout été exécuté [33]. L’interprétation que Jullien donne du passage final de l’essai « Nourrir sa vie » de Xi Kang exclut à vrai dire un tel changement réflexif : l’opposition entre l’insistance de l’harmonie et l’exclusion de la dissidence est par trop placé au premier plan. L’embarras clairement exprimé par Jullien à l’encontre de l’idéal de Xi Kang du nourrissement de la vie s’intensifie dans sa remarque selon laquelle Xi Kang semble exclure « tout trouble, tout doute, toute inquiétude » et « ne laisser de chance pour aucune effraction – et ce jusqu’à l’étouffement (celui du cri, du rire, du pathétique, de la jubilation [34]…) ».

25En traitant de bien nourrir sa vie, Xi Kang « oublie le divertissement pour avoir son content de joie » (wàng huan ér hoù lè zú). Jullien y voit non seulement supprimée l’aspiration au bonheur, mais aussi la rupture avec l’utopie, dont la transcendance a d’abord rendu possible l’autonomie, la liberté et la conception du politique [35]. Le nourrissement de la vie se refuse au contraire à produire une dissonance avec le « naturel », et érige en principe absolu l’immanence de la transformation énergétique naturelle, et sa régulation par la culture de soi. La vie individuelle qui est en jeu est ainsi certes dépourvue de toute finalité, mais vidée « de toute personnalité et de tout caractère [36] ». Selon Jullien, la mort de Xi Kang n’annonce aucune révolte ni aucun espoir, parce que celui-ci s’est refusé à « se construire une position[37] ». Pour cette raison Xi Kang incarne pour Jullien « seulement par défaut le non-conformisme et les périls – à méditer – auxquels celui-ci entraîne » (Jullien se réfère à la tradition historique, selon laquelle une querelle personnelle est devenue la cause de l’exécution de Xi Kang [38]). Incapable de s’échapper du cadre de « l’immanence de la Grande conformité naturelle », cadre « qui se referme sur [Xi Kang] et l’engloutit », le pouvoir a eu le dernier mot : « Le moment venu de son exécution, est-il rapporté, Xi Kang aurait joué une dernière fois, sur sa cithare, “L’Ode à la Grande paix”. Quel autre recours aurait-il, en effet, que d’invoquer encore l’Harmonie ? Puis, à l’instant d’être mis à mort, il se serait retourné pour considérer son ombre. Las ! cette ombre est bien là, qui le suit toujours […] Selon l’espérance taoïste, qui aurait suffisamment affiné et décanté sa nature, au point de ne plus voir son ombre projetée derrière lui, y trouverait l’assurance de ce que sa propre matérialité, définitivement épurée, serait enfin devenue impérissable [39]. »

26Par cette interprétation problématique d’un point de vue philologique [40], Jullien n’a pas seulement exprimé son jugement politique sur la musique de la cithare Qín, qu’il a ailleurs caractérisée brièvement, quoique de façon compréhensive [41], mais encore il a discrédité en fin de compte toute étude ultérieure de X? K?ng et de la culture lettrée chinoise.

27La discussion de Jullien sur la cultivation taoïste montre comment sa grille comparative l’amène aussi dans ce cas à considérer fixement deux attitudes impitoyablement opposées : d’un côté, la préservation et le nourrissement de la vie, dont l’économie énergétique de la transformation de soi se fait uniquement au prix selon lui du conformisme et de la perte d’autonomie ; de l’autre côté, une dissipation de la vie, qui se dépasse héroïquement dans le bouleversement et dans cette effraction de la passion, à laquelle a aussi déjà guidé la discussion du nu [42]. C’est contre cela que j’aimerais plaider pour l’abandon de l’opposition abrupte entre subtilité indirecte et intensité héroïque, et pour au contraire essayer au moins de rendre justice à l’esthétique de la résistance, dont l’art de Xi Kang s’accompagne et qui me fait revenir au concept d’aistéthique.

4 – Fadeur et résistance

28L’illustration (fig. 1) [43] représente un homme aux habit amples, qui joue de la cithare Qín, posée de travers sur ses jambes croisées. Il est assis sur un rocher, environné des deux côtés par l’eau coulant à flots, et il regarde les rochers de la rivière en pente. À l’arrière-plan on voit des arbres et des arbustes. Même si cette peinture a été peinte bien après la mort de X? K?ng, je la donne ici, parce qu’elle communique une impression de la signification du rapport à la nature, la montagne et l’eau (sh?nshu?) qui a marqué la culture lettrée chinoise pendant très longtemps. Jouer de la cithareQín directement dans la nature ou dans un pavillon situé dans un milieu naturel, marcher dans la nature un instrument enveloppé dans un étui en tissu sous le bras [44] (fig. 2), relèvent des motifs constamment répétés de la peinture des lettrés. Les sources littéraires qui remontent considérablement plus haut, attestent de diverses manières non seulement de la signification soulignée du rapport entre la musique et la nature, mais aussi de la grande attention au rôle que l’environnement et l’atmosphère ont joué dans l’esthétique de la cithare Qín. Joué sur des cordes traditionnelles de soie, la cithare Qín offre de soi-même un jeu vigoureux identiquement léger et discret (si bas que l’on peut en jouer tôt le matin ou tard le soir sans déranger ses voisins).

29Les exigences pour l’attention au milieu et à l’atmosphère mènent consécutivement au fait que la valeur de l’instrument ne peut pas seulement reposer sur la qualité de la représentation ou sur la différentiation de la sonorité, mais doit plutôt être perçue de même manière comme medium de l’éthique ascétique, comme « outil de cultivation de la voie » (xiu dào zh? qì ), pour que l’on puisse apprécier convenablement ses qualités esthétiques. La fadeur n’est pas seulement un mode de l’articulation esthétique, mais aussi un idéal de cultivation défendue aussi bien par les textes taoïstes que confucianistes [45].

30Le « Poème en prose sur le Qín » (Qín fù) de X? K?ng est l’un des textes les plus importants de philosophie de la musique de son temps, et qui complète son influent « Traité sur la non-tristesse et la non-joie des sons » (sh?ng wú a? lè lùn). L’éloge de la cithare Qín par X? K?ng n’est pas seulement un texte extrêmement exigeant d’un point de vue littéraire qui laisse hermétiquement ricocher sur lui toute tentative de traduction. Sa forte coloration taoïste semble réduire en outre son caractère représentatif. De même, l’entrelacement qu’il effectue entre facteurs matériels, énergétique et spirituel permet, me semble-t-il, un examen caractéristique d’aspects importants de la culture lettrée chinoise, d’autant plus qu’il confronte rapidement la lecture musico-esthétique à ses limites, et qu’il invite par là à essayer de le lire de façon tout simplement aistéthique[46].

31Le « Poème en prose sur le Qín » décrit un paysage de montagnes imprégné de l’harmonie entre le ciel et la terre, d’un milieu naturel, dans lequel poussent les arbres, dans la matière desquels est idéalement assemblée la cithare qin. Un tel environnement de falaises escarpées, de courants rapides, de nuages denses et d’arbres élevés a ensuite un jour éveillé dans le cœur des ermites qui vivent retirés, le voeu d’exprimer musicalement leurs pensées. Ils ont coupé la branche robuste d’un arbre majestueux, pour en faire un instrument, dont la fabrication et les caractéristiques sont décrites : les plus hauts sentiments de ces savants des montagnes et des bois se concentrent dans le choix des matériaux, de la forme et de la couleur. Ensuite quelques pièces de musique deQín sont caractérisés, le milieu approprié pour le jeu et les possibilités de variations du doigté sont décrits, pour finalement venir à parler des vertus de ces « hommes parfaits » (zhìrén) accomplis, lesquels « sont capables d’épuiser [les virtualités du]Qín élégant » (néng jìn y? qín).

32Ce texte, dont la structure ne témoigne pas seulement d’une progression des qualités matérielles vers les qualités spirituelles, mais transmet également les deux moments constamment l’un dans l’autre, exigerait une discussion détaillée, que je ne peux faire ici. Au lieu de cela je vais, avec la brièveté qui s’impose, revenir à la question de savoir dans quelle mesure une cultivation centrée sur « le nourrissement regulateur de l’esprit-énergie » (d?o y?ng shén qì[47]), qui possède en outre de forts traits de philosophie naturelle, puisse être une source de critique et de résistance. Ainsi X? K?ng ne se limite pas à confronter la liberté de la vie naturelle au caractère disciplinaire des formes civilisatrices. La violence disciplinaire des techniques du pouvoir politiques est opposée au contraire à la cultivation, pour laquelle un rapport harmonieux à la nature, au corps-propre et à l’extérieur, est d’une importance supérieure. Son poème en prose sur la cithare Qín évoque la possibilité des « hommes parfaits », et permet à cet instrument de musique de prendre part à cette transformation naturelle d’énergie, et de transformer en la nourrissant la vie propre. La cultivation qui s’en accompagne ainsi exige de prendre de la distance avec les passions humaines et d’entrer dans un monde, que X? K?ng désigne comme suit à la fin de son essai « Nourrir la vie » : un état de clarté, de vide, de calme et de tranquillité, qui exige la diminution des intérêts privés égoïstes et la réduction des désirs, abordées dans le Laozi[48]. Selon son opinion, une telle cultivation n’est toutefois pas liée à la contrainte ou à l’interdit. Les désirs des sens sont maintenus à distance, mais non réprimés, pour autant que s’ouvre d’abord par la cultivation l’entrée dans le monde de « la subtilité merveilleuse des choses extérieures », qui peuvent être connues par la « raison », mais seulement difficilement vues par les yeux [49]. Le discours des « choses extérieures » n’implique ici aucun monde métaphysique opposé au monde physique, plutôt une sphère de la transformation subtile et de la différentiation qui échappe à la perception sensible et qui doit rester fermée au « cœur frénétiquement concurrentiel » (zào jìng zh? x?n). Cependant cette sphère est ouverte à une perception intuitive ayant appris à se mouvoir dans la zone frontière de la sensibilité, dans cette sphère entre le manifeste et le caché, dans laquelle le visible surgit de l’invisible, l’audible de l’inaudible, ou alors le visible disparaît dans l’invisible, l’audible dans l’inaudible, pour laisser ainsi un subtil dernier reflet ou résonnance : la culture de la fadeur est une école du ne-pas-encore-être et du laisser-du-reste (yúràng). Un art de l’ascèse transparaît chez X? K?ng qui ne cherche pas à réprimer ou même à écraser les pulsions. Au contraire son pouvoir porte en profondeur, sur la voie d’un élargissement et affinement du sensible, un art de « l’auto-sublimation de la sensibilité [50] » : « La richesse et le luxe ne valent pas un regard pour qui trouve une joie extrême dans la grande harmonie ; le vin et la couleur (: sensualité, sexualité, charmes féminins) ne sont pas dignes des efforts de qui trouve une saveur exquise à la fadeur discrète [51]. »

33La nature – séjourner entre montagne et eau et y jouer de la cithare Qín –, n’est à mon avis pas pour X? K?ng un simple lieu de retraite ni de fuite, plutôt un lieu de concentration de forces, un lieu de solitude, qui rende possible la concentration sur les aspects essentiels de la vie. La nature apparaît à présent comme la partie d’un chemin recherché qui vise à un état où l’on obtient les choses naturellement et sans en avoir l’intention (wú wéi zì dé), à une harmonie avec soi-même (t? qì hé píng), débarrassée du regard utilitaire et stratégique sur les choses. Le nourrissement de la vie se présente comme une cultivation, par laquelle un sujet énergétique rapproche l’une de l’autre matérialité et spiritualité (xíng shén xi?ng q?n), pour atteindre un état « harmonieux » de modération, rendant d’abord possible un mouvement entre investissement dans le monde et retraite hors de celui-ci. Par là, la cultivation se fraie un chemin jusqu’à cette couche, qui s’appelle chez X? K?ng le public (g?ng) : vers l’expression publique d’une vérité sur l’état de la société présente.

34La vie de X? K?ng ne manque pas de moments transgressifs ni choquants. C’est la direction indiquée par exemple par le style de provocation cassante par laquelle il a rompu son amitié avec Sh?n T?o, qui appartenait également au groupe des Sept Sages de la forêt de bambou, après que celui-ci avait essayé de le pousser à accepter un poste de fonctionnaire. Non seulement l’amitié est pour lui de la plus grande importance (il retire son amitié à qui ne prend pas les choses au sérieux jusqu’au bout), mais encore aussi le discours ouvert, sans ménagement, qui critique à cœur ouvert l’état de choses social et politique. Le « Traité du renoncement aux intérêts privés » (shìs lùn) discute de la figure idéale de l’homme de bien en ce qui concerne son rapport au public (g?ng) et au privé (s?), et souligne que l’homme de bien « vide son sac » (jìnyán), il exprime franchement ce qu’il a sur le cœur (zhí x?n ér yán) et ainsi incarne le public, tandis que le « petit homme » (xi?o rén ) commun dissimule en privé son avis : le cœur de l’homme de bien est « sans fixation en ce qui concerne le juste et le faux » (x?n wú cùo h? shì fe?) ; il évite les positions préétablies, pour ne pas s’opposer à la « voie » dans son action. Développer un état de « cœur vide sans fixation » (x? x?n wú cùo), est compris comme condition à une « action juste », qui dépasse les règles extérieures de la ritualité et de la loi, pour suivre le naturel (yùe míng jiào ér rèn zì rán), comme l’énonce une proposition programmatique de ce texte. Ainsi le fait d’être ainsi de par soi-même naturel se montre-t-il comme source de la sincérité critique de X? K?ng.

35Dans la cultivation d’un état de spontanéité naturelle, qui donne la norme de la critique sociale et politique de X? K?ng, le naturel et les techniques du nourrissement de la vie (y?ng sh?ng zh? shù) ne sont aucunement antagonistes ; le naturel résulte, au contraire, des pratiques de l’exercice qui cultivent un rapport prononcé à la culture matérielle du sens, mais qui ne s’y limitent pas. Les conceptions de X? K?ng de la philosophie musicale, et son poème en prose sur la cithareQín sont étroitement en rapport avec sa conception de la cultivation de la vie. Son existence très profondément esthétique fait éclater pourtant même le cadre élargi d’une théorie générale de la perception, qui essaye d’associer outre la perception sensible et l’expérience du corps propre. À travers le poids important que la cultivation de la fadeur, de cet idéal apparemment paradoxal de la condition humaine fait ici advenir, je me vois contraint à la recherche d’un concept, qui puisse réunir ces aspects : aistéthique.

Notes

  • [1]
    Theodor W. Adorno, « Anton von Webern », in Adorno, Gesammelte Schriften, 20 vol., Frankfurt/M, Suhrkamp, 1973-1986, vol. 17, p. 208.
  • [2]
    Cf. François Jullien, Eloge de la fadeur, A partir de la pensée et de l’esthétique de la Chine, Paris : Philippe Picquier, 1991.
  • [3]
    Cf. Gernot Böhme, Atmosphäre, Essays zur neuen Ästhetik, Frankfurt/M : Suhrkamp 1995, et Aisthetik Vorlesungen über Ästhetik als allgemeine Wahrnehmungslehre, München, Fink, 2001.
  • [4]
    La tentative que fait Christoph Menke de relier une esthétique de la force et de l’énergie, reconstruite à l’aide d’auteurs germanophones du xviiie siècle (Sulzer, Herder), au concept des exercices éthiques du sujet (Michel Foucault), ouvre d’intéressantes possibilités de rattachement aux discussions esthétiques en Asie orientale, et dépasse ainsi les oppositions trop figées proposées par F. Jullien. Cf. Christoph Menke, Kraft : Ein Grundbegriff ästhetischer Anthropologie, Frankfurt/M, Suhrkamp, 2008.
  • [5]
    Cf. Fabian Heubel, « Des enjeux d’une critique ‘transculturelle’ à partir de l’œuvre du dernier Foucault », in Cahiers de l’Herne : Michel Foucault (sous la direction de Philippe Artières, Jean-François Bert, Frédéric Gros, Judith Revel), Paris, Éditions de l’Herne, 2011, pp. 358-363 ; et « Transkulturelle Kritik und die chinesische Moderne : Zwischen Frankfurter Schule und Neokonfuzianismus », in Iwo Amelung, Anett Dippner (eds.), Kritische Verhältnisse : Die Rezeption der Frankfurter Schule in China, Frankfurt/M, Campus, 2009, pp. 43-65.
  • [6]
    La différence imperceptible, qu’il est facile de ne pas voir, entre aisthétique et aistéthique, est un point décisif de mon exposé : seul est déplacé un « h » muet, silencieux. Pour diminuer le risque de confusion, j’écris toujours aistéthique en italique. La graphie aisth-éthique serait moins exposée à ce danger, cependant la possibilité serait gâchée ainsi de représenter également orthographiquement le thème d’une « transformation subtile », qui est néanmoins profonde.
  • [7]
    Xià K?j?n, Píngdàn de zhéxué (Philosophie de la fadeur), B?ij?ng, Zh?ngguó shèhuì ch?b?nshè, 2009, p. 39.
  • [8]
    Immanuel Kant, Metaphysik der Sitten, édition des œuvres en 12 volumes, Wilhelm Weischedel (éd.), Frankfurt/M, Suhrkamp, 1968, vol. 8, p. 625.
  • [9]
    F. Jullien, Procès ou Création, Une introduction à la pensée des lettrés chinois, Paris, Seuil, 1989, p. 285.
  • [10]
    Jean Levi, « Réponses à un questionnaire sur François Jullien pour un journal vietnamien», in Réflexions chinoises. Lettrés, stratèges et exentriques de Chine, Paris, Albin Michel, 2011, p. 200.
  • [11]
    François Jullien, L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Paris, Seuil, 2009, p. 287.
  • [12]
    Cf. François Jullien, Les transformations silencieuses, Paris, Grasset, 2009.
  • [13]
    Alfred Schmidt, Goethes herrlich leuchtende Natur: Philosophische Studie zu deutschen Spätaufklärung, München, Hanser 1984, p. 95.
  • [14]
    François Jullien, De l’essence ou du nu, Avec des photographies de Ralph Gibson, Paris, Seuil, 2000, p. 85-86.
  • [15]
    Ibid., p. 91.
  • [16]
    Ibid., p. 106.
  • [17]
    Ibid., p. 49.
  • [18]
    Ibid., p. 20.
  • [19]
    Ibid., p. 42.
  • [20]
    Ibid., p. 50.
  • [21]
    Ibid., p. 48.
  • [22]
    Ibid, p. 7.
  • [23]
    Je dois ici remettre dans son contexte la discussion de la question importante du rapport entre la crise philosophique de la métaphysique et l’irruption esthétique de la « non-idéalité » dans la peinture moderne européenne du nu, par laquelle le caractère limité de la perspective de Jullien apparaîtrait distinctement. Cf. Federico Ferrari, Jean-Luc Nancy, Nus sommes, La peau des images, Bruxelles, Gevaert, 2002, p. 17-22.
  • [24]
    Jullien, L’invention de l’idéal, p. 288.
  • [25]
    Sur X? K?ng, cf. Robert H. van Gulik, Hsi K’ang and his Poetical Essay on the Lute, Tokyo, Sophia University, 1941 ; Robert G. Henricks, Philosophy and Argumentation in Third-Century China, The Essays of Hsi K’ang, Princeton, Princeton University Press, 1983 ; Donald Holzman, La Vie et la Pensée de Hi K’ang, Leiden, Brill, 1957 ; Jean Levi, Éloge de l’anarchie par deux excentriques chinois, Polémiques du troisième siècle traduites et présentées par Jean Levi, Paris, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, 2004. - Le nom X? K?ng est lu habituellement J? K?ng en chinois moderne ; les spécialistes que j’ai interrogés à Taiwan n’ont pas pu me donner de réponse définitive en ce qui concerne la lecture correcte, mais ils s’en tiennent cependant à la lecture aujourd’hui répandue ; je ne suis pas en mesure de trancher et je m’en tiens ainsi pour le moment à la transcription usuelle dans la sinologie occidentale de X? K?ng (Hsi K’ang, Hi K’ang).
  • [26]
    François Jullien, Nourrir sa vie, à l’écart du bonheur, Paris, Seuil, 2005, p. 156.
  • [27]
    Ibid., p. 157.
  • [28]
    Ibid., p. 158.
  • [29]
    Cf. ibid. Jullien, Nourrir sa vie, chapitre XII et le chapitre « La dissidence impossible » in Jullien, Le Détour et l’Accès, Stratégies du sens en Chine, en Grèce, Pari,: Grasset, 1995, pp. 135-162.
  • [30]
    Jullien, L’invention de l’idéal et le destin de l’Europe, Paris, Seuil, 2009, p. 17.
  • [31]
    Jullien n’est pas du tout aveugle sur la correspondance qui existe entre la pensée de l’immanence en Chine et en Europe : « […] la représentation d’une transcendance comme pure absolutisation de l’immanence pourrait lui rappeler Spinoza (et l’on a pu, en effet, considérer la pensée de Spinoza comme le plus grand qui ait été fait pour sortir des cadres de la tradition occidentale à l’âge classique) » (Jullien, Procès ou Création, p. 285). Récemment la pensée de l’immanence de Spinoza est devenue le point de départ de réflexions (à partir de Gilles Deleuze et d’Antonio Negri) autour des possibilités de la critique du présent. Jullien n’a jamais suivi la possibilité de lier la pensée de l’immanence à la théorie critique – parce que son cadre interculturel l’exclut.
  • [32]
    Jullien, Le Détour et l’Accès, p. 135.
  • [33]
    Le rapport entre la culture de soi et le dire-vrai qui apparaît ici, témoigne d’un rapport spécifique entre l’exercice esthétique et la vie juste, et appelle la comparaison avec le souci de soi ébauché par Foucault dans ses derniers cours, souci qui est orienté vers la « vie » et non vers « l’âme » (la « métaphysique platonicienne »). Cf. Michel Foucault, Le courage de la verité, Le gouvernement de soi et des autres II, Cours au Collège de France (1983-1984), Paris, Gallimard/Seuil, 2009, pp. 147-149 et pp. 226-227.
  • [34]
    Jullien, Nourrir sa vie, p. 155.
  • [35]
    Jullien se réfère certes à plusieurs reprises au concept d’hétérotopie de Foucault, mais ne semble pourtant pas trouver à redire au fait qu’il résulte de la critique du concept d’utopie.
  • [36]
    Jullien, Nourrir sa vie, p. 159.
  • [37]
    Ibid., p. 158.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    Ibid., p. 159.
  • [40]
    Dans les plus importantes sources relatant la mort de X? K?ng, le recueil d’anecdotes Shìshu? x?ny? (Nouveaux recueil de propos mondains) et l’ouvrage d’histoire Jìnsh? (Annales des Jìn), il est rapporté que X? K?ng a joué avant son exécution le morceau « Gu?nglíngs?n », qui, du moins d’après une interprétation répandue, fait allusion à l’assassinat d’un prince par un joueur de Qín, et ainsi aurait renfermé une critique acérée de la situation politique. La mention de « L’Ode à la grande paix » se produit par contre seulement dans un commentaire du Shìshu? x?ny?. L’attitude péremptoire de la proposition « Quel autre recours aurait-il, en effet, que d’invoquer encore l’Harmonie ? » est incompréhensible au regard de cette situation textuelle. – En outre, l’opinion de Jullien que X? K?ng aurait regardé sa propre ombre pour s’assurer de son immortalité, repose sur un malentendu, car celui-ci regarda autour de lui, avant de commencer à jouer du Qín, pour vérifier au positionnement de son ombre le rapprochement de l’heure de sa mort. La position appropriée dans le Jìnsh? énonce : « K?ng regarda autour de soi vers l’ombre du soleil, prit son Qín, en joua et dit : ‘Autrefois Yuán Xiàoní voulut apprendre de moi le morceau Gu?nglíngs?n, ce que j’ai refusé à chaque fois ; aujourd’hui Gu?nglíngs?n va cesser d’exister.’ ».
  • [41]
    Cf. le chapitre « Fadeur des sons » dans L’Eloge de la fadeur de François Jullien.
  • [42]
    Cf. Jullien, Nourrir sa vie, p. 23.
  • [43]
    Lú Hóng (ca. viiie s. après J.-C., attribution), « Dix images de la hutte d’herbe, n. 7 » (c?otáng shízhìtú ), Musée national du Palais, Taipei.
  • [44]
    Hóng Rén (1610-1664), « Paysage et fleur de prunier, n. 7 » (shanshu? me?huàtú ), Musée de la Province de l’Anhui.
  • [45]
    Dans le livre Zh?ngy?ng, l’un des « Quatre Livres » du confucianisme, il est écrit : « La voie de l’homme de bien est fade, mais non ennuyeuse… » ; dans le L?oz? (chapitre 35) il est écrit : « Que la voie vienne à la bouche, elle est fade comme sans saveur » ; dans le Zhuangzi (chapitre 20) il est dit : « Le commerce de l’homme de bien est fade comme l’eau, le commerce de l’homme de peu est doux comme du moût. La fadeur de l’homme de bien mène à la proximité, la douceur de l’homme de peu mène à la séparation. ».
  • [46]
    Cf. la traduction de Robert H. van Gulik, Hsi K’ang and his Poetical Essay on the Lute, Tokyo, Sophia University, 1941.
  • [47]
    Cf. la préface au « Poème en prose sur la cithare Qín » de X? K?ng.
  • [48]
    Cf. Jullien, Nourrir sa vie, p. 153-154.
  • [49]
    Dài Míngyáng, X? K?ng jí jiàozhù (OEuvres de Xi Kang, édition critique et annotée), B?ij?ng : Rénmín, 1962, p. 155.
  • [50]
    Herbert Marcuse, Triebstruktur und Gesellschaft, Ein philosophischer Beitrag zu Sigmund Freud, Frankfurt am Mai, Suhrkamp, 1995, p. 194.
  • [51]
    Dài Míngyáng, X? K?ng jí jiàozhù, p. 190.