Qu'est-ce qui parle à travers nous ?
1À la suite des quatre années de bagne passées en Sibérie, Dostoïevski est envoyé comme soldat dans un petit bourg perdu dans le désert de sable en Sibérie. Or, il se lie d’amitié avec le procureur du lieu, à qui il raconte ses projets littéraires et avec qui il a des séances de lecture et d’étude. Abonné aux journaux allemands, le procureur commande, entre autres, un livre de Hegel qu’ils liront ensemble – sauf qu’on en ignore le titre. Supposons qu’ils se soient penchés sur les Leçons sur la philosophie de l’histoire. Ils y auraient trouvée une remarque dédaigneuse sur le manque d’intérêt de la Sibérie pour l’Histoire [1]. Voici comment le philosophe hongrois László Földenyi décrit ce moment hypothétique : « Nous pouvons imaginer la stupéfaction de Dostoïevski quand il lut ces lignes à la lueur de sa chandelle de suif. Et aussi son désespoir de constater qu’on n’accordait pas la moindre signification à ses souffrances dans la lointaine Europe, pour les idées de laquelle il avait été condamné à mort avant d’être gracié et exilé […] On imagine aisément que c’est au moment où il apprit qu’il était tombé hors de l’histoire, pour laquelle il avait accepté toutes les avanies, qu’est née en lui la conviction selon laquelle la vie possède des dimensions qui ne se réduisent pas à l’histoire ». D’où le titre de son petit essai : Dostoïevski lit Hegel en Sibérie et fond en larmes [2].
2Nous ne nous étonnons plus des prétendues universalités qui jettent hors de l’Histoire tout ce qui leur paraît si étranger ou insignifiant – les grands philosophes ne sont pas exempts de grandes aberrations, c’est le moins qu’on puisse dire. En revanche, il ne nous a pas manqué, au long du dernier siècle, de philosophies pour déjouer de telles totalisations – des pensées obsédées par la figure du vaincu, de l’acéphale, du déraciné, du déraisonné, du nomade, du sauvage, de l’être de lisière, voire de l’homo sacer. Évidemment, il ne s’agissait pas de proposer une contre-histoire, ni de revendiquer une philosophie des exclus, pleurnicheuse ou épique, mais de problématiser ces gestes de partage que l’Occident a si aveuglement dissimulés, en protection des valeurs, des jugements, des modes de vie dont il a su nier ou fonder la contingence. C’est toute une perspective, comme dirait Nietzsche, qui, devenue hégémonique, s’ignore en tant que perspective, pour se présenter neutre, objective, désintéressée, et qui n’en demeure pas moins humaine, trop humaine, eurocentrique, trop eurocentrique, anthropocentrique, trop anthropocentrique, moderne, trop moderne.
3Or, dans son perspectivisme forcené, Nietzsche a mené très loin l’expérimentation de points de vue en tant que méthode, en se déplaçant à travers l’histoire et ses personnages, la géographie et le royaume animal, les divinités mythiques et les types ancestraux. Une figure qui a été laissée dans l’ombre par certains commentateurs est revenue récemment : les tchandalas [3]. Il s’agit des exclus de toute caste en Inde, chassés des villes vers les forêts, vivant comme des parias, les plus méprisés par les brahmanes. Or, pour Nietzsche, c’étaient des immoralistes, des artistes, des excentriques, des jongleurs, des juifs, ceux qui, à l’inverse du monde institué, pourraient être considérés comme les vrais « souverains ». L’homme souverain est le dépossédé, le sans-pouvoir, celui qui perçoit les signes des mutations, le jeu changeant des évaluations et des transformations. La philosophie elle même conçue comme un exode, une sortie de l’esclavage, une fuite vers le désert – pensée nomade. Mais aussi pensée tropicale. Sur l’auteur de Par-delà le bien et mal, Deleuze écrit : Les lieux de la pensée sont les zones tropicales, hantées par l’homme tropical. Non pas les zones tempérées, ni l’homme moral, méthodique ou modéré [4]. »
4Arrivons donc aux « tropiques » et aux sauvages. Quand Eduardo Viveiros de Castro décrit le perspectivisme amérindien à partir de ses recherches sur les Arawetés, il ne s’empêche pas de penser à quel point l’anthropologie de ces indiens (et non pas sur eux) pourrait nous aider à mettre en perspective nos certitudes à nous, y compris celles qui portent sur eux, sur ce qu’est l’altérité, sur ce qu’est un point de vue, sur ce qu’est la culture, ou même l’homme. L’auteur a eu le mot le plus juste pour caractériser le sens de son entreprise, pour laquelle L’Anti-Narcisse aurait pu servir de titre emblématique – il s’agirait d’une décolonisation de la pensée [5]. Impossible de ne pas citer l’introduction de ce livre brûlant, Métaphysique cannibale, où l’auteur fait la critique de notre anthropologie philosophique et son obsession à déterminer un critère qui nous distinguerait des non-humains, des non-occidentaux, des non-modernes : « Le capitalisme ou la rationalité ? L’individualisme et le christianisme ? […] le problème, c’est justement le problème, qui contient la forme de la réponse : la forme d’un Grand Partage, d’un même geste d’exclusion qui fait de l’espèce humaine l’analogue biologique de l’Occident anthropologique, confondant toutes les autres espèces et les autres peuples en une altérité privative commune. En effet, s’interroger sur ce qui “nous” fait différents des autres – autres espèces et autres cultures, peu importe qui “ils” sont, puisque ce qui importe c’est “nous” – est déjà une réponse. / Il ne s’agit donc absolument pas, en récusant la question “Qu’est-ce que (le propre de) l’Homme?”, de dire que l’“Homme” n’a pas d’essence, que son existence précède son essence, que l’être de l’Homme est la liberté et l’indétermination. Il s’agit de dire que la question “Qu’est-ce que l’Homme” est devenue, pour des raisons historiques trop évidentes, une question à laquelle il est impossible de répondre sans dissimulation, en d’autres termes, sans que l’on ne continue à répéter que le propre de l’Homme est de n’avoir rien de propre – ce qui apparemment lui donne des droits illimités sur toutes les propriétés d’autrui. Réponse millénaire dans “notre” tradition intellectuelle, qui justifie l’anthropocentrisme par cette impropriété humaine : l’absence, la finitude, le manque-à-être sont la distinction que l’espèce est vouée à porter, au bénéfice (comme on veut nous le faire croire) du reste du vivant. Le fardeau de l’homme : être l’animal universel, celui pour qui il existe un univers. Les non-humains, comme nous le savons (mais comment diable le savons-nous ?) sont “pauvres en monde” ; pas même l’alouette… Quant aux humains non occidentaux, on est discrètement poussé à soupçonner qu’en matière de monde, ils sont tout de même réduits à la portion congrue. Nous, nous seuls, les Européens [note de l’auteur : Je m’inclus ici par courtoisie], sommes les humains achevés, ou si l’on préfère, grandiosement inachevés, les millionnaires en mondes, les accumulateurs de mondes, les “configurateurs de mondes”. La métaphysique occidentale est vraiment la fons et origo de tous les colonialismes [6]. »
5Que me soit pardonnée la longueur de la citation, c’est qu’en résumant on risquerait de perdre l’ironie savoureuse, l’ampleur de sa cible et sa force de provocation. En tout cas, comme on le voit, ce n’est pas un programme dépourvu d’ambition ou de courage. Évidemment, il ne s’agit pas ici d’en évaluer la portée – cela demanderait tout un livre. Qu’il nous suffise de souligner à quel point cette approche nous invite à renverser notre économie de l’altérité. Il conviendrait d’insister sur cet effort à nous penser à partir d’un dehors (pas forcément la Chine, insiste l’auteur avec humour) pour aller à l’encontre d’une pensée du Dehors. Or, ce n’est pas abusif de supposer que cela rejoigne l’un des traits les plus insistants de la philosophie française dite « post-structuraliste », dont la présence et la pénétration au Brésil, malgré une résistance académique, n’a pas été négligeable [7]. Force est de constater, néanmoins, qu’avec l’anthropologie immanentiste, cette pensée du Dehors, nommée en premier en tant que telle par Foucault en 1966, a l’air d’avoir retrouvé un souffle d’une fraîcheur inouïe. En tout cas, lire la pensée philosophique à la lumière de la pensée sauvage ne signifie pas frapper de nullité le propre de la philosophie, mais « actualiser les innombrables devenirs-autres qui existent en tant que virtualités de notre pensée [8] ».
Expérience et pensée
6Foucault n’a cessé d’insister, sous formes diverses, sur le défi de « penser autrement ». Il a cette belle formule : « Ma façon de ne plus être le même est, par définition, la part la plus singulière de ce que je suis [9]. » Les auteurs qu’il invoque ayant enseigné comme lui la pensée comme autotransformation sont bel et bien Bataille, Blanchot, Nietzsche. Chez eux, l’expérience de pensée équivaut à une métamorphose, par rapport aux choses, aux autres, à soi-même, à la vérité, dit-il [10]. En quoi ce mot « expérience », néanmoins, est-il valable dans ce contexte, alors qu’il évoque à tel point la phénoménologie dont Foucault se veut distant ? C’est qu’il ne s’agit nullement ici de « poser le regard réflexif sur un objet quelconque du vécu pour en extraire des significations ». Ce qui intéresse Foucault, au moins dans son approche de la littérature ou de la folie, ce n’est pas la vie vécue, dit-il, mais l’invisible de la vie. Non pas l’expérience possible, mais l’expérience impossible – l’expérience-limite. Celle, donc, qui ne remonte pas à un sujet fondateur dans sa fonction transcendantale, mais qui, au contraire, entraîne sa dissolution – une désubjectivation. La question qu’il se pose, alors, ne peut qu’être rhétorique : « Ne peut-il y avoir des expériences au cours desquelles le sujet ne soit plus donné, dans ses rapports constitutifs, dans ce qu’il a d’identique à lui-même ? N’y aurait-il donc pas des expériences dans lesquelles le sujet puisse se dissocier, briser le rapport avec lui-même, perdre son identité [11]? »
7Ce n’est pas donc un hasard s’il distingue un livre-expérience d’un livre-vérité. Le livre-expérience a pour critère justement le degré de transformation qu’il suscite chez le sujet qui l’écrit et l’objet sur lequel il porte, tout comme sur la vérité qui les reliait. Or, c’est d’autant plus étonnant que Foucault a toujours travaillé avec un matériel historique commun aux historiens les plus classiques : démonstration, preuves, renvois aux textes, références, relation entre idées et faits, schèmes d’intelligibilité, types d’explication – en somme, dit-il, rien d’original [12]. L’essentiel pourtant est justement l’expérience qu’il convient de faire à partir d’un tel matériel, « une expérience de notre modernité telle que nous en sortions transformés. Ce qui signifie qu’au bout du livre nous puissions établir des rapports nouveaux avec ce qui est en question : que moi qui ai écrit le livre et ceux qui l’ont lu aient à la folie, à son statut contemporain et à son histoire dans le monde moderne un autre rapport [13] ». Si le livre utilise des documents vrais, c’est dans le but non pas de faire une constatation de vérité, mais aussi et surtout une « expérience qui autorise une altération, une transformation du rapport que nous avons à nous-mêmes et au monde où, jusque-là, nous nous reconnaissions sans problèmes [14] ». Histoire de la folie en serait un exemple, dans la mesure où il a bouleversé notre rapport à la vérité sur la folie, en évoquant aussi bien une vérité de la folie, tout en obéissant à un certain régime de véridiction, scientifique, académique, historique, sous peine de perdre tout effet et efficacité dans le champ des savoirs et pouvoirs concernés. Cela équivaut à refuser d’emblée tout universel anthropologique, l’homme, le fou, le délinquant, le sujet d’une sexualité, pour retrouver le champ d’expérience dans lequel sujet et objet ont été constitués sous certaines conditions, elles-mêmes changeantes. L’accent peut alors être mis sur « l’historicité même des formes de l’expérience [15] ».
8Dans quel sens, alors, un livre est-il toujours une expérience ? « Une expérience est toujours une fiction ; c’est quelque chose que nous-mêmes fabriquons, qui n’existe pas avant et qui n’existera pas après ». D’où le sens de la boutade de ne jamais avoir écrit que des fictions. Il ne s’agit pas de mensonges, ni de fabulations, ni d’illusions, mais de la fabrication d’une expérience qui est aux antipodes de toute référence à un « vécu », « authentique », « réel », « naturel ». Un livre c’est ça, une production, une création, une singularité, un événement, avec ses effets de réalité. Le but de ses livres, dit-il, est de faire tomber les murs. Foucault est arrivé à se définir comme un « pyrotechnicien ». Et quand il fait référence à Histoire de la Folie, il dit, en 1975 : « J’envisageais ce livre comme une espèce de vent vraiment matériel, et je continue à rêver de lui comme ça, une espèce de vent qui fait éclater les portes et les fenêtres […] Mon rêve est que ça soit un explosif efficace comme une bombe, et beau comme feux d’artifices [16]. » Peut-être qu’un tel raisonnement poussé à son extrême atteint parfois des moments particulièrement provocateurs. En réponse à une question sur la fonction de la théorie, comme boîte à outils, comme instrument, y compris de lutte, plutôt que comme système, et en mettant en lumière le fait que, dans l’interview en question, il avait répondu par écrit à des questions formulées également par écrit, dans un premier jet, sans les réviser, non pas parce qu’il avait foi en la vertu de la spontanéité, mais pour y laisser le caractère problématique, volontairement incertain, il ajoute cette phrase délicieuse : « Ce que j’ai dit là n’est pas “ce que je pense” mais souvent ce dont je me demande si on ne pourrait pas le penser [17] ».
9Ce caractère qu’on dirait « expérimental » de la pensée est l’un des traits les plus remarquables chez certains auteurs contemporains. Toutes proportions gardées, Giorgio Agamben rappelle à ce propos que la littérature et la pensée font des expériences, de même que la science. Mais alors que la science a en vue de prouver la vérité ou la fausseté d’une hypothèse, la littérature et la pensée poursuivent un autre but. Ce sont des expériences sans vérité : Avicenne propose son expérience de l’homme volant, et démembre en imagination le corps d’un homme, morceau par morceau, pour prouver que, même brisé et suspendu, il peut dire encore « Je suis ». Kleist évoque le corps parfait de la marionnette comme paradigme de l’absolu ; Heidegger substitue au moi somatique un être vide et inessentiel. Selon Agamben, il faut se laisser aller à de telles expériences, par lesquelles on risque moins nos convictions que nos modes d’existence [18]. Chez Deleuze, dès son Nietzsche et la philosophie, ce point central était déjà acquis – les concepts créés appellent et expriment d’autres manières d’existence, d’autres modes de vie et d’autres subjectivités. C’est là où la philosophie délaisse sa soumission à la connaissance et devient critique et invention : « Une pensée qui irait jusqu’au bout de ce que peut la vie, une pensée qui mènerait la vie jusqu’au bout de ce qu’elle peut. Au lieu d’une connaissance qui s’oppose à la vie, une pensée qui affirmerait la vie […] Penser signifierait ceci : découvrir, inventer de nouvelles possibilités de vie [19]. » Le surhomme n’aurait d’autre sens que celui-ci : une nouvelle manière de sentir, de penser, d’évaluer, une nouvelle forme de vie, un autre type de subjectivité.
Subjectivation et désubjectivation
10On touche là à l’un des points les plus aigus de cette génération de philosophes, à laquelle nous avons été particulièrement sensibles. Foucault l’a répété maintes fois : face au besoin de sortir d’une hégémonique philosophie du sujet, il a dû ouvrir une voie qui déboucherait sur sa destruction réelle, sa dissociation, son explosion, son retournement en quelque chose d’entièrement différent [20]. Il lui a fallu « retourner la démarche philosophique de remontée vers le sujet constituant auquel on demande de rendre compte de ce que peut être tout objet de connaissance en général ; il s’agit au contraire de redescendre vers l’étude des pratique concrètes par lesquelles le sujet est constitué dans l’immanence d’un domaine de connaissance21 ».
11On ne peut pas nier qu’il l’a fait de plusieurs manières tout au long de son trajet, soit en comprenant les différents sujets (parlant, travaillant, vivant) comme indissociables des modes d’objectivation, ou des partages normatifs (sujet fou, malade, délinquant), soit en reconstituant les modes de subjectivation qui correspondent à des modes d’objectivation pour soi-même (sujet de sexualité), soit de souci de soi, etc. Or, même si la discontinuité de ce parcours est évidente, et a été remarquée avec justesse par plusieurs commentateurs, il n’en reste pas moins qu’il y a là des lignes qui se croisent, se traversent, se composent ou bifurquent. Agamben a eu le mérite d’en proposer une formulation éclairante : « Dans les derniers travaux de Foucault, il y a une aporie qui me semble très intéressante. Il y a d’une part tout le travail sur le “souci de soi” : il faut se soucier de soi, dans toutes les formes de pratique de soi. Et en même temps, à plusieurs reprises, il énonce le thème apparemment opposé : il faut se déprendre de soi. Il dit plusieurs fois : “On est fini dans la vie si l’on s’interroge sur son identité ; l’art de vivre, c’est détruire l’identité, détruire la psychologie.” Donc il y a bien ici une aporie : un souci de soi qui doit aboutir à une déprise de soi. Une manière dont on pourrait poser la question, c’est : qu’est-ce que c’est qu’une pratique de soi, non pas comme processus de subjectivation, mais comme pratique qui n’aboutirait au contraire qu’à une déprise, qui trouverait son identité uniquement dans une déprise de soi ? Il faudrait pour ainsi dire se tenir en même temps dans ce double mouvement, désubjectivation et subjectivation [22]. » Or, l’auteur reconnaît la difficulté de soutenir cette région intermédiaire, où pour ainsi dire le sujet assiste à une désubjectivation ou à une débâcle, tout en évitant que la subjectivation compensatoire se cristallise sur un assujettissement identitaire. Or Deleuze et Guattari le disaient à leur manière déjà avec L’Anti-Œdipe, quand ils insistaient sur la force de déterritorialisation (avec les désubjectivations qui en découlent), de même que sur les reterritorialisations (œdipiennes, signifiantes, avec les resubjectivations identitaires) – tout cela faisant partie de la dynamique capitalistique. D’où cette évidence, dans ce passage de la philosophie à la théorie sociale, comme l’a indiqué Safatle, que « la vraie critique philosophique de la raison ne pourrait qu’être une clinique de nos formes de vie [23] ».
12Or, la philosophie de Deleuze dès sa formulation positive revendiquait le domaine de l’impersonnel, de l’événement, des singularités pré-individuelles, des devenirs. Comme le dit l’introduction à Différence et répétition : « Ni particularités empiriques ni universel abstrait : Cogito pour un moi dissous. Nous croyons à un monde où les individualités sont impersonnelles, et les singularités, pré-individuelles : la splendeur de « ON »… Ce que ce livre aurait dû rendre présent, c’est donc l’approche d’une cohérence qui n’est pas plus la nôtre, celle de l’homme, que celle de Dieu ou du monde [24]. » Nul besoin de le justifier devant aucun tribunal égologique. Finalement, un événement, un devenir, qu’est-ce que c’est, sinon un processus de désubjectivation qui nous arrache à nos identités données et libère des dimensions pré-personnelles, inhumaines, post-humaines ?
13Pensons à la description de la promenade de Lenz par Büchner, dans les premières pages de L’Anti-Œdipe – la manière qu’il a de porter en soi les pierres, les minéraux, les végétaux, les flux du cosmos, en refusant famille, religion, patrie. Or, le schizo c’est celui qu’on veut rendre à son moi dont il ne veut rien savoir. C’est comme si, dès le début, pour ce personnage conceptuel, l’écart entre désubjectivation et subjectivation n’était pas un problème, n’était pas son problème. Ce n’est pas qu’il ne soit pas exposé à tous ceux qui aimeraient interrompre son processus, mais la fuite est première. Voilà un postulat ontologique dont les implications politiques ne sont pas mineures. De tels processus de singularisation positifs, dans le prolongement desquels se produisent éventuellement des subjectivations collectives, individualisations temporaires, univers incorporels, territoires existentiels, même nomades, ne dépendent pas ni ne reflètent forcément pas ce à quoi ils s’opposent ou ce qu’ils fuient, l’État, l’Œdipe, le Signifiant, le Capital, l’équivalent général. Par conséquent, ce télescopage entre désubjectivation et subjectivation peut déboucher sur un assujettissement ou une capture, bien sûr, mais que des lignes autres sont également possibles ! Là où Agamben voit un écart, un vide ou un reste entre désubjectivation et subjectivation, sur lesquels il peut appuyer son espoir ou son messianisme, Deleuze et Guattari dès le début verraient autre chose – non pas un reste, un vide, mais une espèce d’excès, de virtualité complexe, qui ouvre vers toute une micropolitique et une rhizomatique.
14Peut-être que cette différence de perspective en recoupe une autre, plus profonde, liée à la distance entre l’idée de vie nue et celle d’une vie. Une vie telle que Deleuze la conçoit c’est la vie comme virtualité, différence, invention de formes, puissance impersonnelle, béatitude. Vie nue au contraire, telle qu’Agamben l’a théorisée, c’est la vie réduite à son état de simple actualité, indifférence, difformité, banalité biologique, par un état d’exception ou par les mécanismes biopolitiques décrits dans la série Homo Sacer. Si ces positions sont tellement opposées et surposées à la fois, c’est parce que dans le contexte biopolitique la vie elle-même est le champ de bataille. Parfois c’est dans l’extrême de la vie nue qu’on découvre une vie. Il faudrait se libérer de la diabolisation claustrophobique d’un pouvoir omniprésent, omniscient, omni-invasif, mais aussi refuser toute euphorie à l’égard d’une bio-puissance inépuisable disponible partout. Ni catastrophisme ni jubilation. Il s’agit d’atteindre un plan à partir duquel on pourrait relancer l’expérimentation hésitante, à partir d’une matière vitale, qu’on pourrait également appeler désir si ce mot était dépouillé de toute la virilité avec laquelle le biopouvoir l’a codé, ou la « grosse santé dominante » s’en est emparé.
15Muriel Combes a eu le mot juste à propos de l’aporie agambenienne : « Pour Agamben, la production d’une vie nue, c’est à dire d’une vie séparée de ses formes, est l’horizon ou la tentative toujours recommencée du bio-pouvoir qui s’exerce dans les États modernes. Il arrive dès lors que des vies deviennent de pures et simples vies nues : ainsi en va-t-il de la figure du “musulman” […] L’ apport essentiel de cette analyse est d’avoir isolé la visée de production d’une vie nue. Mais il ne me semble pas qu’elle parvienne à éclairer la nature du bio-pouvoir et les possibilités contemporaines de la politique. À supposer avec Agamben que le pouvoir, dès lors qu’il prend pour objet la vie des individus et des populations, vise à produire une vie nue, celle-ci ne peut être qu’une limite, un point critique, pour un pouvoir dont le mode d’exercice est, pour reprendre l’expression de Foucault, l’action sur des actions. Car la vie sur laquelle un bio-pouvoir a prise est une vie toujours informée, une vie capable de diverses conduites, et pour cette raison, toujours susceptible d’insoumission [25]. » Quand le pouvoir prend en charge la vie, c’est toujours des manières de vivre dont il s’agit – impossibilité de séparer l’idée de vie des rapports dans lesquels elle fait corps – dans les termes de Combes, « il s’agit de concevoir une inséparabilité entre vie et subjectivité ». Comme elle le montre bien, cela devient encore plus clair chez Canguilhem ou Simondon, où la vie ne peut pas être conçue comme une matière vidée de subjectivité. La vie sur laquelle s’exerce le pouvoir est toujours une « vie capable de conduites ». On comprend à quel point tout cela est décisif quand on le pense dans des contextes sociaux extrêmes, du camp de concentration aux autistes de Deligny, avec l’imagination politique qu’il s’agit de recouvrir.
16Le défi est de rejeter à la fois deux positions antagoniques, mais plus complices qu’elles n’en ont l’air : l’humanisme emprisonné dans l’idée d’une subjectivité séparée de l’inhumain, avec l’arrogance moderne dont on constate partout les dangers et dégâts, d’un côté, et de l’autre, le sinistrisme enfermé dans l’obsession d’une vie dénuée de subjectivité, en proie au biopouvoir tout puissant et coextensif à l’histoire, qui par conséquent fait appel à un messianisme seul capable de la sauver. Dans les deux cas, la difficulté est de penser politiquement cette « inséparation » entre vie et subjectivité, problème auquel Simondon a apporté sa réponse métaphysique, même si son implication politique reste à élaborer.
La majorité, les devenirs
17Dans cette lignée, Mille Plateaux a rendu l’homme au rhizome matériel et immatériel qui le constitue, qu’il soit biopsychique, techno-social ou sémiotique. Au-delà et en deçà des mirages où l’homme se contemple, et des figures visibles qu’il voit au long de l’Histoire, il s’agit soit de cueillir des mouvements de déterritorialisation, la singularité des événements, les subjectivités qui s’annoncent. Or, le rôle même du philosophe qui en résulte change. Il devient une espèce d’artisan cosmique, prêt à élaborer une matière de pensée capable de saisir la myriade des forces en jeu et faire de la pensée même une force du Cosmos. Si l’on voulait mesurer la distance entre cet artisan cosmique et le pyrotechnicien de Foucault, il faudrait reprendre l’ethos philosophique tel qu’il l’a exposé dans son texte « Qu’est-ce que les Lumières [26]? ». Il y rappelle que la critique s’est occupée en général des limites de ce qu’on peut connaître ou aspirer – notre tâche, en revanche, plus positive, serait de repérer, dans ce qui nous est donné en tant qu’universel, nécessaire, obligatoire, ce qu’il y a de singulier et de contingent. À la critique pensée comme limitation nécessaire, il s’agit de substituer une « critique pratique dans la forme de la traversée possible », du dépassement. Donc, au lieu de déduire de ce que nous sommes ce qui nous est impossible de penser ou de faire, il s’agirait d’extraire de la contingence qui nous a fait être ce que nous sommes, la possibilité de ne plus être, faire ou penser ce que nous sommes, faisons et pensons. Or voilà ce qui nous permettrait de sortir de l’état de minorité que Kant critiquait, dans le cadre d’une ontologie historique du présent, où à l’analyse historique des limites qui nous sont imposés s’associe l’expérimentation de son dépassement, par un travail sur nous-mêmes.
18Face à cette conception de l’émancipation de la tutelle, que Diogo Sardinha a qualifiée de devenir majeur, Deleuze aurait choisi une autre voie, celle du devenir mineur [27]. La sortie de la tutelle, ou de l’étalon majoritaire (l’homme-blanc-mâle-européen-rationnel-urbain), passe surtout par des mouvements de minoration, par les devenirs-mineurs, par les processus rebelles aux modèles que parfois eux-mêmes risquent de secréter. D’où l’importance du devenir-femme, devenir-enfant, devenir-animal, devenir-nègre, devenir-molécule, devenir-intense, devenir-imperceptible. Il leur revient la tâche de défier le modèle humain, universel, anthropocentrique, éclairé, moderne. Dans ce sens, « comment conquérir la majorité » est un problème secondaire face aux chemins de l’imperceptible, répond Deleuze à Negri – même si Deleuze, avec Guattari, est loin de dédaigner non seulement l’articulation transversale de ces devenirs-mineurs, mouvements singuliers, minorités, mais aussi les machines de guerre à des niveaux plus molaires, ou même géopolitiques – il suffirait de rappeler l’intérêt de Guattari pour le parti des travailleurs au Brésil, lors de sa fondation par Lula [28].
19Dans le contexte qui est le nôtre, dans la dernière décennie, il faudrait faire mention de deux « courants » qui ont prolongé ces inspirations, même s’ils vont dans des directions différentes. D’un côté, la réflexion apportée par les héritiers de l’autonomie italienne, macérée dans des luttes concrètes, qui, à partir de l’ontologie constitutive de Negri, ont ouvert une voie nouvelle pour penser la vie multitudinaire, la constitution du commun et les modalités de résistance dans le contexte biopolitique actuel, vu la montée du travail immatériel, les nouvelles formes de pouvoir au sein d’une société de contrôle mondialisée, dans le cadre spécifique des inégalités historiques en Amérique Latine, avec l’héritage esclavagiste, les segmentations et ségrégations raciales, les mouvements indigènes, mais aussi les métissages, les hybridations, etc. [29]. D’un autre côté, l’impact de l’anthropologie immanentiste de Eduardo Viveiros de Castro, qui, avec son perspectivisme amérindien, a brouillé les cartes de la modernité, en radicalisant le sens d’une décolonisation de la pensée occidentale, dans un contrecoup à l’eurocentrisme, en approfondissant le geste anthropophage d’Oswald de Andrade. Renversement ontologique, métaphysique, anthropologique, cosmopolitique, dont la capacité de mettre en question la géopolitique de la pensée contemporaine est encore un défi ouvert. On comprend que l’auteur ait choisi la philosophie de Deleuze comme « l’instrument le plus approprié pour retransmettre la fréquence d’onde » qu’il était prêt à capter dans la pensée amérindienne30.
20Or, il est curieux de constater la distance incommensurable entre ces deux approches, qu’on ne peut survoler que dans le vertige : d’un côté un matérialisme supérieur, centré sur la dimension immatérielle de la production ; d’un autre côté, un animisme transcendantal, appuyé toujours sur les corps, et l’affrontement des points de vue. D’un côté un « productivisme ontologique », d’un autre, une « suffisance intensive », dans un pôle la « révolution », dans l’autre, la « descente anthropophage » dont le sens nous reste à redécouvrir [31]… Et même dans la tonalité affective, d’un côté un certain militantisme activiste, de l’autre une espèce de résistance « passive », parfois à la Bartleby, mais on ne peut plus caustique. Comme disait un philosophe subtil, c’est une joie quand on a deux pensées au lieu d’une seule. Pourquoi donc essayer de les mêler, ou d’en faire une synthèse ? Ce qui vaut pour Deleuze et Negri, Foucault et Deleuze, Foucault et Agamben, ou pour Deleuze et Simondon, vaut également pour ces deux approches qui ont leur mot à dire sur les inflexions dont notre continent, et le Brésil en particulier, a été la scène dans la dernière décennie. Pour ma part, pour qui tous ces auteurs, pensées, vents, événements sont source d’inspiration pour penser notre actualité, dans le contexte singulier qui est le nôtre, d’autant plus que ces démarches prolongent des lignes de pensée qui me sont chères, je me permets de demander si ces sonorités philosophiques ne seraient pas l’indice, même fuyant, d’une mutation collective en cours. Peut-être serait-il opportun de demander, non pas « qui parle », ni « de quel lieu on parle », peut-être même pas « de quoi » on parle, mais comme le suggérait Guattari, « qu’est-ce qui parle à travers nous » ?
Notes
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[1]
G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire, trad. Jean Gibelin revue par Jean Gilson, Paris, Vrin, 1987, p. 80.
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[2]
L. Földényi, Dostoïevski lit Hegel en Sibérie et fond en larmes, traduit du hongrois, Paris, Actes Sud, 2008, p. 19.
-
[3]
J. P. Faye, Le Vrai Nietzsche : Guerre à la guerre, Paris, Hermann, 1998, p. 34.
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[4]
G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1973, p 126. Le texte de Nietzsche auquel Deleuze fait référence est Par-delà le bien et mal: « Il semble que règne chez les moralises la haine de la forêt vierge et des climats tropicaux, et qu’il faille à tout prix discréditer “l’homme tropical” en le présentant comme une forme morbide et dégénérée de l’homme, ou comme son propre enfer et son propre bourreau. Et tout cela pourquoi? Au profit des “zones tempérées”? Des “hommes modérés”? Des hommes “moraux”? Des médiocre? À mettre au chapitre de « la morale de la peur ». Paris, 10/18, UGE, 1973, p. 154, traduction de G. Bianquis.
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[5]
Eduardo Viveiros de Castro, Métaphysiques cannibales, PUF, Paris, 2009, p. 4, où on lit: « L’anthropologie est prête à assumer intégralement sa nouvelle mission, celle d’être la théorie-pratique de la décolonisation permanente de la pensée ».
-
[6]
Idem, p. 8.
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[7]
Pour ce qui en est de Deleuze, on peut faire référence, avec des inflexions différentes, aux textes de Bento Prado Jr, à un livre pionnier de Roberto Machado, aux traductions et au travail de Luiz B. L. Orlandi, aux initiatives éditoriales et de repérage d’Éric Alliez, et au travail inventif qui ne cesse d’approfondir et d’élargir ces perspectives dans des champs divers, fait par Suely Rolnik, Laymert Garcia dos Santos et tant d’autres qui mériteraient d’être cités ici. Pour Foucault la liste serait également longue, avec Roberto Machado, Gérard Lebrun, Renato Janine Ribeiro, Salma Tannus Muchail, Ernani Chaves, Márcio Alves da Fonseca, Denise Sant’Anna, Durval Muniz de Albuquerque, Jurandir Freire Costa, Chaim Katz, Joel Birman, avec toute l’injustice impliquée par une liste si sommaire.
-
[8]
Idem, p 61.
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[9]
M. Foucault, Dits et Écrits (désormais DE), Paris, Gallimard, 1994, vol. III, p. 785.
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[10]
Idem, DE, IV, p. 46.
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[11]
Idem, DE, IV, p. 50.
-
[12]
Idem, DE, IV, p. 44.
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[13]
Idem, ibidem.
-
[14]
Idem, DE, IV, p. 47.
-
[15]
Idem, DE, III (?).
-
[16]
Idem, DE, III (?).
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[17]
Idem, DE, III, p. 428.
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[18]
G. Agamben, Bartleby ou la création, Saulxures, Circé, 1995, p. 57.
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[19]
G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1973, p. 115.
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[20]
DE, IV, Interview à Trombadour.
-
[22]
« Une biopolitique mineure », interview avec Stany Grelet et Mathieu Potte-Bonneville, Vacarme, 2000.
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[23]
Vladmir Safatle, Folha de São Paulo, 11/07/2012, « Para além de Édipo ».
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[24]
G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 5.
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[25]
Muriel Combes, La Vie inséparée, Paris, Dittmar, 2011, p. 90.
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[26]
M. Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières? », DE, IV.
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[27]
On suit ici l’excellent article inédit de Diogo Sardinha, « Devenir majeur, devenir mineur ».
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[28]
Cf. Félix Guattari et Suely Rolnik : Micropolitiques, Éd. Les Empêcheurs de penser en rond, Paris, 2007.
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[29]
Cf. A. Negri et G. Cocco, GlobAL, Luttes et biopouvoir à l’heure de la mondialisation: le cas exemplaire de l’Amérique latine, Paris, éditions Amsterdam, 2007, et G. Cocco, MundoBraz: O devir-mundo do Brasil e o devir-Brasil do mundo, Rio de Janeiro, Record, 2009.
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[31]
Expression trouvée par Eduardo Viveiros de Castro chez Oswald de Andrade, et en cours d’élaboration, à paraître prochainement dans un livre de l’auteur, en collaboration avec Alexandre Nadori sous le titre: Do matriarcado primitivo à sociedade contra o Estado e além: Cartografia da descida antropófaga (From the primitive matriarchy to the society against the state and beyond. Cartography of the anthropophagus descent), n-1 Edições, São Paulo/Helsinki, édition bilingue.