Application et développement du concept des « Lumières » occidentales dans l’histoire de la philosophie chinoise moderne à partir des études de Hou Wailu et Xiao Shafu sur la philosophie des dynasties Ming et Qing
1Le concept des « Lumières » occidentales a très profondément marqué la société chinoise moderne. Depuis 1978, avec l’ouverture de la Chine au monde extérieur, mais aussi avec la réforme et le développement économique, le mouvement des « néo-Lumières » a fait son apparition dans le milieu intellectuel. À la fin des années quatre-vingt-dix, avec le développement rapide de la culture traditionnelle, et surtout avec la redécouverte des valeurs de la culture confucéenne, la pensée des Lumières s’est progressivement diluée. C’est à cette époque qu’a débuté la réflexion sur la pensée des Lumières [1]. Il est à noter toutefois que les valeurs communes et modernes du concept de « Lumières », y compris celles de liberté, de démocratie, d’égalité, de science, de raison, de fraternité, de justice, de droits de l’homme et de personnalité, occupent toujours une place dans la société. Grâce à une société d’informations de plus en plus développée, l’influence de ces valeurs n’a cessé de s’étendre aux bases même de la société, offrant des réponses modernes à la société et au gouvernement. Renseignements politiques sur Internet, surveillance de l’Internet, telles sont les manifestations les plus récentes de la diffusion de la politique démocratique dans un monde d’informations. Du point de vue académique, bien qu’il y ait encore peu de discussions sur la pensée des Lumières, celles-ci n’est pas absente, et on trouve de temps à autre des articles et des conférences sur le sujet [2]. Notre texte, à partir d’un point de vue microscopique, se veut une enquête sur l’application de la pensée des Lumières dans l’histoire de la philosophie chinoise au XXe siècle, et non une description exhaustive de la propagation de la pensée des Lumières en Chine. Avec l’exemple de l’écriture de la philosophie des dynasties Ming et Qing de Hou Wailu et Xiao Shafu, on cherchera à décrire la situation de la pensée des Lumières dans la Chine d’aujourd’hui, pour tenter de faire connaître la diversité et la différence du concept des « Lumières » à l’échelle mondiale.
I – Théorie des premières pensées des Lumières en Chine proposée par Hou Wailu
2C’est dans son œuvre Histoire des pensées chinoises modernes, publiée par la Librairie Sanyou de Chongqing en 1945, que l’on peut trouver le germe d’une pensée des Lumières en Chine [3]. Vu l’influence de la politique sur la scientificité de ses recherches, on se réfèrera uniquement aux quatrième et cinquième volumes de L’Histoire des pensées chinoises, dont il est le premier rédacteur, afin d’analyser ses idées sur « la première pensée des Lumières chinoises » ainsi que son attitude envers Dai Zhen et l’école de Qian Jia (la période située entre l’empereur Qianlong et l’empereur Jiaqing).
3Plus concrètement, les recherches que Hou Wai Lu a consacrées aux pensées des dynasties Ming et Qing ont trois particularités : premièrement, il juge de la nature des esprits nouveaux en statuant sur la nature de la société. D’après lui, cette période inaugure la pensée des Lumières chinoises car au XVIIe siècle, le capitalisme, dont le début pouvait remonter au milieu du XVIe siècle, est déjà présent dans la société chinoise. Ensuite, la comparaison entre l’histoire de la société européenne et celle de la société chinoise, permet de mettre au jour l’originalité de la seconde quand elle s’est transformée en société moderne, ainsi que ses caractéristiques générales, en replaçant ce parcours dans le contexte mondial. Ainsi que l’écrit l’auteur : « Comme nous le savons, depuis le XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui, la Chine n’est pas parvenue à se transformer en société capitaliste comme l’a fait l’Europe. Mais il est trop arbitraire de dire que le féodalisme en Chine n’a pas vécu une phase de décomposition et que le capitalisme chinois n’a jamais eu l’occasion de se développer. C’est un fait que le développement du capitalisme s’est réellement produit au sein de la société féodale, mais qu’en même temps, celui-ci n’est pas parvenu à un développement assez puissant pour conduire la Chine féodale au monde moderne ». Comme l’a écrit Marx : « La Chine est non seulement perplexe au sujet de la puissance du féodalisme, mais aussi restreinte par la fragilité du capitalisme nouvellement apparu ». Quand on analyse les contradictions nouvelles et anciennes de la société chinoise depuis le milieu de la dynastie Ming, il ne faut pas minimiser la ténacité de la tradition chinoise, ni négliger les conditions objectives ou désavouer l’importance capitale de la genèse du capitalisme.
4En se référant aux analyses de Lénine sur la genèse du capitalisme en Russie, Hou Wailu a classé les grandes pensées des Lumières chinoises en trois catégories. Tout d’abord, celles de He Xinyin, Li Zhi, à Wang Fuzhi, Huang Zongxi, Gu Yanwu. Ces penseurs ont une aversion profonde pour l’institution du servage et pour tout ce qui s’est établi sur ses bases. Ils protestent contre le système féodal de la propriété agraire (la terre appartient à l’État et aux grands propriétaires fonciers), ils combattent les chaînes venant de la politique et du droit, s’opposent aux privilèges, à la hiérarchie et au système des examens impériaux. Quelques-uns, parmi eux, revendiquent le droit de s’approprier des propriétés privées, et d’autres préconisent la division des terres en parts égales. Bien sûr, tous ces penseurs sont de fervents partisans de l’instruction, de l’autonomie et de la liberté. Par exemple, l’école sous la direction de Donglin insiste sur le droit de constituer de libres associations et de donner des conférences à sa guise ; quant à Gu Yanwu, le Voltaire chinois, il promeut le régime de l’autonomie régionale. Enfin, bien que ces grands esprits se concentrent sur l’intérêt du peuple, et tout spécialement sur celui des paysans, ils n’expriment aucune sympathie envers les insurrections paysannes.
5La dernière caractéristique des recherches de Hou Wailu consiste à évaluer l’originalité des penseurs primitifs à l’aune des règles générales de la pensée humaine. D’après Hou, ceux-ci ont pour règle de développer un modèle abstrait pour illustrer leur propre théorie. Ils expriment leurs pensées par un procédé particulier, c’est-à-dire qu’ils manifestent leur attente d’une révolution de l’institution (toujours par des moyens assez pacifiques) au nom des sages anciens, Confucius par exemple. Cette méthode génère une contradiction inconciliable entre la forme et le contenu : d’une part, ces penseurs sont porteurs d’une aspiration au futur, à une société plus libre et plus égale, mais d’autre part, ils ne peuvent dissimuler leur nostalgie du monde antique. « On retrouve l’essence derrière leurs expressions abstraites, derrière l’usage d’un concept absolu comme l’algèbre, et on ne voit pas directement l’unité entre leur langage et l’essence ». « Les penseurs chinois des Lumières ont recours à un langage plein d’archaïsmes, ils veulent exprimer un contenu actuel en utilisant une langue sous sa forme ancienne. Par conséquent, la forme et le contenu ne se correspondent pas l’un à l’autre [4]. » En Chine, « ces penseurs manifestent leur estime pour l’ancienne société à travers leur utilisation du langage des Jing (Classiques confucéens) et des Zi (comme Laozi). L’histoire du passé et celle du futur se diviseront en conséquence [5]. » Or, la plupart des penseurs fondamentaux des Lumières en Chine ont une tendance au matérialisme dans le domaine de la philosophie scientifique, mais une autre tendance à considérer l’exercice personnel de la morale comme le critère absolu du Bien et du Mal. La théorie de la nature humaine sera donc leur point de départ lorsqu’ils traiteront des problèmes sociaux ; ils évoluent donc vers l’idéalisme. En même temps, leurs pensées ne sont pas à la hauteur de leurs attentes politiques. Comme l’a dit Lénine, « ces penseurs n’ont prêté attention à aucune catégorie bourgeoise. Ils ne décrivent que très peu le peuple et l’ethnie » (Quel héritage refuserons-nous ?). Ces penseurs, pour leur part, ont recours aux arts, littérature, philosophies ou religions en tant que méthodes. Leurs expressions détiennent donc un sens abstrait et universitaire, et décrivent « une signification indirecte des mouvements politiques [6] ».
6Liang Qichao étudie les discours académiques et leurs changements au cours des trois cents ans entre les dynasties Ming et Qing, en recourant lui aussi à la philosophie comparée et à la culture. Cependant, il n’a pas introduit un paradigme théorique systématique pour faire une analyse plus en profondeur de la structure de la société chinoise et des caractéristiques des changements existant dans les pensées de ces trois cents ans passés. Mais c’est Hou qui, le premier, a introduit le marxisme comme paradigme théorique, et qui a fourni une analyse profonde de ce que Liang avait laissé inachevé. Ainsi y aura-t-il une révolution dans les recherches académiques de ces trois cents ans entre les Ming et les Qing. Cette révolution a étendu le champ de vision de ces études, et elle a fortement influencé l’histoire de la politique, de l’économie, de l’esthétique ainsi que l’histoire elle-même. En termes généraux, un nouveau paradigme a été établi pour ces recherches. Par conséquent, lorsqu’on traite de l’histoire des académies des dynasties Ming et Qing, la conscience de la question chinoise devient relative à la conscience de la question mondiale. L’histoire de la Chine est en marche vers l’histoire du monde, inconsciemment tout d’abord, puis de façon consciente. Ce néo-paradigme lance un défi à certaines théories de penseurs tels qu’Adam Smith et Max Weber. En revanche, les défauts de ce paradigme ont été critiqués par les néo-confucianistes d’outremer, par certains historiens spécialisés dans les dynasties Ming et Qing, ainsi que par des chercheurs qui considèrent qu’il n’y a pas d’histoire des Lumières en Chine. Pourtant, les tenants de ce néo-paradigme ont, de toute évidence, découvert un nombre considérable de caractères modernes de l’histoire (au sens général) entre les Ming et les Qing. Tous ces progrès ont une influence incontestable.
7En bref, Hou apporte ses propres contributions théoriques. Celles-ci sont au nombre de trois. Premièrement, en héritant de Liang Qichao une pratique de la philosophie et de la culture comparées, il a introduit un système théorique marxiste, et il a fourni une nouvelle explication du développement de la société chinoise, ainsi que des caractéristiques de la société entre les Ming et les Qing. Les études sur les pensées de ces trois cents ans pourront être comparées avec les recherches académiques et l’histoire de la pensée moderne de l’Occident.
8Ensuite, de même qu’il a introduit un nouveau système d’interprétation théorique, on peut dire qu’il a également introduit un nouveau système d’interprétation des concepts. Les pensées modernes dissimulées depuis longtemps dans le système des concepts académiques traditionnels ont donc été identifiées, et elles servent les recherches universitaires actuelles. Parmi les nouveaux concepts philosophiques et les idéaux sociaux tels que le matérialisme et l’idéalisme, la dialectique et la métaphysique, l’humanisme, le socialisme, l’égalité et la liberté, s’établira un système comparable de discours (même si certains problèmes se posent) pour les recherches universitaires, les pensées traditionnelles chinoises et les pensées de l’Europe de cette époque. Le sens moderne des pensées de ces trois cents ans et la marche de l’histoire de la Chine vers l’histoire du monde pourront se manifester dans les domaines à l’échelle universitaire et théorique.
9De plus, ces penseurs ont redécouvert, avec une série de nouvelles idées, des figures historiques négligées ou mêmes critiquées, telles que les pensées universitaires de Li Zhi, Fang Yizhi, Zhu Zhiyu, Fu Shan, Wang Fuzhi, Tang Zhen, Wang Zhong, etc. Ils ont mis en évidence d’une manière plus forte les idées des Dynasties Ming et Qing, ainsi que leur congruence avec des pensées contemporaines en Europe. Avec la vérité des pensées historiques, on explique la façon particulière qu’a eue la Chine de faire son entrée dans la société moderne, on montre la cohérence logique intrinsèque de la société chinoise au cours de l’évolution historique, et on réplique avec force aux opinions de certains chercheurs occidentaux sur la « stagnation de la théorie » dans la société chinoise.
10Il est indéniable qu’en raison de l’utilisation d’armes théoriques nées dans la culture occidentale, comme le marxisme ou le léninisme, cette théorie reste encore trop éloignée des problèmes concrets qui sont ceux de la société chinoise. Bien qu’elle s’efforce de respecter les caractéristiques de la société traditionnelle chinoise et ses changements intérieurs, des traces de transposition sclérosée sont parfois évidentes, car le système d’évaluation dans son ensemble, les concepts, la terminologie ne correspondent pas toujours aux faits historiques concrets de la société chinoise. Par exemple, Hou résume par l’expression de « société féodale » l’histoire de la société chinoise entre les dynasties Qin et Han et celle des Qing, et il compare le système hiérarchique de la société chinoise avec le système du servage de l’ancienne Russie. En outre, concernant son étude des pensées des Ming et Qing, son niveau de maîtrise des caractéristiques de l’histoire culturelle et philosophique est loin d’être suffisant. Par exemple, il a par trop minimisé la valeur historique de l’heuristique dans la Dynastie des Qing et la philosophie de Dai Zhen. Ces insuffisances susmentionnées sont en attente de nouvelles théories postérieures qui permettront des rectifications étayées par des documents historiques détaillés et exacts.
II – Succession et développement de la théorie des « premières pensées des Lumières chinoises » de Hou Wailu par Xiao Shafu
11Le maître Xiao Shafu a continué à approfondir les « premières pensées des Lumières chinoises » de Hou Wailu [7]. En ce qui concerne la notion de « la philosophie des Lumières », la division des étapes, les objets critiques de « la philosophie des Lumières » primaire, ainsi que l’évolution tortueuse du cours de l’histoire, il a fait de nouvelles remarques très fructueuses. Ainsi, concernant « la théorie des premières pensées des Lumières chinoises » dans les dynasties Ming et Qing, il a décrit les règles de la sinisation de la philosophie marxiste, ce qui diffère grandement non seulement des commentaires abstraits et généraux des chercheurs bourgeois occidentaux modernes sur « la philosophie des Lumières », mais aussi de la théorie des « premières pensées des Lumières chinoises » chez Hou Wailu, fondée sur la définition de « la philosophie des Lumières » de Lénine. On a appliqué avec plus de souplesse l’esprit essentiel de la philosophie marxiste, et cela a mis plus clairement au jour « la philosophie des Lumières » au sein de la société chinoise avec la sinisation de la philosophie marxiste.
12La portée académique de son propos est double. D’une part, de façon plus claire et plus systématique, il a affirmé que la Chine possède son propre mouvement de « Lumières philosophiques », ce qui permet d’intégrer les pensées des dynasties Ming et Qing dans le cours de l’évolution mentale et culturelle de « l’histoire du monde » (selon le marxisme). D’autre part, la Chine a mis en évidence sa complexité et sa singularité au cours de la modernisation, ce qui a enrichi et approfondi l’idée de « philosophie des Lumières » dans le monde entier.
13Les contributions à la théorie « des pensées primordiales des Lumières de la Chine » dans les dynasties Ming et Qing chez Xiao se manifestent sur trois plans. D’abord, il a défini la notion de « Lumières » du point de vue de la philosophie marxiste ; ensuite, il a opéré une analyse détaillée des trois étapes des pensées primaires des Lumières en Chine ; enfin, les études originales sur la « dystocie philosophique » primaire et sur la défense des caractères nationaux contre la « dissimulation éthique » ont provoqué une réflexion de premier plan sur la question de l’articulation historique entre la culture traditionnelle chinoise et la culture occidentale moderne.
14Xiao a été le premier à établir les significations précises de cette notion philosophique très contestée de « Lumières » du point de vue de la philosophie marxiste. Selon lui, on peut utiliser dans le même sens les mots « Lumières » et « Renaissance ». Mais dans la science historique marxiste, la notion devrait avoir une signification spécifique. Au sens restreint, elle renvoie, depuis le XIVe siècle, au développement du capitalisme né dans les villes côtières de la Méditerranée, et aux découvertes, grâce aux Croisades, de nombreux trésors et manuscrits littéraires, de la Grèce antique à Rome, qui sont autant de témoins, en Italie et dans les autres pays, d’une richesse culturelle sans précédent. Cela peut apparaître comme la résurrection de l’Antiquité, mais en fait, ce courant de pensée humaniste est déclenché par les précurseurs de la pensée, ceux qui font l’éloge de la lutte nouvelle à l’aide des luttes défuntes dans le but de briser les contraintes théologiques. Dans un sens plus large, la « Renaissance » signifie ces « Lumières » qui reflètent le développement du capitalisme et qui s’opposent à l’obscurantisme médiéval [8].
15On a mentionné ci-dessus que les « Lumières au sens large » signifient les « Lumières qui reflètent le développement du capitalisme et qui s’opposent à l’obscurantisme médiéval ». On peut considérer que leur aire de répartition s’étend à l’Europe tout entière : l’Italie, la France, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne, etc. ; elles débutent avec Dante, le poète italien du XIIIe ou XIVe siècle, et avec un grand nombre de héros littéraires et de grands penseurs français, espagnols, néerlandais, anglais, allemands du XVIe siècle, ou bien encore avec les italiens Vanini (1586-1619) et Bruno (1548-1600), qui est appelé par Hegel le « martyr de la philosophie » et, ainsi qu’avec une série de mouvements idéologiques et sociaux opposés à la théologie médiévale, par exemple la Réforme religieuse et les guerres paysannes en Allemagne. Donc pour résumer, selon Engels, « la dictature de l’église sur l’esprit a été détruite […], la liberté de pensée qui vient de la philosophie grecque est de plus en plus enracinée, et a déjà fourni des conditions préparatoires au matérialisme du XVIIIe siècle [9]. » Évidemment, il ne s’agit pas là de l’expression prise dans le sens général des Lumières françaises ou de l’Aufklärung de Kant en Allemagne.
16Quelles sont les particularités de « la philosophie des Lumières » de la société chinoise comparée avec celles de la société européenne ? Xiao tire sa conclusion de comparaisons historiques concrètes : comparée à l’Europe, la Chine, après le développement du capitalisme, différerait de l’Italie et de la France, de la Grande-Bretagne et d’autres pays encore, tout en offrant un certain nombre de similarités historiques ou de points communs avec l’Allemagne et la Russie. Ces similarités et les points communs correspondent aux quatre aspects suivants :
17Premièrement, « le développement économique dans le processus vers les temps modernes était lent et arriéré. L’héritage historique de la relation patriarcale constituait une règle féodale aussi arriérée que puissante. En raison du sous-développement capitaliste de l’origine féodale, le processus d’entrée dans les temps modernes est beaucoup plus complexe ».
18Deuxièmement, « les guerres paysannes anti-féodales ont occasionné des soulèvements massifs. Les paysans ont formé le gros des troupes de la révolution anti-féodale, mais ils ne pouvaient pas gagner la victoire de la révolution, même s’ils contribuaient, directement ou indirectement, à la pensée des Lumières ».
19Troisièmement, « les citoyens émergents et la bourgeoisie sont tous nouveaux et précoces. Ils avaient tendance à faire des compromis en raison de leur faiblesse. Il leur était impossible de renverser le système féodal, raison pour laquelle le prolétariat et la paysannerie se sont finalement acquittés de cette mission ».
20Quatrièmement, « comme on ne pouvait pas arriver à la modernité à long terme, la révolution a eu un cours accidenté. Les relations de classe et les conflits sociaux sont complexes. D’une part, les choses nouvelles surpassaient les choses anciennes, d’autre part, les événements récents faisaient obstacle aux plus anciens, et par conséquent, le mouvement historique n’était pas propice [10] ».
21La culture contemporaine, qui est caractérisée en Allemagne, en Russie et en Chine par ces quatre points, a engendré, « dans l’avancée vers les Lumières de ces pays, de telles souffrances et de telles frustrations, qu’ils n’ont pas pu accomplir la mission assignée par l’histoire, mais que le flambeau a été repris, de génération en génération, par les héritiers du mouvement [11] ». Citons la Chine à titre d’exemple : « on peut compter cinq générations d’hommes qui ont émergé de la douloureuse histoire chinoise et qui ont parcouru un chemin semé de difficultés afin de découvrir la vérité. Pour les seuls philosophes des Lumières, nous pouvons compter Huang Zongxi, Gu Yanwu, Fang Yizhi, Wang Fuzhi ainsi que Yan Yuan, Dai Zheng, Jiao Xun, etc, qui ont partagé les mêmes valeurs humanistes sous ces dynasties des Ming et des Qing qui pour nous correspondent au début de Lumières. Ruan Yuan, Gong Zizhen, Wei Yuan, Lin Zexu, qui ont plutôt une vision extérieure, sont classés dans la génération des réformateurs. Yan Fu, Tan Sitong et Kang Youwei, qui ont fait l’effort d’apprendre les théories occidentales afin de mieux s’instituer, sont considérés comme la génération de l’innovation bourgeoise. Les réformateurs démocratiques de la bourgeoisie comme Sun Yat-sen et Zhang Taiyan ainsi que Liang Qichao, Wang Guowei et Cai Yuanpei, qui ont tenté de conceptualiser leur propre système à partir du modèle occidental, sont considérés comme des penseurs bourgeois. Depuis trois cents ans, des idées issues de plusieurs générations de philosophes, et provenant des théories et des écoles chinoise ou occidentale, ont finalement fusionné lors du Mouvement du 4 mai, d’où sont nés des philosophes comme Li Dazhao, Chen Duxiu, Mao Zedong et Cai Hesen qui, de révolutionnaires démocrates qu’ils étaient, sont alors devenus des marxistes [12]. »
22À travers toutes ces citations, « la philosophie des Lumières » des dynasties des Ming et des Qing, évoquée par Xiao Shafu, ne constitue qu’une période préparatoire à l’apparition de la philosophie moderne en Chine. Non seulement cette philosophie diffère de l’esprit du Moyen Âge, mais elle est inassimilable à la révolution des esprits qui se caractérise, avec la présence de la bourgeoisie sur la scène historique, par la critique instrumentale contre le féodalisme. Par conséquent, cette philosophie est différente des « Lumières françaises » du XVIIIe siècle ainsi que des Lumières auxquelles prétend Emmanuel Kant. En ce qui concerne la Chine, « les Lumières des XVIIe et XVIIIe siècles doivent être considérées comme une période préparatoire à ce qui constituera ultérieurement la philosophie contemporaine. Les Lumières de cette époque sont en effet le produit spécifique de l’histoire de la fin de la dynastie des Ming et du début de la dynastie des Qing [13]. » Pour donner une vision d’ensemble, à la fin des Ming et au début des Qing, la Chine a connu, avec le développement du capitalisme, la crise économique et politique du féodalisme. Les recherches sur la nature ont émergé et la littérature et l’art, qui représentent l’exigence humaine, ont connu une expansion sans précédent. Tout cela montre bien que le féodalisme, ainsi que les pensées dominantes de l’époque, « ne sont pas éloignées d’une période d’effondrement » comme l’a souligné Marx. En effet, il s’agit d’une période où les philosophes sont « en mesure de se critiquer eux-mêmes [14] ». On perçoit la tendance de nouvelles pensées :
23Premièrement, « la pensée du début des Lumières, apparue à cette époque, reflète les difficultés qu’a eues le peuple à faire valoir ses exigences contre les privilèges de la féodalité. Sous l’influence de la révolution paysanne, l’esprit de la démocratie, qui ambitionnait de dépasser la barrière du féodalisme, a pu émerger ». Des personnages tels que Wang Fu zhi, Huang Zongxi, Tang Zhen, Yan Yuan, Li Gong exigent une réforme politique et économique, « qui manifeste une divergence radicale par rapport à l’idéal de la révolution des paysans mais entretient une relation virtuelle avec le développement du capitalisme. D’ailleurs, ces penseurs sont vivement opposés à l’idée selon laquelle l’agriculture jouerait un rôle plus important que le commerce. Ils critiquent le système des examens impériaux en préconisant la création d’écoles privées. Ils aspirent au développement de la science, de la technique et de la culture. Tout cela est caractéristique de l’esprit des Lumières [15] ».
24Deuxièmement, « les philosophes du début des Lumières ont une sensibilité particulière, qui les porte du côté des sciences et de la méthodologie de la physique afin d’apprendre les techniques nouvelles et de se perfectionner en philosophie. Les personnages représentatifs sont Xu Guangqi, Fang Yizhi, Mei Wending, Wang Fuzhi. Fang Yizhi, par exemple, a développé la théorie de l’inséparabilité de la matière et du mouvement dans son Initiation à la Physique. Wang Fu Zhi, pour sa part, a essayé de vérifier le principe de conservation de la substance et le principe de l’énergie constante dans Notation de Zhang Zhi Zheng et Notes de Yi. Ils assimilent tous les deux les fruits de la science et atteignent un nouveau point culminant. La mise en évidence de la corrélation entre la science et la philosophie, menée par Fang Yizhi et Wang Fuzhi, provoque l’originalité des théories des Lumières philosophiques à cette époque, tant pour le contenu que pour la méthodologie [16]. »
25Troisièmement, « les philosophes du début des Lumières mettent l’accent sur les besoins de l’époque en créant une nouvelle attitude, caractérisée par le privilège accordé à la réalité, à la pratique et aux travaux empiriques. » « La méthode d’apprentissage visée par les philosophes des Lumières n’est plus bridée par celles des Dynasties des Han et des Song [17]. »
26En résumé, il est évident que, du point de vue politique et académique, la pensée du début des Lumières chinoises qui a pris son essor au XVIIe siècle est déjà différente de la pensée de la féodalité traditionnelle. D’ailleurs, elle possède aussi un élément d’autocritique concernant la féodalité autocratique et la féodalité bornée. La base sociale de la naissance de cette autocritique concerne la séparation politique de la classe des propriétaires terriens, provoquée par les insurrections des paysans et des citoyens contre la féodalité [18]. C’est en raison de la variété de ses bases sociales que la pensée du début des Lumières chinoises est totalement différente de la pensée de celles de l’Italie, de la France et de l’Angleterre. C’est ainsi que, en s’indexant sur le développement général de la philosophie contemporaine en Chine, le développement des tendances du matérialisme empirique et du matérialisme théorique du XVIIIe siècle aurait dû engendrer le remplacement du matérialisme dialectique absolu par le métaphysique [19]. Pourtant, à cause du recul historique au début de la dynastie des Qing, la nouvelle économie et les nouvelles pensées ont été fortement réprimées, et en dépit des efforts de Jiao Xun, Ruan Yuan, cette philosophie nouvelle n’a pu advenir. Dans la première partie du XIXe siècle, la Chine est entrée dans la période moderne avec une société terriblement appauvrie par la guerre de l’Opium. En conséquence, le produit des pensées du début des Lumières sous les Dynasties des Ming et des Qing a été ignoré pendant une centaine d’années. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que ce courant de pensée ressuscite dans la Réforme constitutionnelle et la Modernisation de 1898 ainsi que dans la révolte contre la tyrannie mandchoue. Il joue alors un rôle important qui inspire les Chinois [20]. Le recul historique du début de la dynastie des Qing a créé un effet globalement négatif sur la société de la Chine moderne. D’un côté, dans le processus de modernisation, il a mis la Chine en position de faiblesse et a détruit l’esprit national des Chinois ; d’un autre côté, nous sommes encore aujourd’hui en quête de théories contemporaines et adaptées à notre pratique de la modernisation chinoise.
III – Réflexion sur la signification et les limites de l’introduction du concept de « Lumières » dans l’écriture de l’histoire de la philosophie chinoise
27L’introduction du concept de « Lumières » dans l’écriture de l’histoire des philosophies chinoises n’est pas seulement un événement universitaire, elle est étroitement liée aux efforts politiques en vue de la modernisation, de la survie de la nation, et de sa mission de développement. Hou Wailu, pour sa part, a essayé de montrer qu’une pensée des Lumières primitives a existé dans l’histoire, afin de démentir l’assertion d’une « stagnation » de la société chinoise, pour reprendre Adam Smith et Hegel. Il s’agissait également de répondre à une question grave et importante sur le plan académique : la Chine pourrait-elle entrer spontanément dans la modernité sans une invasion des pays occidentaux ? Dans la logique des « Lumières primitives » de Hou, la réponse était oui. Mais pour la Chine, l’entrée dans la modernité se ferait par un chemin semé d’embûches, ce qui est bien exprimé par l’expression de « l’accouchement difficile » utilisée par Hou. Xiao se pose en héritier de la théorie de Hou, il lui doit aussi sa vision lucide des problèmes, et en même temps, il est conscient que son époque requiert une analyse plus approfondie des tâches concrètes et historiques qui sont celles des « Lumières » chinoises et occidentales. Il propose que les Lumières aient pour tâche concrète de s’opposer à « l’aliénation religieuse » tandis que la tâche concrète des Lumières est de s’opposer à « l’aliénation de la morale ». Xiao a rédigé un essai subtil sur « l’aliénation de la morale » : pour résumer son propos en quelques mots [21], on dira que l’humanisme ne s’éveille que quand le moralisme s’éteint.
28Selon Xiao, « l’aliénation de la morale » est un phénomène historique qui appartient uniquement à la Chine. Nombreux sont les penseurs qui défendent cette théorie de « l’aliénation de la morale », dont Dong Zhongshu qui adopte une méthodologie relevant de la théologie, et Zhu Xi qui, plus tard, adopte celle de la philosophie. Mais tout aussi nombreux sont les détracteurs de cette théorie : Bao Jingyan, Li Zhi, Dai Zhen, Gong Zizhen, etc. Par l’expression d’« aliénation de la morale », Xiao fait une claire distinction entre la morale aliénée de Confucius et celle des pensées humanistes, et notamment de l’humanisme marxiste. La morale confucéenne cherche à maintenir un moralisme qui néglige le besoin culturel de l’homme comme sujet, tout en le considérant comme le sujet de la morale. Cette opposition à « l’aliénation de la morale » ressemble beaucoup à l’opposition à « l’aliénation religieuse » dans le monde occidental, et même si elles n’ont pas le même contenu historique, elles manifestent un contenu moderne partagé entre la subjectivité individuelle qui est recherchée sous le concept de « philosophie des Lumières » et la modernité qu’exigent les cultures dans tous les domaines. Cette théorie des « pensées des Lumières primitives » emprunte son contenu concret, national et historique à la philosophie des « Lumières primitives », et c’est pourquoi elle s’oppose explicitement à l’universalisme sous la bannière du rationalisme de la philosophie occidentale moderne et à l’occidento-centralisme moderne [22]. Mais son esprit essentiel se conforme au contenu général de la « philosophie des Lumières » de l’Occident moderne, qui a pour sujet privilégié l’individu. Ce n’est que dans le champ de la philosophie mondiale, afin d’éviter le centralisme occidental, que nous pouvons découvrir « l’esprit des Lumières du premier temps de la Chine », explique Xiao dans son histoire de la philosophie chinoise qu’il ajoute à la « philosophie mondiale » moderne.
29Hou Wanlu et Xiao Shafu ont, bien sûr, introduit le concept de la « philosophie des Lumières » de l’Occident moderne dans l’écriture de l’histoire de la philosophie chinoise, ce qui soulève de nouveaux problèmes à la fois du point de vue de la théorie et de la réalité.
30Le premier problème théorique se formule ainsi : le mouvement spirituel moderne des Lumières est-il universel chez l’homme ? Si c’est le cas, on se demande pourquoi ce mouvement a fait son apparition en Occident par rapport au reste du monde. Et pourquoi ce dernier n’a-t-il pas établi en Chine une civilisation matérielle et spirituelle (y compris sur le plan du régime) semblable à celle de l’Occident ? Si ce n’est pas le cas, est-il pertinent d’analyser la nouvelle tendance de l’esprit chinois après la fin de la dynastie des Ming tout en se référant au concept des « Lumières » de l’Occident moderne ?
31Le deuxième problème théorique est le suivant : le néo-confucianisme avant la fin de la dynastie des Ming a-t-il eu, en tant que tradition spirituelle, un effet totalement négatif ? Pourquoi le néo-confucianisme des temps modernes cherche-t-il ses débouchés dans la culture chinoise tout en s’en inspirant ? De quels problèmes académiques et théoriques un tel choix théorique complètement opposé est-il le symptôme ?
32Le troisième problème théorique s’énonce ainsi : peut-on englober le développement de l’histoire chinoise dans les cinq périodes de la société féodale et capitaliste ? Est-il possible de considérer les phénomènes mercantilistes dans la société de la fin de la dynastie des Ming comme la « genèse du capitalisme » ? Quant aux pensées nouvelles de cette époque, faut-il les rattacher directement au mercantilisme ou au développement du capitalisme ?
33Le problème réel est le suivant : la source du mouvement spirituel moderne des Lumières chinoises se trouve dans la pensée occidentale moderne, et la généalogie [23] de l’esprit de la modernité chinois est fondamentalement construite sur le modèle de celle de l’Occident moderne ; d’autre part, on trouve peu de traces des idées laissées depuis la fin de la dynastie des Ming. Pour autant, la Chine d’aujourd’hui prend un chemin de modernisation très différent de celui de l’Occident, sans mentionner l’influence des pensées de la fin de la dynastie des Ming sur la Chine moderne et contemporaine.
34Ces questions ne concernent pas directement la réflexion sur le concept des « Lumières », et pourtant elles pèsent sur sa signification et sur son utilisation. La compréhension des Lumières dans le champ de la philosophie et de la culture comparée ne revient pas seulement à la définition philosophique d’un tel concept, mais aussi à son utilisation dans l’écriture de l’histoire de la pensée et de la philosophie. En d’autres termes, la divergence des compréhensions s’infiltre aussi dans l’écriture concrète de l’histoire de la pensée et de l’économie, ce que montre plus profondément encore la situation réelle de la compréhension et de l’acceptation du concept des « Lumières » dans l’éducation humaniste.
Notes
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[*]
WU Genyou est professeur à l’Institut de philosophie de l’Université de Wuhan, ses recherches portent sur la philosophie des dynasties des Ming et des Qing, et le politique chinois ; publication récente : Quête du TAO, de la vérité et de la communicabilité, Éditions Shangwu, 2014.
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[1]
Cf. la série d’articles intitulés La Réflexion sur les Lumières, 5e édition de Xuehai, 2010. D’ailleurs, Du Weiming, un des représentants du néo-confucianisme contemporain, préconise depuis très longtemps une réflexion sur la pensée des Lumières. De leur côté, les savants chinois contemporains dans le domaine de l’éthique environnementale, comme Lu Feng, s’y sont également engagés depuis une dizaine d’années. Lu Feng a médité systématiquement les avantages et les défauts de la pensée des Lumières dans son œuvre Après les Lumières (Édition de l’Université de Hunan, 2003). Récemment, Hu Zhihong a recueilli des mémoires consacrés à ce sujet dans le domaine de l’histoire académique et intellectuelle dans son livre Le Concept de Lumières évalué et considéré par les esprits modernes (Éditions de l’Université de Wuhan, 2011).
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[2]
Du 24 au 26 octobre 2009, l’Institut de Philosophie de l’Université de Wuhan et le Département de Philosophie de l’Université libre de Berlin ont tenu ensemble des conférences sur « les Lumières et la mondialisation ».
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[3]
Xiao Shafu, Xu Sumin, « La Première doctrine des Lumières » et la modernisation de la Chine – la commémoration du centenaire de Hou Wailu, Trois recueils de Chuisha, Éditions de Bashu, 2007.
-
[4]
Ibid., p. 31.
-
[5]
Ibid., p. 32.
-
[6]
Ibid., p. 35.
-
[7]
Dans le post-scriptum de son livre Changement et développement académique des Lumières dans la période Ming-Qing, Xiao présente des détails de son investigation sur les pensées de la période Ming-Qing, y compris des inspirations provenant des recherches concernées dans les quarante premières années du XXe siècle et surtout son propre parcours d’exploration au cours des années cinquante et soixante du siècle dernier.
-
[8]
Recueil de Chuisha, Éditions de Bashu, 1991, p. 10.
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[9]
Friedrich Engels, Une introduction à la Dialectique de la nature, Éditions du Peuple, 1971, p. 7.
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[10]
Ibid., p. 13-14.
-
[11]
Ibid., p. 14.
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[12]
Ibid., p. 15.
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[13]
Ibid., p. 16.
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[14]
Ibid., p. 16-17.
- [15]
-
[16]
Ibid., p. 17-18.
-
[17]
Ibid., p. 18-19.
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[18]
Ibid., p. 19.
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[19]
Ibid., p. 21.
-
[20]
Ibid., p. 21.
-
[21]
Recueil de Chuisha, p. 141.
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[22]
Guo Qiyong, L’Héritage spirituel de XIAO Shafu – la double signification de la doctrine des Lumières de M. Xiao, Commentaire de la philosophie, 7e volume, Éditions de l’Université de Wuhan, 2009, p. 7-14.
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[23]
Les concepts tels que « progrès », « concurrence », « création », « égalité », « démocratie », « science, « liberté », « bourgeois », sont tous traduits des esprits occidentaux. Gau Ruiquan, La Tradition des esprits modernes de la Chine – la généalogie des concepts modernes de la Chine (édition supplémentaire), Édition des Anciennes Œuvres de Shanghai, 2005.