Les logiques de Derrida

1 Bien que l’objectif philosophique et politique de Derrida soit manifestement « le logique » dans toute son extension et toutes ses dimensions, à de rares et précieuses exceptions [1], la question de la logique en tant que telle, dans la pensée de Derrida, n’a pas encore reçu toute l’attention qu’elle méritait. Dans les plis de cet « en tant que telle », se trouvent enveloppées trois questions que nous pouvons énumérer : celle de la forme du « logique », de son nombre et ses subdivisions spécifiques ; celle de la formalisation comme institution de la logique dite formelle (depuis une époque somme toute assez récente) ; enfin la question de la forme en tant que telle, c’est-à-dire en tant qu’objet ou thème par excellence de la logique.

2 Sans paradoxe ni sophisme, avec toutes les réserves et restrictions que cela appelle, forçons quelque peu le trait et procédons en mode hypothético-déductif. Supposons que la question logique ainsi déployée soit centrale dans l’entreprise qui se nomme « déconstruction du logocentrisme » ; qu’elle soit, pour ainsi dire, a priori, analytiquement, impliquée dans son énoncé. Il en résulte un certain nombre de complications qu’il est possible de dénombrer. L’une d’elles, qui renferme peut-être toutes les autres, tient à ce que l’amorce de cette question n’est ni possible ni pensable sans une raison a posteriori, pour ainsi dire empirique et contingente, que l’on peut présenter et qui se présente d’elle-même comme un événement anecdotique, mais que l’analyse doit révéler comme y étant nécessairement impliquée. Sans la formalisation aussi poussée que possible de cette « condition de possibilité contingente », on se condamne à ne rien entendre aux modalités très particulières de position de la question du logique chez Derrida, ni aux raisons pour lesquelles tout ce qu’il dit touchant le purement formel l’engage et l’expose à ce point, ni pourquoi, en général, une question logique apparemment neutre du point de vue pratique, est en réalité toujours à la fois une question de principe, éthique et politique.

I – Du « logique », de son nombre et de ses espèces

3 La délimitation du « logique » dans sa pleine extension, le dénombrement et la division des formes du « logique », telle est bien la première tâche de la logique, depuis l’analytique d’Aristote, jusqu’aux constructions et classifications de logiques formelles plus ou moins stabilisées (classiques, intuitionnistes, algébriques, théories des modèles, calculs des séquents, logiques linéaires, logiques modales, para-consistantes, etc.).

4 Tel que cela se dégage de la thématisation précédente, en dépit de sa clôture, on est en droit d’avancer que pas plus qu’il n’y a de phénomène homogène, unifié, unique, et aux contours fixes, qu’on nommerait « le logocentrisme », il n’y a davantage de logique universelle et unique. La déconstruction du logocentrisme est donc d’abord un repérage des « lieux » – points de singularité topologiques – où la logique tente de se rassembler, de ses bordures internes (nous venons de le voir quant au rôle que joue l’écriture ou le développement de la science) et externes (son rapport au langage, à la langue, au signe, au corps, à l’animalité, à la sexualité, à la politique, etc.). De là, une diversité de logiques et une multiplicité de dimensions – qu’on pourrait tenter de condenser sous le nom « phono-phallo-sémio-somato-anthropo-européologocentrisme ». Ces bordures externes, sans former à leur tour une limite continue, communiquent cependant par quelque point de contact, ou tangentiellement, avec le noyau « logocentrique ». Cette satellisation persiste et insiste à travers ce qu’on a vu à tort comme un tournant éthique ou politique de Derrida (amitié, animalité, pardon, justice, témoignage, secret, etc.). Une logique est toujours une politique – a minima une stratégie – et réciproquement. Chaque concept du lexique traditionnel de la logique formelle – ce n’est pas un hasard – investit le champ politique à mesure qu’une certaine abstraction s’empare de lui : identité, différence, universalité, etc. – sans oublier cette arme polémique, et à double tranchant, qu’est la catégorie de « formalisme [2] ». Et réciproquement. L’investissement logique de l’une de ces catégories produit ses effets dans le champ politique. Elle est, à tous les sens du terme, la « raison de ces effets [3] ». C’est pourquoi les logiques sont innombrables, chacune engageant toujours plus d’une position politique. Les premières et les plus fréquemment nommées sont la « logique de l’identité », la « logique de l’exemplarité », la « logique du supplément ». Caractérisons sommairement chacune à grands traits.

5 Soit d’abord la logique de l’identité. Les concepts de différance et de retard originaires – qui, précise Derrida, « s’étaient imposés à [lui] à partir d’une lecture de Husserl [4] » – plus efficacement que ceux de répétition ou de différence, ou de différence dans la répétition, cherchent à penser quelque chose qui échappe à « l’autorité de la logique de l’identité », comme à celle du « concept de temps [5] ». Non pour promouvoir l’absurdité ou la contradiction, ou une temporalité soustraite au concept vulgaire du temps, mais pour tenter de penser au-delà de ce qui est identique à soi, et donc aussi d’une différence qui présuppose cette identité, comme c’est le cas de la forme du temps. Ces concepts ne devraient donc pas trouver leur schème dans une représentation reposant sur une modalisation d’un présent en fonction d’un autre : « il faut éviter la représentation suivante : n’arrive qu’en un présent B ce qui devait (aurait dû) se produire en un présent A (“antérieur”)[6] ».

6 En-deçà de l’affirmation dialectique posée comme équipollente à la négation de la négation, le concept d’archi-trace (et d’archi-écriture) postule une rature originaire qui équivaut à une double affirmation, à un « oui, oui [7] », conjonction de modalités ou « qualités » (au sens logique et phénoménologique du terme) qu’il faut considérer aussi bien au niveau de sa syntaxe, que dans son articulation pré-linguistique, au niveau de la conscience originaire du temps. De là que le concept d’archi-trace qui tente de le penser et de l’articuler, et « doit faire droit et à cette nécessité et à cette rature », apparaisse comme « contradictoire et irrecevable dans la logique de l’identité[8] ».

7 La logique du supplément. Archi-trace, différance, double affirmation, rature originaire, supplément, ces concepts, qui doivent « permettre de dire en même temps le contraire sans contradiction » signalent les contours d’une autre logique, qui, pour être autre que « la logique de l’identité », ne renonce pas pour autant à son statut de logique et dont l’un des noms est la « logique du supplément [9] ». La contradiction, autre nom de l’impossible dans le cadre de la logique de l’identité, s’y trouve débordée grâce à l’introduction d’un autre concept de la dynamis (du possible, de la virtualité et de la puissance).

8 Pensé dans son rapport caché à la logique du supplément, le concept de virtualité (comme toute la problématique de la puissance et de l’acte) a sans doute pour fonction, chez Rousseau en particulier et dans la métaphysique en général, de prédéterminer systématiquement le devenir comme production et développement, évolution ou histoire, en substituant l’accomplissement d’une dynamis à la substitution d’une trace, l’histoire pure au jeu pur, et, comme nous le notions plus haut, une soudure à une rupture. Or le mouvement de la supplémentarité semble échapper à cette alternative et permettre de la penser[10].

9 Les modalités aristotéliciennes (possibilité, impossibilité, actualité, nécessité, contingence) ne se laissent pas enrégimenter par la logique de l’identité (particulièrement manifeste chez Leibniz [11]), où le réel n’est qu’une réplique du possible analysable à l’infini et combiné dans un calcul divin (compatible avec le choix d’un monde et avec le choix du meilleur des mondes possibles), et où l’informel relatif de la dunamis aristotélicienne se résorbe dans l’actuel, le présent, le réel. C’est à cette condition que le possible devient calculable et par suite réductible au principe d’identité (chez Leibniz, Becker et Kripke). La logique de l’identité apparaît de ce point de vue comme un appauvrissement. Cependant, à insister sur le « jeu pur » de substitution de la trace – à une autre trace –, la logique de l’écriture finit étrangement par mimer davantage le jeu du formalisme le plus pur que la « formalisation » – avant la lettre – de la logique aristotélicienne, qui restait attentive aux pleins et au déliés du réel (catégories, causalités et leurs modalisations). Pour autant, le concept de supplément et sa logique refusent cette alternative.

10 Au point de basculement d’une logique en l’autre : la logique de l’exemplarité ou « logique exemplariste ». Le combat pied à pied avec les complications de cette logique, son ambivalence et ses ressources n’aura jamais cessé chez Derrida. Sa déconstruction va de pair avec celle de l’universel-singulier, sous les traits du cogito ou du Dasein, comme de sa variante politique, celle de l’universalisme du national (dans ses versions les plus émancipatrices et les plus ouvertes comme dans ses versions les plus aliénées, les plus ethnicistes, les plus « identitaires »). La « logique exemplariste » signale en effet d’autres dimensions et variantes du logocentrisme : celle de l’ethnocentrisme dont les formes ne sont pas toutes, nécessairement et explicitement, repliées sur l’ethnique. Il en va ainsi des lieux communs, tels que la France-terre-de-la-déclaration-universelle-des-droits-de-l’homme. Ainsi de « ce qu’un Michelet (par exemple) dit […] de la nation et de la France » :

11

l’universalisme allégué ne peut s’accorder qu’à la condition d’une logique exemplariste […][12] . Pour donner des exemples de l’exemplarisme que nous mettons en cause, on pourrait en effet multiplier sans fin les énoncés de ce type : “Elle [la France] s’est trouvée elle-même, et, tout en proclamant le futur droit commun du monde, elle s’est distinguée du monde plus qu’elle n’avait fait jamais”[13].

12 Parce qu’il structure le témoignage, l’exemplarisme en tant que tel signale la racine commune des auto-affirmations politiques et ontologiques. C’est du reste, au texte du Politique de Platon où le « très vieux jeu d’enfant » de l’exemplarité s’enclenche, que Derrida fait retour :

13

[…] pour tenter de convaincre plus vite, prenons un exemple […]. Quel exemple ? Celui-ci. […] quand je dis cet exemple-ci, je dis déjà plus et autre chose, je dis quelque chose qui déborde le tode ti, le ceci de l’exemple. L’exemple même, en tant que tel, déborde sa singularité autant que son identité. C’est pourquoi il n’y a pas d’exemple alors même qu’il n’y a que cela, j’y ai trop souvent insisté, sans doute, sur des exemples divers. L’exemplarité de l’exemple n’est évidemment jamais l’exemplarité de l’exemple[14].

14 Par son amorce, le questionnement de l’analytique existentiale reprend elle aussi l’essentiel de la structure d’un cogito. Le singulier – l’unique – dans quelque modalité que ce soit (ce qui a lieu, une fois pour toutes, qui signe, etc.), y est déjà affecté par la substitution. Corolaires : l’emploi des concepts logiques aussi fondamentaux que ceux de singularité, d’individualité et leurs variantes (sui generis, une fois unique, une fois pour toutes, lieu propre, le propre, etc.) se complique ; une nouvelle strate logique se détache de la logique de l’exemplarité, que Derrida nomme « logique de l’hôte comme otage », qu’il faut également formaliser.

15 Quant à cette valeur si énigmatique de l’attestation, voire de l’exemplarité dans le témoignage, voici une première question, la plus générale sans doute. Que se passe-t-il quand quelqu’un en vient à décrire une “situation” prétendument singulière, la mienne par exemple, à la décrire en en témoignant dans des termes qui le dépassent, dans un langage dont la généralité prend une valeur en quelque sorte structurelle, universelle, transcendantale ou ontologique ? Quand le premier venu sous-entend : “Ce qui vaut pour moi, irremplaçablement, cela vaut pour tous. La substitution est en cours, elle a déjà opéré, chacun peut dire, pour soi et de soi, la même chose. Il suffit de m’entendre, je suis l’otage universel.” ? Comment cette fois décrire alors, comment désigner cette unique fois ? Comment déterminer ceci, un ceci singulier dont l’unicité justement tient au seul témoignage, au fait que certains individus, dans certaines situations, attestent les traits d’une structure néanmoins universelle, la révèlent, l’indiquent, la donnent à lire “plus à vif”, plus à vif comme on le dit et parce qu’on le dit surtout d’une blessure, plus à vif et mieux que d’autres, et parfois seuls dans leur genre ? Seuls dans un genre qui, ce qui ajoute encore à l’incroyable, devient à son tour exemple universel, croisant et accumulant ainsi les deux logiques, celle de l’exemplarité et celle de l’hôte comme otage [15] ?

16 Le dialogue et l’analyse de la question se poursuivent [16] dans la direction d’une autre logique (« logique du cœur » ou « logique de la croyance ») qui, à travers la promotion des concepts de « témoignage », « secret », « croyance », « pardon », « don » etc. au rang de concepts logiques, poursuit la formalisation du logique, ou plutôt repère les vestiges d’une formalisation déjà à l’œuvre, et produit de ce fait, en le thématisant, une extension du domaine du formel à ses dimensions intersubjectives et éthiques.

17 Pour le comprendre, arrêtons-nous à la formalisation telle que Derrida la thématise.

II – Formaliser, dit-il

18 La formalisation marque l’accomplissement scientifique de la logique, c’est-à-dire sa mue mathématique ainsi qu’un certain achèvement – ce que Derrida appelle sa clôture. Accomplissement paradoxal, qui, par son succès même, marque la fin d’une époque et les limites de ses prétentions philosophiques et épistémologiques. Les usages philosophiques et policiers de la logique du premier ordre, dont la complétude a été démontrée, n’y changent rien. Tout au contraire. Cette complétude couplée aux théorèmes d’incomplétude, lus comme Gödel nous invite à le faire, établissent précisément que la logique ainsi achevée n’est pas une logique de la vérité, que produire des vérités ou questionner la vérité, en sciences ou en philosophie, cela passe par d’autres voies et modes d’investigations que la formalisation [17].

19 La formalisation n’est jamais une opération neutre. Ni théoriquement, ni politiquement. En revanche, formaliser, c’est neutraliser, théoriquement et politiquement, mettre à nu l’armature d’une pensée, d’une position, d’une rhétorique, d’un discours, d’une action, d’un programme, etc. Derrida n’y manque jamais. Il marque ainsi son opposition à diverses formes de naïveté et les insuffisances critiques qui affectent, à ses yeux, entre autres, les entreprises généalogiques et herméneutiques contemporaines. Qu’il s’agisse de concepts politiques, philosophiques, psychanalytiques, etc. une déconstruction sans analytique, hypo- ou infra-analytique, se réduisant à un simple repérage généalogique des symptômes ou des effets, s’expose à l’irresponsabilité, à la non-pertinence, ou, comme il le dit souvent, à l’empirisme ou au positivisme.

20 Sans multiplier les exemples, qui nous submergeraient par leur flot continu, donnons un échantillonnage de ces gestes de formalisation explicite et, pour les rendre plus nets, et ne pas nous laisser détourner par les éléments de contexte et de contenu, procédons nous-même à une algébrisation minime des citations. Celle-ci sera d’autant moins infidèle et violente qu’elle suit la motion de la pensée de Derrida, qui, parce qu’elle l’appelle, la nomme, la vise, la thématise, l’amorce, y invite, la provoque. En ne fournissant de leur contexte et de leur contenu que le strict nécessaire, laissant en suspens toute autre référence, et jouant de quelques procédés d’écriture (mise en suspens de la référence par substitution de points de suspensions, coupures, redoublement de la trace, italiques, changement de casse, etc.), procédons au marquage de quelques uns de ces gestes de formalisation. Donnons-leur cependant une tournure logique en les formulant comme autant de propositions, voire de règles opératoires. Dix propositions. Dix injonctions opératoires.

21 P1. Toute déconstruction conséquente implique une formalisation aussi complète que possible. Pour être conséquente et ne pas retomber dans un réalisme naïf, pour savoir ce que savoir lire veut dire, la déconstruction doit admettre une formalisation.

22 Même si on les tenait [ces « textes-choses »] pour des effets et des symptômes dérivables, encore faudrait-il en analyser et formaliser la possibilité de façon pertinente. Pertinente et, si c’était possible mais voilà toute la question, exhaustive. Une formalisation complète en serait nécessaire non seulement pour déterminer de quoi ils sont l’effet symptomatique mais pour savoir de quoi cette cause supposée, la chose, le « réel » même, aura été capable[18].

23 À l’encontre d’une approche naïvement herméneutique ou génétique en termes d’effets ou de symptômes qui continuent de faire fonds sur les « schèmes traditionnels de la causalité ou de la signification », ou même d’une herméneutique critique, voire soupçonneuse, attentives aux niveaux de production des « choses-textes », Derrida ne cesse de rappeler l’exigence d’une analyse et d’une formalisation systématiques, c’est-à-dire aussi pertinentes et complètes que possible. On notera que ce qu’on s’épuise ainsi à formaliser, c’est la « capacité » – la dunamis, l’étrange « possible » que présuppose l’interprétation ou l’explication.

24 P2. La formalisation ainsi entendue présuppose l’analyse. Le dilemme « psychologique » et « psychotechnique » de l’analyse-infinie-vs-analyse-finie, se trouve resitué sur le terrain logique de l’analyse comme division (diairesis, dichotomie, partition etc.), et rappelle à quel point la déconstruction s’inscrit en profondeur de l’histoire de la logique de l’analyse.

25 La question de la divisibilité est l’un des plus puissants instruments de formalisation pour ce qu’on appelle « la déconstruction ». Si, par hypothèse absurde, il y avait une et une seule déconstruction, une seule thèse de “La déconstruction”, elle poserait la divisibilité : la différance comme divisibilité. Ce qui revient paradoxalement à engager dans une surenchère analystiste une pensée très attentive à prendre en compte ce qui se refuse toujours à l’analyse (la complication originaire, le non-simple, l’origine raturée, la trace ou l’affirmation du don comme trace). Paradoxe seulement apparent  : c’est parce qu’il n’y a pas d’élément indivisible ou d’origine simple que l’analyse est interminable[19].

26 P3. La déconstruction, en tant que processus, expérience et pratique, doit elle-même être formalisée, ce qui présuppose que, même si elle ne s’y réduit pas, il est possible de la présenter comme une opération.

27 On chercherait à le dire, à le thématiser, à le formaliser à travers une déconstruction en cours – le cours du monde – sous ces vieux noms. Dire, thématiser, formaliser, ce ne sont pas des gestes neutres ou apolitiques, venus après coup en surplomb. Ces gestes sont des prises de parti dans un processus. En appelant cette expérience […] “déconstruction généalogique”, on ne nommerait plus ici, […] une opération qui procèderait seulement par analyse, rétrospection et reconstitution généalogiques. Il s’agirait aussi d’une déconstruction du schème généalogique, d’une déconstruction paradoxale, d’une déconstruction à la fois généalogique et a-généalogique du généalogique. Elle concernerait par privilège, d’où son attribut, le généalogique. (Politiques de l’amitié, p. 128).

28 L’argument commence par une série d’équivalences : toute expression équivaut à une thématisation qui, elle-même, équivaut (est équipollente) à une formalisation. Elle appelle ainsi à une prise de position, ce qui en suppose l’expérience telle que Monolinguisme s’efforce d’articuler au plus intime du propre. Mais la déconstruction elle-même doit être formalisée. L’expérience de la déconstruction comme processus renvoie donc, une fois de plus, les lectures généalogiques (issues de Nietzsche ou de Rousseau, même revisités) à leur insuffisance logique et critique.

29 P4. Les limites de la formalisation doivent elles-mêmes être formalisées. Suivant les mêmes équivalences, phénoménologiquement vérifiables, Derrida approfondit cette critique jusqu’au point de suspens qu’il nomme « indécidabilité ».

30 Le pli d’un tel supplément d’objectivation n’ajoute pas un degré ou un cran de plus dans un mouvement continu. Il ne réoriente pas seulement en direction d’une interprétation généalogique de la valeur d’objectivité. Il marque aussi cette limite différentielle que j’avais, dans un autre contexte, tenté de formaliser au sujet de la thématisation [20]. On peut dire de l’objectivation ce qu’on dit à cet égard de la thématisation[21].

31 De manière redoublée, la critique de la thématisation et de l’objectivation (donc de la formalisation) ne peut se faire qu’à en tenter la formalisation ; mais c’est précisément ce qui déporte la critique vers « un tertium datur, sans synthèse ». Nous ne pouvons suivre ici tous les détours de « La double séance » ici mentionnée (texte qui parcourt tous les plis de la question que nous avons posée, celle de l’idéalité, de l’algébrisation, de l’idéalité de la lettre, de l’exemplarité, de l’illustration, de la mimésis, de la syntaxe, de la syntaxe de la mimésis, de l’espace de l’écriture et de l’écriture comme espacement, de la métaphore, etc.). Laissons de côté ce que Derrida nomme dans ce texte « logique de l’hymen » et « logique de la lapalissade », ou encore l’histoire de la vérité qui, de Platon à Mallarmé, d’une spéléologie de la vérité à l’autre, d’une mimésis à l’autre, nous fait passer d’une logique de la vérité à l’autre. Reportons-nous simplement à l’un de ses points culminants, de ses points de suspens, dans l’énoncé de l’« indécidabilité » et dans le repérage de ses « figures ».

32 L’allusion […], est bien l’opération qu’on appelle ici par analogie indécidable. Une proposition indécidable, Gödel en a démontré la possibilité en 1931, est une proposition qui, étant donné un système d’axiomes qui domine une multiplicité, n’est ni une conséquence analytique ou déductive des axiomes, ni en contradiction avec eux, ni vraie ni fausse au regard de ces axiomes. Tertium datur, sans synthèse. L’“indécidabilité” ne tient pas ici à quelque équivocité énigmatique. […] L’effet en est d’abord produit par la syntaxe qui dispose l’“entre” de telle sorte que le suspens ne tienne plus qu’à la place et non au contenu des mots. […] Cette pointe s’avance selon l’excès du syntaxique sur le sémantique. Le mot “entre” n’a aucun sens plein en lui-même, c’est une cheville syntaxique, non un catégorème, mais un syncatégorème, ce que les philosophes, du Moyen-Âge aux Recherches Logiques de Husserl, appellent une signification incomplète[22].

33 P5. La formalisation effective, sans l’exclure, ne requiert pas le passage par la production d’un symbolisme artificiel. Poursuivant l’explicitation de la puissance syntaxique du syncatégorème « entre », Derrida salue l’exploration « spéléologique » par Bachelard de ce concept mathématique (formalisé comme tel par Hilbert), lequel, contre une conception trop littéraliste de la formalisation, nous rappelle à la « puissance formalisante » de l’écriture, telle qu’elle se déploie non seulement dans les mathématiques formalisées, mais, au-delà, dans la langue naturelle, « supérieure à celle qu’on prête à certaines notations d’apparence formelle » (je souligne). Notons qu’il s’agit aussi d’une potentiel syntaxique renfermé dans un élément qui n’est qu’une partie de syntaxe ou d’une sémantique complexe, ce qui a pour résultat de compliquer singulièrement – Derrida le souligne – des distinction fondamentales telles que syntaxe/sémantique, langue naturelle/langue artificielle, et de suspendre la croyance en une réductibilité du sémantique à des termes ultimes simples (individus ou atomes logiques) ou à des référents simples (empiriquement donnés).

34 À supposer que la distinction encore métaphysique entre langue naturelle et langue artificielle soit rigoureuse […], il y aurait des textes de langue dite naturelle dont la puissance formalisante serait supérieure à celle qu’on prête à certaines notations d’apparence formelle.

35 On n’est même plus autorisé à dire que “entre” soit un élément purement syntaxique. Outre sa fonction syntaxique, par la re-marque de son vide sémantique, il se met à signifier. Son vide sémantique signifie, mais l’espacement et l’articulation ; il a pour sens la possibilité de la syntaxe et il ordonne le jeu du sens. Ni purement syntaxique, ni purement sémantique, il marque l’ouverture articulée de cette opposition[23].

36 P6. Les concepts formalisés dans le cadre de la logique déconstructiviste apparaissent comme impossibles au regard d’une logique de l’identité, et quasi-transcendantaux, hyperboliques, du point de vue d’une logique transcendantale. Cela ne suppose nullement un abaissement de l’exigence critique et analytique, mais au contraire son affermissement. Cette lecture logique et épistémologique des concepts et théories psychanalytiques est du reste une constante chez Derrida, comme le rappelle cette rétrospection, qui donne la mesure de la conséquence et de la rigueur des « recherches logiques » engagées sous le titre de « déconstruction ». C’est ainsi que

37

[…] pour éviter que la critique de l’originarisme sous sa forme transcendantale ou ontologique, analytique ou dialectique, ne cède la place, selon une loi que nous connaissons bien, à l’empirisme ou au positivisme, il fallait faire droit, de façon encore plus radicale, plus analytique, à la requête traditionnelle, à la loi même de ce qui venait à être déconstruit : d’où des concepts impossibles, des quasi-concepts, des concepts que j’appelais quasi transcendantaux, comme l’archi-trace ou l’archi-écriture, l’archi-originaire plus « ancien » que l’origine – et surtout une affirmation donatrice qui reste l’ultime inconnue pour l’analyse qu’elle met pourtant en mouvement. Ainsi s’annonce finalement le statut sans statut de tous les concepts et de tous les noms de concepts proposés en nombre non fini dans le mouvement de « la déconstruction ». Cette « théorie » est appelée, certes, par une pensée de l’écriture (dans De la grammatologie, par exemple) mais elle se thématise et se formalise mieux (avec La Dissémination, Glas, Parages…) dans sa relation au double bind, à la stricture de la double bande et surtout d’une restance qui n’est pas et ne relève pas plus de l’ontologie qu’elle ne se prête à la relève dialectique. […] Ce double bind, cette double astreinte inanalysable de l’analyse est à l’œuvre sur l’exemple de toutes les figures dites de l’indécidable qui se sont imposées sous les noms de pharmakon, de supplément, d’hymen, de différance et d’un grand nombre d’autres qui portaient en eux des prédicats contradictoires ou incompatibles entre eux, dans leur entre même, dans leur entrelacement, leur invagination chiasmatique, leur symplokè ou leur Geflecht  ; toutes ces figures apparaissaient en série à l’analyse, tout en y dérobant la présence pleine de leur comme tel, s’annonçant plutôt que se donnant à l’analyse. Mais chacune compose en elle, dans sa symplokè, et entre les prédicats contradictoires, une seule trace qui n’est pas un tout, qui n’est pas identique ou homogène à elle-même mais qui reste, en cela même, inanalysable[24].

38 P7. La formalisation tend à l’axiomatisation et présuppose la complétude ; mais l’analyse étant interminable, l’une comme l’autre ne sont jamais achevées. Pour autant, cette axiomatique impossible ne peut – ne doit – jamais être abandonnée. Ce mouvement poursuivi à perte est formaliste à l’extrême. De là son « apparence contradictoire » et sa sophistication que les lecteurs pressés identifient à de la sophistique, alors qu’il s’agit d’une logique de la vérité poursuivie dans ses dernières conséquences – qui suppose d’un désir extrême, sincère et contrarié de vérité – donc de pensée rigoureusement formelle de la vérité. Le désir de complétude axiomatique est aussi fort et irrépressible que le doute sur sa réalisabilité.

39 Nous voulons seulement croire que nous sommes sur la trace d’une axiomatique impossible et qui reste à penser. Or si elle se ferme peut-être, d’instant en instant, d’un coup de projecteur à l’autre, d’un phare à l’autre […], c’est que la nuit tombe sur la valeur de valeur, et donc sur le désir même d’une axiomatique, d’un système de valeurs conséquent, accordé ou présupposé [25].

40 Quant à ceux qui en tireraient argument pour tourner le dos à toute formalisation ou se plonger, avec délectation, dans l’élément d’une positivité ou d’une réalité historiques retrouvées, Derrida objecte que ce serait se condamner en réalité à l’irresponsabilité, à l’amnésie et au ressassement :

41

Or que feraient une « histoire », une science ou une action historique qui se voudraient résolument et ingénument extra-discursives et extra-textuelles ? Que feraient en vérité une histoire ou une philosophie politiques enfin réalistes si elles ne prenaient en charge, pour s’y mesurer, pour en rendre compte, l’extrême formalisation [je souligne], les nouvelles apories, l’instabilité sémantique, toutes les conversions inquiétantes que nous venons de voir à l’œuvre dans ces signaux ? Si elle ne tentait de lire tous les possibles d’apparence contradictoire (« rapport sans rapport », « communauté sans communauté », etc.) auxquels nous rappellent ces « discours » ? Disons-le : très peu de choses, presque rien. Elles manqueraient le plus dur, le plus résistant, le plus irréductible, le plus autre de la « chose même ». Elles s’affubleraient de « réalisme » au moment de tourner court devant la chose – et de répéter, répéter, répéter sans même la conscience ou la mémoire du ressassement [26].

42 P8. L’axiomatique de la déconstruction doit contenir la critique de l’axiomatique. On comprend dans ces conditions que la déconstruction entretienne fatalement une attitude ambivalente vis-à-vis de l’exigence de formalisation à l’œuvre dans l’axiomatisation [27]. Ce qui résiste ainsi n’est cependant pas l’indice d’un excès de sens, base d’une herméneutique, non plus qu’une « origine » du sens, un étymon, qu’une généalogie s’épuiserait à réactiver. Nous vérifions une fois de plus comment l’insistance du motif de la formalisation est constamment associée à une critique non moins insistante du généalogique sous toutes ses formes (nietzschéenne, rousseauiste, foucaldienne, etc.). Derrida ajoute même que « la “déconstruction” ne commence qu’avec une résistance à ce double motif. » Située résolument du côté hypercritique et hyper-logiciste,

43

[elle] en radicalise même à la fois l’axiomatique et la critique de l’axiomatique. Ce que son travail met en question, c’est non seulement la possibilité mais le désir ou le fantasme d’une ressaisie de l’originaire, le désir ou le fantasme aussi de rejoindre jamais le simple, quel qu’il soit. Il s’agit là d’un mouvement non seulement contre-archéologique mais contre-généalogique de la déconstruction : la “généalogie” du principe généalogique ne relève plus d’une simple généalogie[28].

44 P9. Cette formalisation critique du formalisme « échappe » à la dialectique dans la mesure où elle s’engage dans une formalisation de l’esthétique transcendantale. Nous pouvons également mesurer le trajet parcouru depuis les premières incursions « à partir de Husserl ». Ce qui s’y profilait comme « dialectique » s’affirme comme hyper-analyse.

45 Pour toutes ces raisons, elle ne relève ni d’une esthétique, ni d’une analytique, ni d’une dialectique transcendantale. Tout en suivant une argumentation qui ressemble par exemple à la critique hégélienne du formalisme et de l’analytisme kantiens, […] la nécessité de constructrice pousse à mettre en question jusqu’à ce principe de présence à soi dans l’unité de la conscience ou dans cette auto-détermination, cette logique de la Selbstbewegung ou cette immanence de la présupposition (Voraussetzung) sans cesse requise par la dialectique hégélienne.

46 Au fond, ce qui résiste et à l’analytique kantienne et à sa critique dialectique, c’est encore une analyse, certes, mais une analyse de la présence du présent qui ne peut pas ne pas se rendre à la nécessité et à l’affirmation d’une hétéro-affection dans le système de l’auto-affection et du présent vivant de la conscience. C’est ce que j’avais essayé de démontrer à partir de Husserl – c’est-à-dire aussi en partant et en m’éloignant de lui –, d’un certain Husserl. La phénoménologie transcendantale est aussi une analytique de constitution – statique ou génétique. La réduction eidétique et la réduction phénoménologique ne sont certes pas des analyses logiques, mais elles gardent de l’analyse le double principe du retour vers l’originaire et de la décomposition-recomposition d’une synthèse active ou passive[29].

47 Se limitant « aux structures les plus formelles de ces mouvements », qui caractérisent la scansion fondamentale de « la déconstruction », il est possible de présenter cette dernière comme « un hyperbolisme de l’analyse », s’appliquant à analyser « les présupposés analystes et dialecticistes ».

48 P10. La formalisation n’est pas une opération philosophiquement et politiquement neutre. La déconstruction comme pratique discursive et philosophique rigoureuse, tout comme son efficacité politique et stratégique, impliquent une formalisation. La question politique n’est pas une question parmi d’autres, mais celle de la « logique » qui prétend, en l’occurrence, diviser l’institution philosophique en recherche et enseignement, et suppose que l’une comme indépendante de l’autre. Formaliser est la condition d’une déconstruction qui s’élève au minimum de seuil critique. Ainsi des politiques d’enseignement de la philosophie :

49

Cela dit, la distinction entre l’“affaire propre” de la philosophie dans son autojustification et “la philosophie critique de l’enseignement” se reconnaît là une “logique” – et donc une stratégie – offerte aux questions déconstructrices les plus insistantes et les plus formalisées. Qu’implique une telle “logique” ? Ceci au moins : interdire l’école de la philosophie, à tous ou à certains, ce ne serait pas barrer son propre chemin à la philosophie[30].

50 Nous touchons ici au repli ultime de la question de la forme, comme objet propre du savoir. Depuis l’articulation dialectique de l’eidos et sa présentation sous forme de définition dichotomique dans les dialogues tardifs de Platon, jusqu’aux morphologies formelles ou semi-formelles qui ont fleuri à notre époque, en passant par toutes les variantes d’ontologie formelle, la logique de la vérité est la logique de l’appariement du formel émergent (disons du « mathématique ») des divers champs de savoir et du formel tel qu’il est possible de le produire au sein d’un langage (le formel « apophantique », « discursif », « linguistique »). Le projet originel et l’ambition première de la logique restent malgré tout d’ordre philosophique, ou, si l’on veut, il subsiste un espace pour une « logique philosophique » conçue comme une exposition de la forme du savoir et du savoir comme compréhension de la forme.

III – Derrida logicien

51 Ce qui complique cette « logique philosophique » est précisément ce qui en fournit la condition de possibilité ultime, celle qui se trouve symboliser l’articulation du savoir à l’amitié, dans son nom même de philosophie. Nous en venons ainsi à la (double) implication qui constitue l’objet de ce traité de logique qu’est Le Monolinguisme de l’autre.

52 S’il y est question de langue et de logique, c’est que la question de la langue et de l’unicité d’une « langue-qui-n’est-pas-la-langue-propre-de-celui-qui-la-parle », engage celle du logos de manière radicale, dans toute son extension, et par suite de ses limites, lesquelles se marquent, à la jointure de la formule aristotélicienne (zôon logon ekhon), entre le logique et l’animal – en lui-même dépourvue de « logique » – dans l’« avoir » (ekhein), rendant ainsi plus incertaine et difficile la prétention à posséder une « langue propre », à maîtriser une logique, à avoir raison, à avoir « toute sa raison », et, sur un registre plus politique, « avoir le dernier mot », etc. [31].

53

Certes, tout ce qui m’a, disons, intéressé depuis longtemps – au titre de l’écriture, de la trace, de la déconstruction du phallogocentrisme et de “la” métaphysique occidentale […], tout cela n’a pas pu ne pas procéder de cette étrange référence à un “ailleurs” dont le lieu et la langue m’étaient à moi-même inconnus ou interdits, comme si j’essayais de traduire dans la seule langue et dans la seule culture franco-occidentale dont je dispose, dans laquelle j’ai été jeté à la naissance, une possibilité à moi-même inaccessible, comme si j’essayais de traduire dans ma “monolangue” une parole que je ne connaissais pas encore, comme si je tissais encore quelque voile à l’envers […] et comme si les points de passage nécessaires de ce tissage à l’envers étaient des lieux de transcendance, donc d’un “ailleurs” absolu, au regard de la philosophie occidentale gréco-latino-chrétienne, mais encore en elle […] [32].

54 Cette suspension de référence n’est pas sans rapport avec les gestes de la formalisation pistés ci-dessus, qui s’épuisent à ressaisir une « formalisation » antérieure à la formalisation entendue comme évacuation méthodique (« algébrique ») de la référence : substitution à l’objet déterminé du quelque chose en général ou de l’objet vide, substitution de signe à signe, de trace à trace. Il s’agit d’un processus historiquement à l’œuvre. La suspension originaire de la référence est prise dans l’élément de la contingence ; elle a la structure d’un événement (celui de la naissance, d’une expulsion d’une école, d’une migration, etc.). Parce qu’il se présente sous la forme d’une référence suspendue à un ailleurs, à une transcendance, à la fois externe et interne à la « philosophie occidentale gréco-latino-chrétienne », l’événement en question revêt d’emblée un caractère que Derrida se risquera à qualifier, en référence à Benjamin, de « messianique sans messianisme ».

55 Dans un style plus impersonnel, et, pour cette raison même peut-être moins conséquent, ce qui s’est avancé, sous le titre science de l’écriture – de grammatologie–, pour se retirer presque aussitôt, se présentait comme un projet de science de la « logique [33] » (difficile, nécessaire, et peut-être impossible). Cela impliquait une prise en compte de son intention et ambition première d’être une théorie de la science, une présentation scientifique du concept de la science, ce que ne manque pas de faire Derrida :

56

Le concept de la science ou de la scientificité de la science – ce que l’on a toujours déterminé comme logique – concept qui a toujours été un concept philosophique, même si la pratique de la science n’a en fait jamais cessé de contester l’impérialisme du logos, par exemple en faisant appel, depuis toujours et de plus en plus, à l’écriture non-phonétique[34].

57 Mais c’est pour marquer aussitôt les limites, ou plutôt (parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un approfondissement de la critique de la raison logique) tracer la clôture de ce concept et de ce projet, car les limites s’annoncent non seulement depuis un dehors (d’un « ailleurs »), mais à l’intérieur de l’histoire des sciences, au plus fort de leur déploiement, au moment même où, s’emparant de l’écriture, elles se décentrent et soustraient à l’hégémonie supposée de la logique centrée sur le discours et la parole. Cette époque correspond au moment où l’écriture (avec Leibniz, Port-Royal, etc.) s’empare expressément de la logique, la met hors-de-soi, « dans l’abstraction sensible et intellectuelle [35] » dans une voie où elle s’éloignera de facto, de plus en plus résolument, de la prétention à être le discours de la science et de la vérité, pour devenir un formalisme, une multitude de formalismes à dire vrai, dont l’accession au niveau de rigueur mathématique a pour prix le renoncement aux prétentions philosophiques – d’être une théorie de la vérité, ou une théorie de la science ou même une théorie des « lois de la pensée » (de Leibniz à Boole). Ce processus n’a rien de volontaire ni de méthodique. Et s’il reste à décider d’une position épistémologique pertinente, nous sommes au moins sûr d’une chose, elle n’échappera à la naïveté qu’à prendre en compte cette histoire complexe, non linéaire, non homogène, dont les ruptures ou inflexions mêmes ne sont pas univoques, ni toujours situables, etc. [36]. De là l’ambivalence du projet leibnizien de caractéristique, et plus largement du processus d’algébrisation, qui tout à la fois déplace le logocentrisme – donc décentre le logique – sans le remettre en cause fondamentalement.

58 Il y a certes une nouveauté indéniable : le devenir exprès, la phénoménalisation de cette condition cachée et déniée du savoir, que les catégories historiques « de mutation, d’explicitation, d’accumulation, de révolution ou de tradition » ne peuvent cependant décrire adéquatement (Grammatologie, p. 124). Il reste que cette histoire de la science, en tant qu’histoire de l’écriture, se trouve par là même proposée à la description, à la thématisation. Or ce qui s’offre ainsi à la thématisation comme phénomène, ce sont précisément les modes et modulations de la formalisation (algébrisation, abréviation, analyse, substitution, coupure, détachement, etc. [37]). Cette prise en compte ne supprime pas le philosophique comme discours, mais l’oblige, s’il veut conserver un minimum de pertinence et de conséquence, à envisager l’épistémologie sous une forme inédite [38].

59 De ce qu’elle se caractérise comme déconstruction du logocentrisme, on ne saurait conclure à son caractère alogique ou illogique. Encore moins sophistique. Que cette lecture se fasse à charge ou décharge, qu’elle prenne des formes et des tons multiples (de la louange au blâme, de la célébration au rappel à l’ordre logiciste) n’y change rien. Elle est dans tous les cas symptomatique d’une perversion logique aussi vieille que la philosophie : la misologie. Le fait que Derrida la reconnaisse dans sa variante logiciste moderne nous invite à reconnaître, en retour, le caractère logiciste de la sophistique – et vice versa. C’est du moins ce qu’il décrypte derrière les propos qu’il place dans la bouche du raisonneur qui, face à la double assertion conjointe (je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne), objecte à la contradiction logique, pragmatique ou performative. La misologie est logiciste et se prévaut d’une maîtrise logique. Le misologue ne connaît qu’une logique et, quelle que soit sa langue, il ne l’entend que dans une seule langue qu’il croit être la sienne. Ce qui marque aussi l’une des différences essentielles de la logique ainsi entendue avec ce que Platon nomme dialectique laquelle engage un tout autre rapport au vrai et à la vérité.

60 Prévenant l’accusation de sophistique, Derrida prolonge le discours de l’objecteur pour en exhiber les présupposés. Sous le logicisme et ses prétentions normatives, il « reconnaît » la même vieille « arme puérile », une « panoplie d’enfant » ne comportant « qu’un seul et pauvre dispositif polémique. » (Monolinguisme, p. 17).

61

Son mécanisme se réduit à peu près à ceci : Ah ! Vous vous posez des questions au sujet de la vérité, eh bien, dans cette mesure même, vous ne croyez pas encore à la vérité, vous contestez la possibilité de la vérité. […] Ce que vous dites n’est pas vrai puisque vous questionnez la vérité, allons, vous êtes un sceptique, un relativiste, un nihiliste, vous n’êtes pas un philosophe sérieux ! Si vous continuez, on vous mettra dans un département de rhétorique ou de littérature. La condamnation ou l’exil pourraient être plus grave si vous insistez, on vous enfermerait dans le département de sophistique, car, en vérité, ce que vous faites relève du sophisme, ce n’est jamais loin du mensonge, du parjure ou du faux témoignage[39].

62 Cette « scène est vieille comme le monde, en tous cas comme la philosophie », soupire Derrida, et le lecteur qui n’aura pas la mémoire trop courte y reconnaîtra le vieux truc de l’éristique et de la sophistique, celui auquel Socrate répondait par l’hypothèse ou la fiction d’une mémoire plus longue encore, et une autre conception du logique, moins instrumentale et linguistique [40]. Et c’est au nom d’autres discours, « véritablement vrais et justes, ceux-là », « discours tenus par d’autres, hommes et femmes qui s’y connaissaient en choses divines » (prêtres, prêtresses, poètes en grands nombres), dans lesquels la philosophie lira son propre mythe : à savoir que « la nature entière étant d’un seul tenant et l’âme ayant tout appris, rien n’empêche qu’un seul ressouvenir (c’est ce que les hommes appellent savoir) lui fasse retrouver tous les autres, si l’on est courageux et tenace dans la recherche ; car la recherche et le savoir ne sont au total que réminiscence [41] ». Depuis cette mémoire plus longue, il apparaîtra moins paradoxal et moins sophistique, pour peu qu’on s’y implique, que l’incompatibilité formelle entre les deux énoncés (avoir une langue et ne pas avoir une langue) ne vise qu’à amorcer un rappel d’une situation logique universelle, qui oblige à recourir à la distinction entre « universalité transcendantale ou ontologique et empiricité phénoménale » tout en soulignant ses complications.

63 Le principe de ces complications réside dans une structure réflexive, ou en termes derridiens, de « re-marque empirico-transcendantale ou ontico-ontologique », dans « une pliure qui s’imprime à même l’articulation énigmatique entre une structure universelle et son témoin idiomatique [42] ». Cette implication du sujet porteur d’une logique qui l’en exclut, voilà ce que ne cesse de rappeler la philosophie, depuis l’âme capable de réminiscence de Platon jusqu’au Dasein (comme étant exemplaire à-questionner-parce-que-questionnant) et au-delà, en passant par toutes les figures du cogito cartésien, kantien, fichtéen, bergsonien, husserlien, etc. Telle est la structure dont les logicismes amnésiques cherchent à se préserver, qu’ils tentent d’exclure, mais dont ils réaffirment la présupposition au moment même où ils pensent s’être installés à domicile, dans leur clôture. Cette clôture formelle qu’ils marquent en somnambules, ils la remarqueraient s’ils allaient jusqu’à l’énoncé qui la dirait : il n’y a de vérité acceptable que celle qui satisfait à notre syntaxe et sémantique. Proposition indécidable, proposition de l’indécidabilité, car ne pouvant – sans inconséquence – s’énoncer dans cette syntaxe et cette sémantique.

64 En dépit des sarcasmes, il apparaîtra moins exagéré dans ces conditions de dire que, s’il est fidèle à son programme, Derrida serait le plus grand logicien du XXe siècle. Certes, l’auteur de cette formule s’empresse d’ajouter qu’elle n’est pas de lui, et qu’il la soutient non parce que Derrida « a formulé une nouvelle logique formelle », mais « démontré le potentiel libérateur inhérent à l’examen de la logique qui précède le contenu d’un discours, ainsi que la portée éthicopolitique de ce potentiel [43] ». Nous venons de rappeler de quelle manière et pour quelles raisons la logique dans toute son extension, prise en son sens le plus rigoureux, constituait le thème de la déconstruction, en quelle mesure son histoire était elle-même une manifestation de cette déconstruction. Que les entorses apparentes à la logique dans l’écriture étaient l’expression d’une attention scrupuleuse aux singularités logiques (et épistémologiques) échappant à un logicisme à courte vue, et dans lesquels se concentre un potentiel dont il est possible et nécessaire de proposer une expression logique formelle. Nous venons d’en indiquer une : celle qui tient à la pliure transcendantale ou existentielle.

65 Il en va ainsi de l’inscription de la structure d’horizon husserlienne et la téléologie leibnizienne dans une structure du messianique sans messianisme. Il en va ainsi lorsque Derrida s’efforce de formaliser ce qu’il nomme justice par-delà le droit[44].

66 – Mais, objectera-t-on, on ne trouve nulle trace de formalisation chez Derrida. En tous cas, rien qui ressemble à un traité de logique en bonne et due forme. Aucune écriture symbolique.

67 – Ce n’est que s’arrêter à la surface. Pour en rester à des arguments doxographiques et d’autorité, observons que l’on faisait le même reproche à Husserl, et cela n’a pas empêché de solides logiciens et de très grands mathématiciens, qui ne s’arrêtent pas à l’usage cosmétique du symbolisme et ne confondent pas formalisation rigoureuse et formalisme cosmétique (que Husserl, après Grassmann, nommait « formalisme littéral [45] » et Rota, symbol dropping[46]), de voir en lui l’un des plus grands logiciens de tous les temps. Nous pourrions ainsi fournir un argument complémentaire, indirect : « si l’un des plus grands logiciens du XXe siècle (Gödel) considérait Husserl comme le plus grand philosophe de tous les temps – après Leibniz –, si le projet essentiel de Husserl comme de Leibniz était d’entreprendre une réforme de la logique qui tiennent compte de toutes ses contraintes, si enfin Derrida prolonge et développe jusque dans leur plis et replis ultimes les projets de Leibniz et Husserl, alors l’assertion que Derrida serait le plus grand logicien du vingtième siècle aurait quelque plausibilité… ».

Notes

  • [1]
    Au risque de l’injustice vis-à-vis de ceux que, par ignorance, ou amnésie nous omettons, nous mentionnerons : Marian Hobson, ici même sur Frege et Husserl, et dans son étude pionnière : « La logique et ses confins. Le cas Oskar Becker », in Le Passages des Frontières, Éditions Galilée, 1994, p. 421-427, qui souligne fort justement le rôle des opérateurs modaux chez Derrida, ainsi que Jacques Derrida, Opening Lines (Routledge, 1998) qui la prolonge et l’approfondit de manière décisive (voir Chap. 2, note 59 et Chap. 4, note 43). Voir son compte rendu dans G. Bennington, Chap. 13 : « An Idea of Syntax », Interrupting Derrida, Routledge, 2000.
  • [2]
    Ce qui peut s’entendre déjà et a minima dialectiquement. Hegel saluait Rousseau pour avoir reconnu et énoncé que la substance politique était quelque chose de subjectif et d’universel, quelque chose de l’ordre de la pensée (la volonté générale), tout en lui reprochant de l’avoir fait d’une manière formellement inadéquate, ce qui ne veut pas dire qu’elle doive s’exposer informellement. (Voir Principes de la philosophie du droit, § 258).
  • [3]
    Monolinguisme de l’autre, Éditions Galilée, Paris, 1996, p. 24.
  • [4]
    L’Écriture et la différence, Éditions du Seuil, 1967, p. 302. Et Introduction à l’Origine de la géométrie, Éditions des Presses Universitaires de France, Paris, 1962, p. 170-171.
  • [5]
    Ibid.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Voir l’hommage à M. de Certeau, qui reprend, élargit et complique la structure du retard originaire d’une antécédence originaire. « Ce “deuxième” oui est a priori enveloppé dans le “premier”. Le “premier” n’aurait pas lieu sans le projet, la mise ou la promesse, la mission ou l’émission, l’envoi du second qui est déjà en lui » (« Nombre de oui », in Psyché, Éditions Galilée, p. 649).
  • [8]
    De la grammatologie, Éditions de Minuit, 1967, p. 90.
  • [9]
    Ibid., p. 254.
  • [10]
    Ibid., p. 264-265.
  • [11]
    Du moins selon une certaine lecture de Leibniz. L’impact du travail d’édition et d’interprétation proposés par Couturat (en 1901) en plein renouveau logiciste (Russel) est décisif et se mesure encore de nos jours, dans les tentatives récentes d’amortissement. L’édition récente de l’article princeps sur les « principes logico-métaphysiques » réédités par Jean-Baptiste Rauzy, in Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités, Éditions des Presses Universitaires de France, Paris, p. 459-464, bien qu’elle cherche par un nouveau dispositif à prouver « que la conception leibnizienne de l’expression n’a jamais été entièrement absorbée par des concepts d’origine logique » (p. 442), aboutit à l’effet inverse, puisque s’y trouve établi clairement le principe de raison lui-même dérive du principe d’identité leibnizien.
  • [12]
    « dans laquelle nous avons reconnu la stratégie profonde de tous les nationalismes, patriotismes ou ethnocentrismes ».
  • [13]
    Politiques de l’amitié, Éditions Galilée, 1994, p. 265.
  • [14]
    Passions, Éditions Galilée, 1993, p. 42-43.
  • [15]
    Monolinguisme, Éditions Galilée, 1996, p. 40-41. Je souligne.
  • [16]
    « Ce n’est pas ce qui m’étonne le plus. Car on ne peut témoigner que de l’incroyable. […]. Incroyable parce que seulement “crédible”. L’ordre de l’attestation témoigne lui-même du miraculeux, du croyable incroyable : de ce qu’il faut croire de toute façon, croyable ou non. Telle est la vérité à laquelle j’en appelle et à laquelle il faut croire, même, et surtout, quand je mens ou parjure. Cette vérité suppose la véracité, même dans le faux témoignageet non l’inverse. » (Monolinguisme de l’autre, p. 40-41. Je souligne).
  • [17]
    Jean Ladrière, Les Limites internes des formalismes, E. Nauwelaerts, Éditions Gauthier-Villars, Louvain-Paris, 1957. Cette limitation, comme il le rappelle dans « L’éthique et la dynamique de la raison » (dans Rue Descartes, 7. Logiques de l’éthique) n’est pas à entendre ni comme une sous-estimation de la force de « l’ascèse formelle » et du champ opératoire de la formalité (p. 50-51), ni comme un encouragement à effectuer un saut dans l’informel (p. 55), mais comme l’indice rationnel du caractère dynamique et projectif de la raison (p. 52 et 56), et d’un autre eskhaton et d’un autre niveau d’accomplissement qui n’est plus de l’ordre du savoir, mais de l’éthique.
  • [18]
    Politiques de l’amitié, p. 100.
  • [19]
    Résistance, Éditions Galilée, 1996, p. 48. Je souligne.
  • [20]
    Voir « La double séance », in La Dissémination, Éditions du Seuil, 1972.
  • [21]
    Du droit à la philosophie, note, Éditions Galilée, 1990, p. 107.
  • [22]
    « La double séance », La Dissémination, Éditions du Seuil, 1972, p. 248-250.
  • [23]
    La Dissémination, p. 251-252. Je souligne.
  • [24]
    Résistance, p. 44-45.
  • [25]
    Politiques de l’amitié, p. 99.
  • [26]
    Idem.
  • [27]
    Cette exigence d’axiomatique, qui comprend en même temps l’exigence de sa critique, ressemble étrangement à cette logique formelle élargie – au-delà de l’axiomatique – que recherchait Husserl, qui, par-delà la logique de la conséquence (déduction et non-contradiction), devait être capable de rendre compte de la vérité et d’un rapport au réel (cela passait entre autre par l’élucidation des rapports entre intention et remplissement, y compris au niveau des synthèses passives). Cette formalisation englobe ainsi la critique de la raison logique, et par suite la logique transcendantale, c’est à dire tous les niveaux de synthèses, des synthèses hylétiques (kinesthésiques), temporelles, spatiales, « empathiques », jusqu’aux synthèses prédicatives les plus complexes. De là que les notions de « définitude » (Definitheit) et de multiplicité (Mannigfaltigkeit) définie ne se laissent pas réduire à la complétude (Vollständigkeit) axiomatique au sens formaliste hilbertien.
  • [28]
    Résistance, p. 42.
  • [29]
    Ibid., p. 42-43.
  • [30]
    Du droit à la philosophie, p. 44-45.
  • [31]
    Monolinguisme, p. 44 sq.
  • [32]
    Ibid., p. 131-132.
  • [33]
    Voir ici même citation de C. Alunni : « La grammatologie doit déconstruire tout ce qui lie le concept et les normes de la scientificité à l’ontologie, au logocentrisme, au phonologisme. C’est un travail immense et interminable qui doit sans cesse éviter que la transgression du projet classique de la science ne retombe dans l’empirisme préscientifique. Cela suppose une sorte de double registre dans la pratique grammatologique : il faut à la fois aller au-delà du positivisme ou du scientisme métaphysiques qui pèsent sur sa définition et son mouvement depuis l’origine. Il faut poursuivre et consolider ce qui, dans la pratique scientifique, a toujours déjà commencé à excéder la clôture logocentrisme. C’est pourquoi il n’y a pas de réponse simple à la”question de savoir si la grammatologie est une “science”. Je dirais d’un mot qu’elle inscrit et délimite la science ; elle doit faire librement et rigoureusement fonctionner dans sa propre écriture les normes de la science ; encore une fois elle marque et en même temps desserre la limite qui clôture le champ de la scientificité classique » (Jacques Derrida, Positions, p. 48-49).
  • [34]
    Grammatologie, p. 12.
  • [35]
    Voir le rappel de la critique de Leibniz par Hegel. Grammatologie, p. 39 sq. ou encore « Ousia et Grammè », in Marges.
  • [36]
    Que dans un dialogue avec Bachelard, Charles Alunni rappelle ici même fort opportunément (Voir son commentaire de Position, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 48-49).
  • [37]
    Grammatologie, p. 404.
  • [38]
    Voir dans le présent volume, le commentaire de C. Alunni et la citation de Marges, p. 314.
  • [39]
    Monolinguisme, p. 17-18.
  • [40]
    Ménon, 80d-e1
  • [41]
    Ibid., 81d.
  • [42]
    Monolinguisme, p. 115.
  • [43]
    Dimitris Vardoulakis, « “Le plus grand logicien du vingtième siècle” : la liberté selon Derrida », Collège international de philosophie, Rue Descartes 2014/3 – n° 82, p 145-148.
  • [44]
    Il faut se rappeler alors que Husserl comme Leibniz s’étaient eux-mêmes efforcé d’élargir le champ du logico-formel jusqu’à faire droit respectivement à une axiologie et pratique formelles, et à une déontique. Il en irait de même de la prise en compte des modalités ontiques, épistémiques, etc.
  • [45]
    Recherches logiques, p. 70. Distinction reprise in Logique formelle et logique transcendantale, § 33 du côté ontologique formel sous la forme d’une opposition entre « mathématique formelle réelle et mathématique des règles de jeu », p. 86-87.
  • [46]
    Gian-Carlo Rota parle du « casual and self-satisfied symbol-dropping of mathematical logic », in « Mathematics and the Task of Phenomenology », in T. Seebohm, D. Follesdal, J. N. Mohanty (eds.), Phenomenology and The Formal Sciences, Dordrecht : Kluwer, 1991, p. 134.