Pour une nouvelle Bildung : la critique de Nietzsche entre éducation et « spiritualité »
1Galvaudé, le mot Bildung se prête dans le cadre de la réception critique de l’œuvre de Nietzsche à la plus grande confusion. Traduit aussi bien par « culture » que par « éducation », ou encore par « formation », le mot ne cesse de marquer sa complexité et d’égarer les lecteurs. Comme on n’a pas manqué de le souligner, la présence du mot Bildung dans l’œuvre de Nietzsche est parfois dissimulée et pourtant constante. Le mot revient à maintes reprises dans l’œuvre et non pas seulement, comme on l’a souvent répété, dans sa phase initiale – où cette question recouvre certes une place majeure –. Walter H. Brufort note à ce propos : « it’s clear from innumerables references in Nietzsche’s works that the idea of “bildung” was one of his principales preoccupations at all stages in his life [1] ».
2Disons d’ores et déjà que, tout en conservant une certaine équivocité, le mot Bildung semble se référer chez Nietzsche à la formation intellectuelle d’un individu particulier. Cependant nous voudrions montrer que le mot est porteur d’une signification bien plus profonde qui nécessite d’être précisée. Pour ce faire, nous allons nous référer initialement à la définition donnée par Wilhelm Von Humboldt, lequel a largement influencé la pensée de Nietzsche à propos de la Bildung et chez qui la question est étroitement liée à celle de la langue considérée par celui-ci comme « l’organe de l’être intérieur » ou bien comme « l’être-même ».
3Humbolt définit ainsi le mot Bildung :
5Ce que nous observons dans la définition humboldtienne, qui situe le mot Bildung en opposition au mot Kultur (culture), c’est que celui-ci semble concerner spécifiquement l’être intime du sujet, se référer à rien de moins qu’à son intériorité. C’est bien en ce sens que le mot Bildung se distinguerait du mot Kultur (culture) indiquant une dimension plus générale, mais aussi plus extérieure au sujet. Nous pouvons, à partir d’une telle nuance donnée par Humboldt, suggérer l’hypothèse que le mot dont il est question décrit un processus qui demande que le sujet s’y engage avec son être le plus profond. La Bildung, qualifiant un état intérieur, semble concerner non seulement l’apprentissage d’une connaissance, mais aussi un véritable changement d’éthos au niveau de l’individu et de son caractère. Il semblerait en tout cas, à l’encontre des connotations généralisantes, que la Bildung concerne l’existence profonde du sujet et sa formation spirituelle [4], s’élargissant à l’univers entier.
6C’est donc à partir d’un tel angle de la « spritualité » que nous allons attaquer la question de la Bildung chez Nietzsche. Cette dernière sera dès lors à interpréter – dans son acception authentique, revendiquée par Nietzsche lui-même – comme la formation d’un individu se donnant lui-même pour fin, travaillant à rien de moins qu’à la construction de lui-même en tant qu’exemplaire unique intégrant une société. Nous pourrons traduire alors Bildung par auto-élévation ou auto-formation (cela uniquement si nous utilisons formation dans son acception première de mise-en-forme). Afin de pouvoir comprendre l’enjeu qu’une telle question de l’auto-formation représente à l’intérieur de la philosophie de Nietzsche, il convient cependant de situer brièvement la pensée du philosophe à cet égard dans le contexte socioculturel précis, qui voit d’abord l’éducation de Nietzsche lui-même à l’École de Pforta, puis les années passées à la faculté de théologie de l’Université de Bonn, mais surtout l’expérience d’enseignement à l’Université de Bâle.
7Nietzsche étudie d’abord à Pforta, littéralement « porte d’entrée » (ce n’est pas anodin qu’on y forme la classe dirigeante prussienne à venir) où il est admis en 1858. Collège prestigieux situé dans une abbaye cistercienne du XIIe siècle près de Naumburg et foyer de la culture humaniste, Pforta compte parmi ses élèves Schlegel, Fichte et Ranke. L’enseignement se caractérise ici par une approche humaniste, concentrée sur l’étude philologique de l’Antiquité et des classiques, mais aussi par un apprentissage spirituel lié au penchant critique de la religion luthérienne (ce n’est pas un hasard qu’à Pforta on produise des penseurs athées). Ici toutes les disciplines sont travaillées et considérées comme complémentaires à la formation de l’individu aussi bien en ce qui concerne l’éducation de son « esprit » que celle de son « corps [5] ».
8Les années passées au collège de Pforta influencent grandement la pensée de Nietzsche en matière des « choses de l’enseignement », notamment l’importance accordée par le philosophe – encore en 1888 – au fait de fréquenter une bonne école et son constat lié à la difficulté de s’éduquer pleinement si, au contraire, on en fréquente une mauvaise. Ayant obtenu son baccalauréat, Nietzsche étudie la théologie à la faculté de Bonn où il a comme professeur celui qui deviendra pour lui un vrai maître spirituel : le philologue Friedrich Richtl lequel, en 1868, avait appuyé la nomination de Nietzsche à l’Université de Bâle [6].
9Or la phase Bâloise apparaît traversée par trois principaux champs de tension : le premier, intégrant la musique de Wagner à la philosophie de Schopenhauer, est à considérer comme le foyer de cette œuvre que sera plus tard La Naissance de la tragédie enfantée par l’esprit de la musique ; le deuxième visant à « donner le coup de grâce à la pseudo-culture – Gebildetheit […] » que Nietzsche se plaît à définir comme la « culture singée » – et qui pose les bases critiques en vue de la réalisation de « la vraie Bildung ». Ce tournant critique constitue l’objet des conférences Sur l’avenir de nos établissements de formation, mais aussi celui des Considérations inactuelles et plus particulièrement de Schopenhauer éducateur. La troisième phase vise à intégrer dans une telle question celle de la philologie, celle-ci considérée comme l’outil (Nietzsche présente la philologie comme un outil de cuisine) qui va permettre de dépasser un tel état de dégénérescence. Á ce propos, il est important de rappeler à quel point la formation philologique est à considérer comme le préalable fondamental à l’évolution de la philosophie critique de Nietzsche [7]. La question de la méthode philologique apparaît alors comme inextricablement liée chez lui à celle de la critique de la Bildung : Nietzsche semble en effet appliquer la stratégie philologique à l’interprétation critique de la culture et du monde [8].
10Á l’intérieur des trois horizons de pensée énoncés plus haut, nous allons maintenant nous focaliser sur le deuxième. Cela revient à poser la problématique suivante : qu’en est-il dans ce contexte « moderne » des établissements chargés – par l’État – de la formation des « nouveaux » individus ? Pour y répondre, nous allons nous référer tout d’abord aux conférences Sur l’avenir de nos établissements de formation (Uber die zukunft unserer buildung sanstalten) rédigées du 16 janvier au 23 mars 1872. Nietzsche invite son lecteur à entrer dans la fiction d’un dialogue entre un philosophe et son disciple, les deux conversant avec deux autres jeunes interlocuteurs, mais aussi à se mettre « dans l’état d’esprit d’un jeune étudiant [9] » ayant « éprouvé » quelque chose de tout à fait incroyable à une époque comme la sienne, « tumultueuse et agitée [10] ». C’est en puisant la matière de sa critique depuis un contexte particulier, qui voit la Révolution Industrielle et les grands changements (pas seulement au niveau socio-culturel, mais aussi au niveau anthropologique) qui en découlent, que Nietzsche caractérise d’emblée les établissements de formation de son époque comme des « établissements de la misère de vivre ». Tout d’abord parce que ces établissements affectionnent une « pseudo-bildung » échafaudée par la sensation d’un manque et maintenue en vie par le constat de la misère généralisée, mais aussi parce que ses éducateurs ne semblent avoir pour fin que le gain et le profit. Se servant de la nature comme d’un réservoir infiniment exploitable, ces institutions et leurs promoteurs se situent au plus loin de toute créativité et prônent la construction d’un individu conformiste, facilement manipulable et absolument soumis. Nietzsche décrit ce tableau dans Schopenhauer éducateur où il explique que :
Le commerce avec la science, quand il n’est plus guidé et délimité par une maxime supérieure d’éducation, mais toujours plus déchaîné selon le principe “plus il y en a, mieux c’est”, est certainement aussi nuisible aux savants que le dogme économique du laisser-faire pour la moralité des nations entières.
12Or la critique lancée par Nietzsche contre les établissements de la « misère de vivre » suit deux dynamiques différentes : si, d’un côté, celui-ci exprime la crainte majeure de voir la véritable Bildung supplantée par une culture qui est déjà celle du libre-échange, de l’autre côté, cette crainte ne vire pas au désespoir, mais elle vise à exhorter le processus de création d’une nouvelle culture capable de former les nouveaux individus à devenir eux-mêmes. Une telle question est par ailleurs abordée au tout début de la Deuxième conférence de Bâle au moment où « l’honnête disciple » du philosophe de ce dialogue imaginaire s’adresse à son maître pour lui faire part de son découragement. Ce qui nous intéresse ici est d’abord la réponse du philosophe à son auditeur :
Arrête-toi, mon pauvre ami, dit-il, je te comprends mieux maintenant et je n’aurais pas dû tout à l’heure te dire des paroles si dures. Tu as raison en tout sauf dans ton découragement. Je veux te dire quelque chose pour te consoler. Combien de temps crois-tu que cette espèce de culture qui te pèse tant va durer dans l’école du temps présent ? Je ne veux pas te cacher ma croyance là-dessus : son temps est passé, ses jours sont comptés. Le premier qui aura l’audace d’être tout à fait sincère en ce domaine entendra l’écho de sa sincérité dans un milliers d’âmes courageuses […] [11].
14Loin de se laisser aller au constat négatif de la fin de la culture, que Nietzsche fait dériver principalement de la « pauvreté d’esprit [12]pédagogique » de son époque, le philosophe lègue la destinée de la Bildung à l’authenticité des philosophes à venir, aventuriers de la connaissance qui, seuls, sauront sauver la Bildung de son état de dégénérescence. Mais qu’y a-t-il de dégénéré dans la formation impartie par les enseignants de ces établissements de formation ? Quelle est-elle cette tendance qui doit être subvertie ? Nietzsche précise cela à la suite du dialogue :
[…] la pauvreté d’esprit pédagogique de notre temps ; c’est là justement que manquent les dons vraiment inventifs, c’est là que manquent les hommes réellement pratiques, c’est-à-dire ceux qui ont des intuitions bonnes et nouvelles et qui savent que le véritable génie et la droite pratique doivent nécessairement se rencontrer dans le même individu : alors que les praticiens lucides manquent justement d’intuitions et, pour cette raison, de la droite pratique [13].
16Ce passage soulève une question particulièrement importante à l’égard de la problématique traitée : Nietzsche y revendique l’exigence pour le formateur d’avoir réuni en lui-même « le véritable génie » et « la droite pratique ». C’est dans les mains d’hommes réellement pratiques, capables de renouer le lien oublié entre savoir et existence [14]que doit être remise la formation « spirituelle » des êtres à venir. Nietzsche réhabilite ici une idée antique de connaissance : ne se donnant jamais elle-même comme fin, la connaissance doit contribuer à rien de moins que l’accomplissement du sujet. Or une telle manière d’envisager l’apprentissage des connaissances apparaît tout à fait négligée dans ceux que Nietzsche considère comme des « établissements de la misère de vivre ». Ces derniers, transmettant l’éducation institutionnelle, ne font que prêcher le culte de l’actualité, dont le journalisme est le symbole le plus éclatant, et ce sont donc les promoteurs d’une éducation contre la culture car les valeurs qu’ils enseignent ne sont pas consubstantielles aux sujets de cette formation et ils sont de ce fait perçus comme extérieures à l’existence de ces établissements.
17À ces « établissements de la misère de vivre », où le discours des praticiens de l’information l’emporte drastiquement sur les véritables formateurs intuitifs et pratiques, Nietzsche oppose désormais ceux qu’il qualifie de véritables « établissements de formation » dans lesquels un autre rapport « aux choses de la pédagogie », mais aussi un regard nouveau envers le monde et les êtres, doit être cultivé. Il s’agit ici de forger un individu qui soit non seulement en harmonie avec la nature, mais qui puisse à l’intérieur de celle-ci épanouir sa propre originalité. Il faut que le sujet s’y éprouve lui-même en tant qu’unité de toutes choses dans la nature et en même temps qu’il sente resplendir en elle son unicité.
18À son actualité, Nietzsche oppose donc, s’inscrivant dans la lignée de Goethe, une conception de l’éducation considérée comme « pensée fondamentale de la culture » assignant une seule tâche à l’individu : « Favoriser la naissance du philosophe, de l’artiste et du saint en nous et en dehors de nous et travailler ainsi à l’achèvement de la nature [15] ». Nous comprenons alors que la tâche de s’occuper des choses de la Bildung acquiert avec Nietzsche une valeur privilégiée : elle concerne les fins de l’être humain et son rapport avec les autres êtres et le monde. Á une telle question s’agrège la conception selon laquelle l’enseignement ne doit pas commencer par l’étonnement (comme c’était le cas avant lui), mais plutôt par « l’effroi ». Et Nietzsche d’ajouter que : « celui qui ne peut pas en venir là [à l’effroi] est prié de ne plus toucher aux choses de la pédagogie [16] ». Une telle vision rejoint en partie celle de La Naissance de la tragédie où le philosophe déplore la venue de l’homo historicum qui sera responsable de l’anéantissement de la coexistence tragique entre Apollon et Dionysos. L’effroi est interprété dans un tel contexte comme un chaos originaire qui est en même temps dangereux et pourtant absolument nécessaire ; Apollon, symbole de la force organisatrice, doit intervenir pour tempérer Dionysos qui, livré à lui-même et à ses forces, ne saurait provoquer que destruction. Dans ce scénario des luttes entre forces opposées et en même temps complémentaires, s’éduquer ne signifie pas tellement devenir meilleur, mais plutôt éprouver le sentiment d’une perfection momentanée et essayer de cultiver le plus longtemps possible ce moment d’extase. Expérience qui reste en partie inexplicable, l’éducation est considérée par Nietzsche comme le processus par lequel un sujet dépasse son état normal et accède à un état supérieur de lui-même, à cette partie de lui qui résiste aux changements. La Bildung dans son expression authentique est donc avant toute chose un combat de l’être humain contre son temps, contre ce qui, à l’intérieur de ce temps, l’empêche d’être grand. Nous retrouvons une telle image dans Schopenhauer comme éducateur, texte que nous pouvons lire comme un développement des idées déjà traitées dans les Conférences. C’est bien ici que Nietzsche définit l’éducation comme ce qui « nous transporte hors de nous et nous exclut de la communauté des hommes d’action, comme une lutte contre ce qui, dans la culture, nous soude à « l’actuel ». Aussi bien que le philosophe, l’éducateur doit être unzeitgemäss, intempestif (du latin intempestivus) et savoir agir « hors de saison », c’est-à-dire malgré et contre les intempéries de son temps. Une telle conception de l’intempestif comme temporalité privilégiée d’une pensée immanente de l’éducation, nous invite à agir contre la temporalité de l’Histoire et à aller au-delà de celle-ci. Intérieure au sujet et créatrice des valeurs et des vérités plus durables, la temporalité intempestive est plus profonde et résistante aux nécessités du temps :
Si l’on aime à penser que tout grand homme est vraiment fils de son temps, et qu’il souffre en tout cas plus violemment et plus douloureusement que les hommes plus médiocres, la lutte du grand homme contre son temps se réduit en apparence à une lutte absurde et destructrice qu’il mène contre lui-même. Mais ce n’est là qu’une apparence ; car ce qu’il combat dans son époque, c’est ce qui l’empêche de devenir grand, c’est-à-dire de devenir librement et pleinement lui-même.
20Nous comprenons que la critique nietzschéenne de la Bildung se fait contre ceux qui, dans la lignée de Hegel, avaient emprisonné une telle question à l’intérieur d’un processus aliénant le sujet : plaçant le « vrai » en dehors de celui-ci, ce dernier irait jusqu’à se perdre afin d’opérer les réalisations de l’esprit qui ont été fixées par la culture dominante, c’est-à-dire par un agent extérieur au sujet lui-même. C’est à l’encontre de la théologisation d’un état sacralisant l’Histoire et détenteur des intérêts d’un sujet ayant son unicité réduite en miettes et dépouillé de son être le plus propre que la critique de la Bildung trouve son vrai sens. Une telle critique se prolonge dans les Considérations inactuelles à celle des philosophes qui ont voulu faire de l’histoire une science et qui sont ainsi considérés coupables d’avoir coupé le lien entre l’histoire et la vie :
un astre magnifique et éclatant s’est interposé entre l’histoire et la vie, oui, leur constellation a bien été modifiée : par la science, par la volonté de faire de l’histoire une science. Ce n’est plus la vie qui gouverne seule et tient en bride la connaissance du passé : toutes les bornes sont arrachées, et l’homme est submergé par le flot de tout ce qui n’a jamais été. Toutes les perspectives sont prolongées à l’infini, aussi loin qu’il y eût un devenir. Nulle espèce n’a encore jamais vu se déployer à perte de vue un spectacle comparable à celui que nous présente l’histoire, cette science du devenir universel ; il est vrai qu’elle démontre en cela la dangereuse audace de sa devise : fiat veritas, pereat vita [17].
22Il nous semble que l’argumentation critique des Considérations inactuelles servant d’approfondissement aux thématiques annoncées dans les Conférences de Bâle laisse transparaître le sens profond de la pensée nietzschéenne sur la Bildung. C’est que l’enseignement dispensé dans les établissements de la misère de vivre est de type « historique » : les disciplines y étant abordées du point de vue de l’histoire des idées et non pas en elles-mêmes, le sont encore moins du point de vue de ce qu’elles peuvent forger en l’individu et participer ainsi à l’accomplissement de son être.
23Cette idée renforce une fois de plus l’exigence revendiquée par Nietzsche dans les Conférences : l’éducateur se doit d’être non seulement un savant, mais aussi et avant tout un homme pratique.
24L’éducateur philosophe idéal est non seulement celui qui – à l’instar de Schopenhauer– sait dénicher « la force centrale [18] » d’un être, mais aussi celui qui sait le guider afin de l’empêcher ainsi d’agir de manière à détruire toutes les autres forces périphériques potentielles (idée qui rejoint celle de la Naissance de la tragédie énoncée précédemment). « Éduquer un homme pour en faire un homme », telle est l’incommensurable tâche de l’éducateur pour Nietzsche. Il peut « transformer l’homme tout entier en un système solaire et planétaire […] et découvrir la loi de sa mécanique supérieure [19] ». Une telle critique de la Bildung, se trouvant au centre des préoccupations du jeune Nietzsche, va évoluer au fil des années jusqu’à cette pensée légère, engendrée durant le voyage à Sorrente [20], des éducateurs s’éduquant eux-mêmes. Cette conception qui n’aura que l’apparence d’un rêve montre bien que le fil de la pensée nietzschéenne en matière des « choses de l’éducation » ne s’interrompt jamais.
Notes
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[1]
Walter H. Bruford dans son étude The German Tradition of Self-cultivation : Bildung from Humboldt to Thomas Mann.
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[2]
C’est nous qui soulignons.
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[3]
Wilhelm Von Humboldt : fragment cité dans Hans-Georg Gadamer, Vérité et Meéthode : Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, trad. Pierre Fruchon, Jean Grondin, Gilbert Merlio, Éditions du Seuil, Paris, p. 26-27.
- [4]
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[5]
La musique et la gymnastique tout particulièrement sont les disciplines pratiques hautement considérées dans la formation de Pforta.
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[6]
C’est justement au moment de sa nomination que Nietzsche avoue à son ami Erwin Rohde « […] je suis suffoqué de bonheur… ». Dans cette même lettre Nietzsche définit la philologie comme un « ustensile de cuisine », comme un objet nécessaire à bien préparer ce qui va nourrir notre esprit. (Nous pouvons alors oser la métaphore : l’ustensile philologique doit nous aider à cuisiner les concepts qui vont nourrir notre connaissance).
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[7]
Nietzsche insiste à plusieurs reprises sur les bienfaits de la philologie, notamment dans la préface à Aurore où le philosophe explique que celle-ci apprend à bien lire.
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[8]
Une telle question mériterait un approfondissement majeur, mais nous nous limitons dans le cadre de cet article à renvoyer le lecteur vers des études approfondies sur la question comme l’essai de Carlo Gentili, Nietzsche, Bologna, Il Mulino, 2001.
-
[9]
Ibid. p. 200.
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[10]
Nietzsche parle probablement de lui-même au moment où il décide de fonder, en compagnie de quelques camarades, une petite communauté composée d’individus s’organisant et se surveillant les uns les autres et partageant certaines inclinations dans le domaine de l’art et de la littérature. Nous savons en effet que Nietzsche avait créé, à l’époque de Pforta (1860) – avec ses amis Krug et Pinder – une petite société littéraire, Germania, selon laquelle chacun de ses membres devait soumettre aux autres, une fois par mois, une œuvre quelconque (c’est apparemment grâce à cet exercice que Nietzsche découvre Wagner).
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[11]
Friedrich Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, in OCI, édition publiée sous la direction de Marc de Launay, avec la collaboration de Michèle Cohen Halimi, Marc Crépon, Pascal David, Paolo D’Iorio, Francesco Fronterotta, Max Marcuzzi et Pierre Rush, Paris, Éditions Gallimard, Coll. « La Pléiade », 2000, p. 218. Voir la Chronologie de Nietzsche dans OCI, op. cit.
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[12]
C’est nous qui soulignons.
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[13]
Friedrich Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, OCI, op. cit., p. 218.
-
[14]
Il semblerait qu’un des points que Nietzsche développe dans ces conférences porte sur la nécessité de dépasser la disjonction entre savoir et sujet qui est à l’œuvre chez les philosophes et dont Descartes serait le principal responsable. Si Pierre Hadot situe cette séparation au moment du passage de la philosophie antique au christianisme, Michel Foucault situe ce moment chez Descartes à partir de qui on a cru à un sujet ayant, en tant quel tel, accès à la vérité et n’ayant donc pas besoin d’opérer une transformation sur lui-même afin d’atteindre la vérité de son être.
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[15]
Nietzsche, OCI, op. cit., p. 616.
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[16]
OCI, op. cit., p. 218.
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[17]
F. Nietzsche, De l’Utilité et des inconvénients de l’Histoire pour la vie, IIe Considération Inactuelle, OCI, op. cit., p. 525.
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[18]
Nietzsche développe cette idée de « la force centrale » d’un être dans la deuxième Considération Inactuelle Schopenhauer éducateur. Il critique deux maximes d’éducation en vogue à son époque, l’une exigeant de l’éducateur qu’il reconnaisse le point fort de ses élèves et qu’il dirige son énergie à travailler celui-ci, l’autre lui demandant au contraire de tirer parti de toutes les forces existantes en lui afin de les faire régner entre elles harmonieusement (OCI, op.cit. p. 582).
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[19]
F. Nietzsche, Schopenhauer éducateur, OCI, p. 583.
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[20]
Voir Paolo d’Iorio, Le Voyage de Nietzsche à Sorrente, Paris, CNRS Éditions, 2015.