La philosophie comme interprétation du présent : Claude Lefort et les années « Socialisme ou barbarie »
Le prestige de la théorie s’accommode trop souvent d’une élusion des faits qui donne l’heureuse conviction de penser dans l’ignorance de ce qui est pensé […] Mieux vaut, m’a-t-il paru, les observer parfois de trop près que d’en juger de trop haut. [1]
1Une formule peut-elle dire toute une œuvre ? Cette affirmation de Claude Lefort pourrait nous le laisser croire, tant elle synthétise avec justesse son entreprise philosophique et se donne à voir comme le discours d’une méthode originale, un rapport singulier à la pensée et au savoir.
2Depuis ses premiers écrits dans la revue des Temps Modernes, jusqu’à la parution d’Écrire. À l’épreuve du politique [2], un recueil d’articles dans lequel il s’interroge sur la manière de lier réflexion théorique et pratique de l’écriture, Claude Lefort n’a cessé de construire son œuvre philosophique à partir d’une certaine conception de la pensée en train de se faire ; toute sa trajectoire intellectuelle peut en effet s’appréhender comme la tentative de saisir le réel à partir des faits qui surgissent en son sein : « La philosophie ne prend forme que lorsque penser et faire – faire advenir, faire apparaître – se conjuguent [3] ».
3Depuis l’événement qui tout à la fois précède et excède toute entreprise de réduction théorique, la pensée est aux prises avec le présent, un ici et maintenant qui lui impose un ordre et des limites. En ce sens, l’œuvre de Claude Lefort est à proprement parler un travail d’interprétation ; c’est bien entendu chez Machiavel qu’il découvre cette tâche du philosophe [4].
4À la manière du Florentin qui cherche à penser « à l’épreuve des faits [5] », Claude Lefort cherche pour sa part à philosopher depuis l’événement tel qu’il se produit. Penser revient ainsi à interpréter le monde, à habiter le réel et à en épouser les formes. Puisque pour Claude Lefort, « ce qui est à penser n’est jamais délié de l’épreuve du présent [6] », le véritable philosophe est donc celui qui affronte l’imprévisibilité des faits qui se manifestent à lui dans la contingence d’un présent. Plus encore, une telle conception suppose que le penseur soit en réalité pris dans les plis d’un présent qu’il tente d’interpréter, qu’il propose un diagnostic des événements sans jamais pouvoir s’en extraire. Telle est la contradiction de la pensée elle-même que Lefort découvre chez Machiavel : comment interpréter le présent si nous sommes pris dans le présent ? Comment le comprendre si nous ne pouvons nous en extraire ?
5À l’image du Prince pour qui la politique est un art du déchiffrement permanent de l’ici et maintenant, et dont le pouvoir se trouve toujours éprouvé par cette capacité à interpréter le réel, le penseur doit interroger le présent tout en abandonnant toute prétention à pouvoir en dire la Vérité. En d’autres termes, il doit se livrer à l’exercice d’une interprétation qui se fait et se défait sans cesse, et par laquelle il fait l’expérience de sa propre vulnérabilité.
6Certes, cette réflexion prend toute son ampleur théorique avec la découverte de Machiavel et dans Le Travail de l’œuvre Machiavel (1972), mais elle est en réalité déjà présente chez Lefort dès les années cinquante, et plus particulièrement à l’époque charnière de Socialisme ou Barbarie. C’est en effet au cours des années cinquante-six – cinquante-huit que l’on découvre chez Claude Lefort, héritier en cela de la phénoménologie merleau-pontienne, les premières manifestations d’une pensée qui se refuse à toute forme de « surplomb », le conduisant progressivement à s’éloigner du marxisme, à entreprendre une réflexion théorique sur les notions de totalitarisme et de bureaucratie, puis à développer une critique des idéologies qui le conduira in fine à rompre avec la revue [7].
7Nous voudrions montrer dans le présent article comment se constitue chez Claude Lefort, au cours des années Socialisme ou Barbarie, cette pratique philosophique de l’interprétation du présent, et la place que celle-ci occupe dans son positionnement d’emblée critique vis-à-vis de la revue. Trop souvent on s’est contenté de tenir la période Socialisme ou Barbarie pour un moment important, parfois décisif, du parcours intellectuel de Claude Lefort, sans voir que cette affirmation trouve avant tout sa pertinence dans la reconnaissance d’un écart originaire et irréconciliable entre deux méthodes de pensée [8]. Pour le dire autrement, c’est moins dans le processus d’élaboration de la revue qu’à son épreuve que Claude Lefort va affermir sa conception du travail de la pensée comme interprétation du présent, une pensée qui s’enracine dans l’expérience du réel, et accepte de faire l’expérience de sa propre vulnérabilité à partir du surgissement de l’événement.
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9Si la rupture entre Claude Lefort et la revue qu’il avait contribué à créer est définitivement consommée en 1958 [9], elle n’est en réalité que l’aboutissement d’une longue succession de dissensions qui opposèrent le philosophe français aux différents fondateurs et contributeurs de Socialisme ou Barbarie. Nous ne pouvons pas revenir ici sur l’ensemble de ces différends, mais nous devons remarquer qu’ils ne sont pas simplement d’ordre programmatique ; ils sont avant tout le résultat d’une différence de méthode philosophique portant sur le statut attribué au penseur. Il y a en quelque sorte une continuité de la dissension entre Lefort et ses camarades de la revue, qui tient à la tâche que fixe Lefort à la philosophie : celle d’interpréter le présent.
10À y regarder de plus près, l’aventure Socialisme ou Barbarie de Claude Lefort s’apparente en effet à une somme de « petites scissions successives [10] ». Plus frappant encore est le fait que ce qui conduira à la rupture de 1958 est déjà contenu en germes dans la création de la revue. Dans un entretien daté de 1975 avec la revue L’Anti-Mythes, Claude Lefort affirme ainsi :
La création même de Socialisme ou Barbarie n’alla pas pour moi sans problèmes. Et quoique j’y aie participé activement, elle fut l’occasion d’une brouille. Aussi bien ne trouve-t-on pas mon nom […] au sommaire du premier numéro de la revue. Ce qui comptait essentiellement pour moi, c’était de publier un organe de réflexion, de discussion, d’information. Il me semble que le sous-titre adopté, “Organe de critique et d’orientation révolutionnaire”, reflète mon point de vue. Mais je n’étais pas obnubilé par le projet de construction d’une organisation et j’étais réticent à l’égard de ce qui pouvait apparaître comme un nouveau Manifeste, une conception programmatique […] Le conflit était opaque. Les uns ne voyaient dans la revue qu’un moyen pour construire l’organisation ; je ne niais pas cet objectif, mais c’est la revue qui m’importait [11].
12Dès l’origine, Claude Lefort s’est donc attaché à privilégier la dimension critique de la revue ; son rôle, écrit-il à plusieurs reprises, ne consistait pas tant à former un « organe de parti » mais bien à proposer une réflexion critique sur ce qui advient dans et par le capitalisme. Lefort voulait faire de Socialisme ou Barbarie un outil d’interprétation de la société capitaliste et bureaucratique telle qu’elle se manifestait ici et maintenant, et non pas une tentative de systématisation politique du social. De ce point de vue, il semble que cette ambiguïté n’ait jamais été levée. Si les divergences sur le rôle de la revue furent sans aucun doute la cause de la rupture de Lefort, elles mettent surtout en lumière un décalage originel entre une conception philosophique, héritée de la phénoménologie de Merleau-Ponty, et la dimension programmatique à dominante marxiste de la revue :
Je ne contestais pas davantage que la revue dût tracer une ligne d’orientation politique, mais le projet d’élaborer des thèses, qui couvrent l’ensemble des problèmes du mouvement ouvrier, me mettait mal à l’aise […] De l’enseignement de Merleau-Ponty, j’avais tiré la critique de toute prétention à occuper le lieu du savoir absolu ou à tenir un discours sur la totalité. En fait, cette critique aurait dû me mener plus loin dès ce moment-là, mais je m’efforçais de la concilier avec la pensée de Marx. Il m’importait beaucoup plus de découvrir chez Marx la dimension critique que d’en extraire une conception totale du monde qui permît d’assimiler l’histoire du XXème siècle [12].
14Si l’orientation de la revue mettait tant Lefort « mal à l’aise », c’est parce que cette ambigüité entre influence merleau-pontienne, d’une part, et inspiration marxiste, d’autre part, était avant tout la sienne. Encore particulièrement marquée par Marx, la pensée lefortienne de cette période cherche en quelque sorte à opérer une synthèse entre le projet critique marxien et la pensée de l’événement héritée de Merleau-Ponty, à préserver la pensée de Marx de toute crispation d’un savoir surplombant. L’éloignement progressif des théories marxiennes et la découverte de Machiavel constitueront deux symptômes simultanés et complémentaires de l’impossibilité d’une telle entreprise ; un troisième sera celui de la rupture définitive avec Socialisme ou Barbarie.
15Du reste, nous savons que cette rupture interviendra à l’occasion d’un événement précis : le coup d’État de De Gaulle en 1958. Dans l’explication qu’il en donnera plus tard, Claude Lefort notera que la discorde portait moins sur le sens à donner à l’événement que sur les conséquences qu’il avait pour la revue elle-même, les membres de Socialisme ou Barbarie croyant enfin réunies les conditions propices à l’instauration d’une nouvelle organisation politique. Comme il l’assènera dans une formulation lapidaire à L’Anti-Mythes : « je pense qu’ils ont perdu, alors, la notion du réel [13] ».
16En réalité, la nature de l’événement n’est ici que secondaire ; le coup d’État de De Gaulle, pour important qu’il soit dans l’histoire de la France de l’après-guerre, n’explique pas par lui-même la rupture entre Lefort et la revue. Mais il est caractéristique d’un moment de l’histoire de cette dernière, où se modifie irrémédiablement son positionnement intellectuel aux yeux du premier, où l’exigence d’un travail de pensée de la revue semble cesser tout à fait. C’est bien la position de surplomb qu’occupe la revue vis-à-vis de l’événement qui est ici mise en accusation par Lefort, comme elle l’était déjà lors de sa création. Le « mal-être » permanent de Lefort au sein de Socialisme ou Barbarie trouve ici son origine. Parce que la revue n’a cessé d’osciller entre réflexion théorique d’une part, menaçant ainsi de se couper du social qu’elle se proposait d’examiner, et pratique d’une pensée inscrite dans le flux du réel et soumise à ses variations d’autre part, Lefort n’a jamais pu s’y sentir pleinement à son aise. Et lorsque celle-ci a finalement abandonné toute exigence d’interprétation du réel pour basculer dans la construction d’un projet d’avant-garde politique, lorsqu’elle s’est détournée de l’exercice de la pensée véritable pour former une « direction » prétendant enseigner aux masses plutôt qu’apprendre à leur contact, la rupture était alors définitivement consommée.
17Cette « position de survol », discours refusant de faire l’expérience de sa vulnérabilité à l’épreuve des faits, que l’événement de 1958 vient définitivement entériner, est condamnée sans ambages par Lefort [14]. La tentative de penser l’expérience depuis son avènement, et non pas en position de surplomb, se trouvera ainsi régulièrement mise à mal tout au long des années d’investissement de Lefort dans la revue, notamment en raison des diverses influences que celle-ci subit [15]. Nous comprenons alors ce que la critique de ses camarades recouvre à ses yeux : perdre la notion du réel, c’est oublier la nature indéterminée de l’événement qui vient, c’est ne plus penser dans le présent, mais soumettre la nouveauté de l’événement à du déjà-connu, le défaire de sa radicale nouveauté pour chercher à s’en rendre – en vain – maître par le recours à une théorie totalisante.
18Si l’intention philosophique de Claude Lefort est une exigence, alors c’est sans doute celle qu’il formule ici et qui l’accompagnera tout au long de son œuvre : ne jamais perdre la notion du réel.
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20La critique de la pensée de surplomb, quoique présente dans toutes les réflexions de Lefort au cours des années Socialisme ou Barbarie, est particulièrement visible dans l’article intitulé « L’expérience prolétarienne », publié en décembre 1952 dans le numéro 11 de la revue et repris ensuite dans Éléments d’une critique de la bureaucratie [16]. Comme l’indique le titre, l’intention de Lefort y est manifeste. Au-delà du refus de la pensée d’en haut, il s’agit désormais de comprendre ce qui se joue ici et maintenant, de penser l’expérience à l’œuvre dans la chair du social, d’en rendre compte du mieux possible, d’en proposer une interprétation certes limitée et incomplète, mais à même l’événement, dans ses plis. Lefort cherche en effet à définir ce que pourrait être une « analyse concrète du prolétariat », pour essayer de combler « l’écart entre ce qui est vécu et ce qui est élaboré, transformé en thèse [17] ». L’article démontre ce qui constitue de ce point de vue l’approche la plus concrète pour le philosophe : « Au lieu d’examiner de l’extérieur la situation et le développement du prolétariat, on chercherait à restituer de l’intérieur son attitude en face de son travail et de la société et à montrer comment se manifestent dans sa vie quotidienne ses capacités d’invention ou son pouvoir d’organisation sociale [18] ».
21Pensée de l’intériorité du social plutôt que de l’extériorité, l’approche lefortienne se présente comme une méthode pour la revue elle-même et lui fixe comme objectif de recueillir les témoignages des ouvriers et de placer leurs expériences au cœur de son projet théorique. Penser et faire sont toujours à conjuguer ensemble, donnant ainsi à l’intellectuel le devoir de suspendre son élaboration théorique « à une interrogation, à un déchiffrement des rapports sociaux prolétariens qui devait impliquer les intéressés » et dont le groupe des contributeurs de Socialisme ou Barbarie « ne saurait prétendre qu’à cristalliser ce processus de connaissance [19] ». S’il est vrai que la tentative de Lefort d’imposer cette conception aux autres membres de la revue sera un échec, elle n’en demeure pas moins une formidable ligne de conduite pour toute pensée qui refuse de se placer en surplomb d’un réel en train de se produire.
22Pour autant, cette conception ne se réduit pas non plus à la restitution d’une expérience ou d’un témoignage. Il s’agit bien d’un travail d’interprétation de cette expérience, ou pour reprendre une expression lefortienne, d’une « mise en forme et en sens » de ces rapports sociaux. Ainsi que l’écrit Claude Lefort, un témoignage d’ouvrier reste déterminé par une situation de témoin : « raconter n’est pas agir et suppose même une rupture avec l’action qui en transforme le sens [20] ». Autrement dit, « ce n’est pas parce que l’on a pu observer les ravages que fait l’éloquence du théoricien auprès de ceux qui se laissent subjuguer pour comprendre, qu’on doit refuser toute relation qui témoigne d’une asymétrie entre les positions des interlocuteurs et tenir pour un signe d’agression l’usage de certains concepts, ou plus généralement d’un discours, d’un mode d’interrogation, dont la signification n’est pas immédiatement donnée [21] ».
23Il s’agit donc de trouver un équilibre précaire entre la pensée surplombante, qui juge de trop haut et risque de sombrer dans le déductivisme de l’idéologie, et la pensée immanente, collée au réel, prise dans l’action et ne pouvant s’en dégager.
24Telle serait alors la nature de la pensée véritable : prise dans une instabilité permanente, dans un écart irréductible entre l’intériorité et l’extériorité pures. En guise de conclusion à son article sur l’expérience prolétarienne, Lefort écrivait ainsi :
Qui opérera des rapprochements jugés significatifs entre telle ou telle réponse, révèlera au-delà du contenu explicite du document les intentions ou les attitudes qui l’inspirent, confrontera enfin les divers témoignages entre eux ? Les camarades de la revue Socialisme ou Barbarie ? Mais ceci ne va-t-il pas contre leur intention, puisqu’ils se proposent surtout par cette recherche de permettre à des ouvriers de réfléchir sur leur expérience ? […] Nous souhaitons qu’il soit possible d’associer les auteurs mêmes des témoignages à une critique collective des documents. De toute manière, l’interprétation, d’où qu’elle vienne, aura l’avantage de rester contemporaine de la présentation du texte interprété. Elle ne pourra s’imposer que si elle est reconnue exacte par le lecteur, celui-ci ayant la faculté de trouver un autre sens dans les matériaux qu’on lui soumet [22].
26Ainsi, si le travail d’interprétation consiste bien à partir des faits qui se produisent à essayer de les mettre en sens, il s’agit toujours de partir de l’expérience vécue, de se faire le « contemporain » de l’événement en train d’advenir. Dans son texte de rupture avec la revue, Lefort n’écrivait-il d’ailleurs pas que « la politique n’est donc pas à enseigner, elle est plutôt à expliciter comme ce qui est inscrit à l’état de tendance dans la vie et la conduite des ouvriers [23] », confirmant par là-même que c’est bien l’expérience qui règle la conduite de la pensée ? Faut-il dès lors s’étonner que les derniers mots de cet article, par lequel Lefort achève donc sa collaboration à Socialisme ou Barbarie, en appellent à la nécessaire « unité des expérience ouvrières [24] » ?
27Claude Lefort enracine sa pensée dans les sols mouvants de l’expérience et du réel, ces accidenti dont parlait Machiavel et qui obligent le penseur à toujours se réajuster au principe du changement. L’exigence d’une praxis de la pensée philosophique, par laquelle celle-ci fait l’épreuve d’une dissolution de tout principe de certitude et se découvre ainsi vulnérable, est en même temps sa condition de possibilité. C’est cette exigence que Claude Lefort ne pouvait plus mettre en œuvre au sein de Socialisme ou Barbarie et qu’il a donc cherché à recréer avec Informations et Liaisons ouvrières, un bulletin donnant la parole aux ouvriers afin de penser depuis leurs expériences vécues.
28Ainsi compris, l’écart dans lequel travaille la pensée n’est pas à proprement parler un entre-deux entre immanence et surplomb mais une brèche dans laquelle elle s’éprouve constamment [25]. Parce qu’il se risque à observer le présent de trop près plutôt que de le juger de trop haut, le philosophe renonce aussitôt « à l’idée qu’il y aurait dans les choses mêmes […] un sens tout positif, ou une détermination en soi promise à la connaissance […] et, en conséquence, (il se destine à) pointer dans les choses, dans l’histoire, dans la vie sociale ou les œuvres d’autrui, les discordances, les contradictions, les fractures qui sont signes de l’indétermination du sens et nous contraignent d’avancer à l’épreuve de l’impossibilité d’une clôture du savoir [26] ».
29Au fond, ce que découvre Claude Lefort durant ses années Socialisme ou Barbarie, à la suite de Merleau-Ponty et en anticipation de sa rencontre avec Machiavel, ce n’est pas tant le risque pour la philosophie de penser à même les faits que de chercher à les éluder. Philosopher, c’est ainsi interroger le présent et faire par là-même « le deuil du savoir », en apprenant que la pensée occupe un lieu par nature toujours instable, incertain et fragile, ouvert à l’indétermination de l’événement et soumis au principe du réel.
Notes
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[1]
Claude Lefort, Un homme en trop. Réflexions sur l’Archipel du Goulag, Paris, Éditions Belin, p. 16.
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[2]
Claude Lefort, Écrire. À l’épreuve du politique, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 1992.
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[3]
Claude Lefort, Sur une colonne absente. Écrits autour de Merleau-Ponty, « Préface », Paris, Éditions Gallimard, 1978, p. XV.
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[4]
Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Éditions Gallimard, Paris, 2008. Cette étude magistrale sur l’œuvre de Machiavel rend compte de cette volonté moderne de philosopher depuis le réel en train de se faire, rompant ainsi avec l’idéalisme politique des Anciens. De fait, on doit à Claude Lefort d’avoir mis en évidence que toute la pensée de Machiavel, aussi bien dans Le Prince que dans les Discours sur la première décade de Tite-Live, peut s’interpréter comme tentative de penser l’action philosophique et politique à partir de l’épreuve du présent. Il découvre chez Machiavel une certaine attitude vis-à-vis du présent, une pratique qui interroge l’ici et maintenant, une attention toute particulière à la nouveauté, à l’événement et à sa contingence. Cette interprétation du présent nous conduirait dès lors à remettre en cause l’affirmation de Michel Foucault, qui, dans sa lecture du Qu’est-ce que les Lumières ? de Kant, fait de ce dernier le premier philosophe à formuler un diagnostic du présent, à faire surgir la question du présent comme problème philosophique. Le Machiavel de Lefort infirme ce propos ; avant Kant, il y eut Machiavel.
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[5]
Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre I, chapitre 32, Paris, Éditions Gallimard, p. 163.
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[6]
Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, op.cit., p. 58.
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[7]
À ce sujet, voir la Préface de Claude Lefort à son livre Éléments d’une critique de la bureaucratie, Paris, Éditions Gallimard, 1979, p. 7-28 : Lefort y retrace son parcours intellectuel, et notamment son détachement de la revue Socialisme ou Barbarie, qu’il inscrit dans un processus plus large d’éloignement des thèses de Marx et l’élaboration d’une critique de la bureaucratie communiste.
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[8]
Olivier Mongin, « Un parcours politique, Du cercle des idéologies au cercle des croyances », in La Démocratie à l’œuvre. Autour de Claude Lefort, (sous la dir. de Claude Habib et Claude Mouchard), Paris, Éditions Esprit, 1993, p. 137-150.
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[9]
C’est sous le pseudonyme de Claude Montal que Lefort a écrit tous ses articles de la revue.
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[10]
Claude Lefort, « Entretien avec L’Anti-Mythes », n° 14, 1975, in Le Temps présent, Paris, Éditions Belin, 2007, p. 230.
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[11]
Ibid., p. 228-229.
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[12]
Ibid., p. 229.
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[13]
Ibid., p. 233.
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[14]
Olivier Mongin, « Un parcours politique, Du cercle des idéologies au cercle des croyances », in La Démocratie à l’œuvre. Autour de Claude Lefort, op. cit., p. 143.
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[15]
L’arrivée notamment des « camarades bordiguistes », au premier rang desquels Véga, au sein de la revue, leur conception d’un marxisme dogmatique et leur volonté d’orienter le groupe vers une forme organisationnelle, comme le souhaitait Castoriadis, accentua pour Lefort cette impression de décalage insurmontable qui devait le conduire à abandonner la revue.
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[16]
Claude Lefort, Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 71-97.
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[17]
Ibid., p. 83.
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[18]
Ibid., p. 84. Je souligne.
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[19]
Claude Lefort, Entretien avec l’Anti-Mythes, op. cit., p. 230. Je souligne.
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[20]
Claude Lefort, Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 90.
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[21]
Claude Lefort, « Entretien avec L’Anti-Mythes », op. cit., p. 244.
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[22]
Claude Lefort, Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 96-97.
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[23]
Claude Lefort, « Organisation et Parti », in Éléments d’une critique de la bureaucratie, op. cit., p. 104.
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[24]
Ibid., p. 113.
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[25]
Sur la notion de « brèche » et la relation à l’événement historique, voir Claude Lefort, Edgar Morin, Cornelius Castoriadis, Mai 68, La brèche, Paris, Éditions Fayard, 1988.
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[26]
Claude Lefort, Les Formes de l’histoire, Paris, Éditions Gallimard, 1978, p. 12-13. Je souligne.