Sartre contre Lefort. De quoi l’expérience prolétarienne est-elle le nom ?
1Le début de la guerre froide marque la fin de la première période triomphante des Temps Modernes et plonge la revue dans une crise dont elle mettra plusieurs années à sortir. S’il existe un accord tacite sur la nécessité de repenser la stratégie générale de la revue, les divergences et tensions apparaissent cependant à propos de la nouvelle stratégie à adopter – provoquant de nombreux départs, dont le plus célèbre est celui de Merleau-Ponty, directeur politique de la revue. C’est à cette occasion qu’a lieu un affrontement vigoureux entre Jean-Paul Sartre et Claude Lefort, à la fois membre du groupe « Socialisme ou Barbarie » et de la rédaction des Temps Modernes, mais aussi un proche de Merleau-Ponty. Cet affrontement laissera des traces chez les deux protagonistes. Sartre, de son côté, fera un récit relativement dépassionné du conflit en 1960 [1], mais se refusera toujours de donner le moindre crédit politique et théorique à « Socialisme ou Barbarie » ou à Lefort [2]. Quant à ce dernier, son hostilité à l’égard de Sartre est tenace : les dénonciations de Sartre émaillent ses livres et articles, et jouent un rôle certain dans la nouvelle doxa anti-sartrienne qui se construit dans le paysage intellectuel français à partir des années quatre-vingt – hostilité qui conduit même Lefort, peut-être par lapsus, à des affirmations fausses sur le compte de Sartre [3].
2Nous nous proposons de revenir sur cet affrontement, afin d’en dégager les enjeux sous-jacents ainsi que les thèmes en débat – en insistant plus particulièrement, dans le cadre de cet article, sur les critiques que formule Sartre à l’égard de Lefort.
1 – Un affrontement multidimensionnel
3Rappelons tout d’abord la chronologie de l’affrontement qui s’étend de 1952 à 1954. Le point de départ se situe en 1952 avec les deux premières livraisons des « Communistes et la paix » de Sartre [4], dont Claude Lefort formule en avril 1953 une critique dans « Sartre et le marxisme [5] », texte auquel fait suite, dans le même numéro des Temps Modernes, la réplique de Sartre, « Réponse à Claude Lefort [6] ». Claude Lefort écrira ensuite du Brésil une longue lettre datée de juin 1953, « De la Réponse à la question [7] », publiée en 1954 dans la rubrique « Correspondance » : Sartre fait alors suivre ce texte d’une brève note indiquant succinctement les raisons pour lesquelles il trouve inutile de poursuivre les échanges [8].
4L’affrontement est en premier lieu à comprendre à partir des tensions qui traversent la revue Les Temps Modernes. Après les premières années triomphantes des Temps Modernes, où la revue a mis au premier plan la figure de l’intellectuel engagé refusant de se soumettre à la ligne du Parti communiste et a même pensé trouver un débouché politique dans l’éphémère Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), le début de la guerre froide marque un coup d’arrêt de cette stratégie et exige que la revue trouve le moyen de se donner un nouvel élan. Deux grandes positions s’affrontent : d’une part celle du directeur politique de la revue, Merleau-Ponty, qui souhaite que Les Temps Modernes se mettent en retrait par rapport aux ambitions de 1945 et cessent d’intervenir, en tant que revue, pour rendre compte de l’actualité politique immédiate et pour l’interpréter [9] ; à l’inverse, une nouvelle jeune équipe menée notamment par Claude Lanzmann et Marcel Péju souhaite que la revue s’engage davantage sur le terrain politique et prenne plus ouvertement parti dans la guerre froide pour le camp communiste. La tension extrême qui règne dans la revue depuis le début de la guerre de Corée et qui s’exerce en particulier sur son directeur Jean-Paul Sartre se reflète dans la tonalité pessimiste des textes de Sartre de cette époque, Le Diable et le bon Dieu ou dans la conclusion de Saint Genet. À partir de 1952, Sartre s’oriente finalement vers un rapprochement avec le PCF. L’événement décisif est l’arrestation de Jacques Duclos, secrétaire du PCF, le 28 mai 1952, dans l’affaire des dits « pigeons voyageurs » : Sartre écrit alors « Les Communistes et la paix » pour prendre ouvertement la défense du PCF, craignant une interdiction du PCF et le durcissement autoritaire des régimes occidentaux (alors que le maccarthysme sévit aux États-Unis [10]). L’équilibre jusqu’alors savamment orchestré au niveau de la revue entre articles pro-communistes et non communistes bascule en faveur des premiers (et cela jusqu’en 1956) – d’où la tension entre Sartre et Merleau-Ponty, et le départ de ce dernier.
5L’un des moments décisifs de cette réorganisation de la revue est la polémique entre Lefort et Sartre. En effet, guère satisfait de la prise de position de Sartre dans « Les Communistes et la paix », Lefort intervient vigoureusement contre Sartre lors d’une réunion de la rédaction. Sartre l’invite alors à écrire un texte pour la revue. Le texte est une charge violente contre Sartre, qui, au-delà d’une critique de ses idées, adopte une posture professorale en cherchant à montrer, d’un ton souvent ironique et moqueur, que Sartre ne comprend absolument rien au marxisme ni à la politique – déployant ainsi son talent de polémiste aguerri par dix ans de militantisme au sein de mouvements d’extrême gauche. Sartre réplique dans un article au ton lui-même sarcastique et agressif. Merleau-Ponty cherche à tempérer la situation, en faisant retirer certains passages des deux textes, mais les textes paraissent dans la revue en 1953. Merleau-Ponty tente notamment de convaincre Sartre qu’il n’est pas à l’origine du texte de Lefort, pourtant très proche théoriquement et même stylistiquement de son ancien professeur – mais l’affrontement apparaît comme un déplacement, un conflit de substitution à la « brouille qui n’a pas eu lieu [11] » (et peut-être même ce qui a permis de l’éviter).
6Lefort n’est pourtant pas le simple porte-parole anti-sartrien de Merleau-Ponty. Il a déjà montré qu’il ne partageait pas toujours les positions de son ancien professeur, comme en témoigne son article polémique de 1946 « Double et triple jeu. Réponse à Maurice Merleau-Ponty et à Pierre Hervé [12] » ou le fait que les articles qu’il fait paraître dans Les Temps Modernes sont souvent assortis de notes éditoriales rédigées par Merleau-Ponty et prenant ouvertement leur distance à l’égard des propos de Lefort [13]. D’autre part, Lefort est alors militant du groupe « Socialisme et Barbarie » et, bien que ses articles dans Les Temps Modernes ne soient pas ouvertement militants, ils reprennent une grande partie des thématiques du groupe : critique de la stratégie politique de Trotski [14], mais aussi de l’analyse trotskyste de l’URSS comme « état ouvrier dégénéré », pour la présenter, au contraire, comme une nouvelle société d’exploitation (comme on le voit dans ses articles sur Kravchenko et Ciliga [15]). Lefort n’est pas le seul membre du groupe à intervenir dans la revue (Benno Sarel y publie également), et s’il agit certes pour son propre compte, il semblerait également que sa présence dans Les Temps Modernes soit vue comme un moyen d’interpellation et une tribune pour accéder à un public plus large et pour attirer l’attention sur le groupe « Socialisme ou Barbarie » et ses analyses [16] – à une époque où le reflux militant dans le groupe est particulièrement important (on ne compte plus qu’une dizaine de membres en 1952 [17]). Et cela en profitant du pluralisme affiché et pratiqué par Les Temps Modernes.
7Enfin, la dureté du ton adopté dans le conflit tient aussi au fait que les deux protagonistes se trouvent chacun dans une situation critique d’un point de vue à la fois théorique et politique. Ils ont certes une indéniable proximité théorique et politique : tous les deux cherchent en effet depuis la fin de la guerre à penser une certaine articulation entre marxisme et phénoménologie dans la perspective théorique d’un dépassement de l’opposition entre approche objectiviste et subjectiviste, et dans une perspective pratique ou politique d’une transformation révolutionnaire de la société – mais l’un des points de leur désaccord tient au fait qu’ils veulent tirer ce projet dans des directions qui apparaissent de plus en plus radicalement opposées. Sartre est engagé, depuis le début des années cinquante, dans un gigantesque effort pour penser contre lui-même (exigence dont il fait son mot d’ordre philosophique) et dans une entreprise de refondation théorique complète, au travers d’une confrontation serrée avec le marxisme en tant que théorie (il se plonge dans Marx et l’ensemble des auteurs de la tradition marxiste) et pratique (lui qui a toujours refusé tous les partis, se rapproche du PCF et fait l’expérience du mouvement communiste de l’intérieur) – refondation qui va le conduire à la Critique de la Raison dialectique. Or, il découvre notamment dans les critiques de Lefort l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir. Lefort, quant à lui, est en pleine hésitation à l’égard de son engagement dans « Socialisme ou Barbarie », où il représente une tendance minoritaire qui propose une critique de l’idée même de parti révolutionnaire – et il est pris dans un processus qui va le conduire progressivement à prendre ses distances puis rompre définitivement en 1958 avec l’activité révolutionnaire et le marxisme [18]. Ainsi le conflit entre Lefort et Sartre est-il celui de deux trajectoires individuelles prises dans des processus différents et contradictoires au sein des tensions politiques et théoriques des années cinquante.
2 – Ontologie sociale de la classe ouvrière
8Le conflit, bien que trouvant son origine dans la prise de position de Sartre à l’égard du Parti communiste, ne se déroule toutefois pas explicitement sur le terrain de la stratégie politique. Dans « Sartre et le marxisme », Lefort place le débat sur un terrain théorique et s’attaque à la théorie du prolétariat que présuppose la prise de position de Sartre. Selon Lefort, Sartre jugerait que la pluralité des individus composant le prolétariat ne pourrait recevoir leur unité et consistance en tant que classe que de l’action synthétique transcendante du Parti communiste [19] – de sorte que la disparition du Parti communiste conduirait à l’atomisation des travailleurs et à leur impuissance à mener une lutte contre leur exploitation et le capitalisme. À cette perspective, Lefort oppose l’idée que l’unité et la consistance du prolétariat en tant que classe se trouvent, au contraire, de manière immanente, dans ce qu’il appelle « l’expérience prolétarienne » ou « l’expérience ouvrière » – en reformulant alors à l’intention des lecteurs des Temps Modernes la théorie de l’expérience prolétarienne qu’il avait déjà présentée dans la revue Socialisme ou Barbarie [20]. Pour Lefort, ce qui fait l’unité et la continuité de la classe ouvrière dans le temps est l’unité d’une « expérience », c’est-à-dire la manière dont la classe ouvrière donne un sens aux conditions objectives dans les quelles elle est placée par le développement du capitalisme, aux événements de son histoire, ainsi qu’aux solutions imparfaites qu’elle a essayé d’inventer pour lutter contre et dépasser le capitalisme. Cette expérience supra-individuelle se donne comme « progrès d’auto-organisation », c’est-à-dire comme prise de conscience progressive du fait que toutes les formes de représentation que le prolétariat se donne sont toujours des aliénations, et comme expérience cumulative permettant d’apprendre de ses échecs et de se rapprocher du moment où la classe ouvrière pourra elle-même assumer la direction d’une société libérée du capitalisme. Une telle expérience se fait donc indépendamment des partis et institutions qui prétendent l’incarner, et en grande partie contre ceux-ci.
9L’enjeu politique de l’analyse est de montrer non seulement l’inutilité des partis (l’expérience ouvrière n’a pas besoin d’un parti pour se poursuivre) mais aussi leur caractère nuisible (ils inhibent et empêchent le développement du prolétariat), et c’est la raison pour laquelle Lefort accueille comme un signe positif ce qu’il estime être un détachement progressif des ouvriers à l’égard du Parti communiste depuis 1947. L’autonomie ouvrière ainsi défendue par Lefort s’oppose certes au PCF, mais aussi plus immédiatement à l’idée de parti révolutionnaire auquel restent attachés non seulement le mouvement trotskyste, mais aussi la tendance majoritaire de « Socialisme ou Barbarie » animée par Castoriadis [21].
10La réponse de Sartre, qui suit immédiatement l’article de Lefort dans le numéro des Temps Modernes, se place sur le même terrain théorique que ce dernier et se présente principalement comme une critique de la notion « d’expérience prolétarienne ». Examinant cette notion d’un point de vue d’ontologie sociale, Sartre diagnostique qu’elle repose sur une forme d’hégélianisme implicite et non interrogé. En effet, la première question que pose Sartre à la conception de Lefort est celle du sujet de cette expérience : « Expérience de qui ? Qui est sujet ? Expérience de quoi [22] ? ». Si l’idée d’une expérience cumulative a un sens indéniable lorsqu’on a affaire à un sujet individuel, quel sens peut-elle avoir lorsqu’on parle d’une entité supra-individuelle comme la classe ouvrière ? Il faut nécessairement présupposer une unité et une continuité qui transcende les individus qui la composent tout en les nourrissant d’un passé cumulé qu’ils n’ont pas vécu. Or, pour être cohérent, il faudrait donc affirmer l’existence d’une entité subjective supra-individuelle. Ainsi, pour refuser de reconnaître l’action effective du Parti dans l’unification de la classe, Lefort serait contraint de présupposer implicitement l’existence d’une entité métaphysique qu’il appelle « expérience prolétarienne » et qui n’est qu’un autre nom de « l’Esprit » hégélien.
11Mais, l’hégélianisme implicite de Lefort s’exprime également, selon Sartre, dans sa conception de l’histoire. Comme chez Hegel, l’expérience prolétarienne est une histoire cumulative conçue sous la forme d’un progrès : l’expérience prolétarienne s’extériorise dans différentes institutions (syndicats, partis), toujours imparfaites, mais dont l’échec est d’abord un apprentissage, et, cela jusqu’au moment où elle prend conscience du fait qu’elle est à elle-même son propre pouvoir représentatif et se trouve ainsi réconciliée avec elle-même. Comme dans une certaine forme d’hégélianisme, l’ensemble de la négativité, des souffrances, des contradictions et des conflits dans l’histoire, se trouve finalement résorbé en une positivité et comme simples « moments » d’une histoire téléologique permettant la réalisation de l’Esprit [23] – dans une sorte de gigantesque théodicée prolétarienne.
12Pour Sartre, la notion d’expérience prolétarienne est donc une notion métaphysique qui empêche de développer une véritable compréhension du processus de constitution des classes sociales. Un point de départ méthodologique rigoureux doit refuser de tels présupposés théoriques : la véritable difficulté pour l’ontologie sociale est en effet de comprendre comment il peut y avoir des effets supra-individuels des classes sociales, comment il peut y avoir ces quasi-entités comme des classes ou des processus, sans jamais pouvoir concevoir celles-ci ni sur le modèle d’un objet ni sur celui d’un sujet. Certes, tout se passe par moments comme s’il y avait quelque chose comme une expérience supra-individuelle prolétarienne, mais l’enjeu d’une analyse marxiste sérieuse doit être d’en comprendre le fonctionnement et non d’hypostasier cette impression subjective en entité métaphysique.
13La « Réponse à Lefort » de Sartre constitue ainsi l’un des jalons essentiels au cours desquels Sartre repense son approche du social et qui va le conduire à l’ontologie sociale qu’il présentera en 1960 dans la Critique de la Raison Dialectique. L’enjeu est de décrire la structure et la constitution d’une classe sociale dans toute sa complexité. Or, ce que Sartre met en lumière est que les « entités sociales » concrètes comme les classes doivent toujours être comprises comme des totalisations complexes recouvrant des statuts ontologiques différents et en transformation permanente : il s’agit de l’unité mouvante d’une forme d’atomisation qui caractérise toute entité sociale (qu’il appellera « série »), de formes fortement intégrées se rapprochant de la consistance d’un sujet sans jamais l’atteindre (qu’il nommera « groupe ») et de formes institutionnelles assurant notamment la permanence temporelle d’un rassemblement d’individus autour de certains objectifs (et dans lesquels il faut ranger les partis politiques et les syndicats). Contre l’illusion du spontanéisme qu’il critique dans la deuxième livraison des « Communistes et la paix » et de nouveau dans sa « Réponse à Lefort », Sartre affirme l’importance essentiel des médiations dans la constitution de n’importe quelle entité sociale. Selon lui, si « aujourd’hui les masses ont besoin du Parti [communiste] », c’est parce qu’elles ont besoin d’une médiation institutionnelle afin d’assurer leur unification et leur communication et que seul le Parti communiste et ses multiples institutions peuvent la leur offrir dans la situation présente [24].
14Mais plus fondamentalement, toute classe avec ses trois dimensions est toujours en relation avec d’autres classes et engagée dans une lutte où chaque classe essaie d’agir sur l’autre en ayant une action particulière en direction des trois dimensions de la classe adverse – et notamment en essayant d’isoler la masse des individus appartenant à cette classe des groupes et institutions qui prétendent les représenter et qui leur permettent de lutter. C’est ce que négligerait tout à fait Lefort : selon Sartre, Lefort fait disparaître la lutte des classes [25] et présente le développement du prolétariat comme la réalisation progressive de son autonomie, laquelle n’est en rien déterminée par son affrontement avec la classe adverse (l’affrontement n’est tout au plus qu’une occasion d’actualiser tel ou tel aspect déjà contenu dans la classe). L’élément fondamental que néglige Lefort est, selon Sartre, le caractère relationnel d’une classe : la structure et la constitution d’une classe sociale sont indissociables de la lutte des classes, dans la mesure où chaque classe agit sur l’autre et se réorganise elle-même en fonction des impératifs de la lutte [26].
15C’est en s’appuyant sur une telle analyse que Sartre considère qu’un affaiblissement du PCF et plus encore le risque d’interdiction du PCF, constituent une menace grave pour la classe ouvrière. Comme le rappelle Merleau-Ponty, la priorité de Sartre n’est pas tant la question de l’URSS, mais celle de la classe ouvrière en France [27]. Or l’interdiction du PCF prive la classe ouvrière de l’institution nécessaire pour assurer sa structure, son unité et sa consistance en tant que classe, et donc des moyens de mener une lutte des classes contre l’exploitation et le capitalisme. La disparition des partis ne produira que la dispersion et la démoralisation, rendant impossible toute lutte concertée.
3 – Qui est Claude Lefort ?
16À cette discussion théorico-politique, Sartre ajoute cependant une charge polémique ad hominem : « Mais vous, Lefort, qui êtes-vous ? où êtes-vous [28] ? ». Cette interpellation directe, qui revient périodiquement tout au long du texte de Sartre, doit être comprise en un sens épistémologique et en un sens politique.
17L’interpellation se veut tout d’abord un rappel épistémologique. Lefort prétend être en mesure de décrire « l’expérience prolétarienne » en mettant au jour son sens véritable. Mais ce sens n’est pas exactement celui qui apparaît dans la conscience ouvrière, dont la « connaissance [est] ordinairement implicite, plutôt “sentie” que réfléchie, et fragmentaire [29] », mais il se présente comme cette connaissance reformulée, condensée et ressaisie par le militant enquêteur – l’interprétation étant ensuite validée par le travailleur en tant qu’il se reconnaît en elle. Or une telle configuration ne diffère pas autant que ne le pense Lefort de la manière dont le Parti communiste envisage son propre rapport à la classe ouvrière, à savoir comme organe à même de présenter aux ouvriers la vérité de ce qu’ils pensent et désirent sans pouvoir le formuler – et dans laquelle l’ouvrier se reconnaît a posteriori. Sartre demande donc à Lefort ce qui lui permet d’affirmer que son interprétation, lui qui est un intellectuel petit-bourgeois faisant partie d’un groupe fort d’une dizaine de personnes, composé d’un unique ouvrier et dans lequel se reconnaissent à peine quelques dizaines d’ouvrier, est supérieure à l’interprétation d’un Parti dont la direction est, à l’inverse, en grande partie composée sociologiquement d’ouvriers, dont des centaines de milliers d’ouvriers sont membres et dans lequel des millions d’ouvriers se reconnaissent. « Comment pouvez-vous nous parler de l’expérience de cette classe ouvrière [30] ? » Ici encore, Lefort serait, selon Sartre, un hégélien qui s’ignore et se placerait du côté d’un détenteur d’un Savoir Absolu [31].
18L’exigence de situer son propre discours est une exigence constante de Sartre depuis la Libération et il la maintiendra tout au long de son parcours intellectuel. Ce n’est qu’en comprenant pleinement sa propre « situation » que l’écrivain ou l’intellectuel est à même d’intervenir et de prendre position dans le débat politique. Lefort, quant à lui, refuserait de se situer, c’est-à-dire d’éclairer le lieu d’où il parle, et en vient alors à croire qu’il peut parler au nom du prolétariat et dévoiler sa vérité [32]. Sartre adressera, plus largement, ce reproche au marxisme, puisque l’une des failles de ce qu’il appelle le « matérialisme historique transcendantal » ou « du dehors » est précisément d’historiciser tous les discours sauf le sien et d’être incapable de rendre raison à la fois de son inscription historique et de la valeur de vérité du marxisme [33]. L’entreprise de reprise du marxisme dans laquelle se lance Sartre au cours des années cinquante est précisément de fonder la vérité du marxisme tout en acceptant son caractère situé – l’enjeu central de la Critique de la Raison dialectique étant de déployer ce qu’il nomme une « expérience critique » (expérience vécue de l’intérieur et non interprétée de l’extérieur), qui serait à même de mettre au jour la transformation du marxisme à l’œuvre dans le processus de déstalinisation alors en cours.
19Mais cette interpellation n’est pas seulement un rappel méthodologique : elle vise Lefort en tant qu’individu. Sartre aborde en effet la polémique intellectuelle en boxeur et sait identifier les faiblesses de son adversaire et le lieu où ses coups pourront porter [34]. C’est ce qu’il fait avec Lefort. La question : d’où parle Lefort est en effet une question qui n’est pas du tout résolue par Lefort à cette époque. Le début des années cinquante est pour lui une époque d’incertitude et de doute. D’un point de vue professionnel, il a enseigné comme professeur de philosophie au lycée à Nîmes et à Reims, et cherche à trouver un poste académique à l’université – dans un effort que Sartre caractérise comme celui de s’ancrer dans la bourgeoisie intellectuelle [35]. Assistant de Georges Gurvitch à la Sorbonne en 1951, il contribue régulièrement aux Cahiers internationaux de sociologie que ce dernier dirige, et cherche souvent, par des prises de positions polémiques (par exemple contre Lévi-Strauss [36]), à trouver une position dans le champ intellectuel de l’après-guerre ; c’est ensuite grâce à l’appui de Raymond Aron qu’il est détaché en 1952 à la section de sociologie du CNRS. D’un point de vue politique, ses années de militantisme politique actif au sein du PCI principalement semblent derrière lui, et il participe peu à l’activité proprement militante du groupe « Socialisme ou Barbarie » – se mettant même périodiquement en retrait du groupe pendant ces années. Dans son entretien de 1975 pour la revue Anti-mythe, Lefort reconnaît qu’il éprouvait alors des doutes sur son militantisme et sur le marxisme, mais qu’il n’arrivait pas entièrement à se les avouer ou du moins n’osait pas entièrement les exprimer avant sa rupture théorique et politique avec le marxisme en 1958. Ainsi le sociologue Philippe Gottraux a-t-il pu prendre la trajectoire de Claude Lefort, et plus généralement l’ensemble des membres de Socialisme ou Barbarie, pour faire une étude du processus de désengagement des militants et du réinvestissement, pour certains, de leur capital militant dans le domaine académique [37].
20Dans sa charge polémique contre Lefort, Sartre affirme que Lefort cherche à justifier son évolution personnelle par des analyses qui prétendent avoir une valeur générale et objective. Parce qu’il ne veut plus militer activement dans un parti politique, il dénonce l’idée même de parti politique et d’intervention politique ; parce qu’il veut faire des enquêtes sociologiques, il affirme que « la question primordiale devient celle de clarifier cette expérience [prolétarienne] et de l’aider à se développer, non de chercher à remplacer le parti actuel par un autre parti qui, imposé du dehors, aurait nécessairement les mêmes traits [38] ». Sartre ne reproche pas à Lefort son « abstention [39] », pas plus qu’il ne reproche à Merleau-Ponty sa volonté de ne plus intervenir immédiatement dans l’actualité politique ; il leur fait le reproche de vouloir justifier objectivement leur évolution subjective et personnelle. Ainsi écrit-il à Merleau-Ponty :
Que tu te retires de la politique (enfin de ce que nous, intellectuels, appelons politique), que tu préfères te consacrer à tes recherches philosophiques, c’est un acte à la fois légitime et injustifiable. Je veux dire : il est légitime si tu ne cherches pas à le justifier. Il est légitime s’il demeure une décision subjective qui n’engage que toi et que nul n’a le droit de te reprocher. […] Mais si, au nom de ce geste individuel, tu discutes l’attitude de ceux qui demeurent sur le terrain objectif de la politique et qui essaient, tant bien que mal, de se décider pour des motifs objectivement valables, tu deviens à ton tour justifiable d’une appréciation objective. Tu n’es plus celui qui dit : je ferais mieux de m’abstenir ; tu es celui qui dit aux autres : il faut s’abstenir [40].
22Ainsi Sartre termine-t-il son texte de réponse à Lefort en rappelant à ce dernier les critiques qu’il adressait autrefois à Merleau-Ponty et en suggérant la proximité de leurs positionnements actuels [41]. Refusant de distinguer ce qui relève de la lassitude individuelle à l’égard du militantisme et de la politique, de ce qui relève d’une exigence objective d’une situation, une telle démarche voudrait entraîner tout le monde dans sa propre trajectoire et en vient à entraver l’action de ceux qui n’éprouvent pas cette lassitude et veulent continuer le combat. Sartre relève que l’argumentation de Lefort pourrait ainsi être utilisée par n’importe quel membre de la bourgeoisie et du patronat, puisqu’il s’agit d’un argumentaire visant à délégitimer toutes les institutions (partis et syndicats) ainsi que les individus cherchant à intervenir dans la lutte des classes. D’où l’affirmation polémique : « si j’étais “jeune patron”, je serais lefortiste : avec votre interprétation, vous jetez les bases d’un marxisme pour tous [42] ». Pour Sartre, il s’agit de rappeler Lefort aux conséquences de son discours et aux effets de son affirmation de l’autonomie ouvrière comme du spontanéisme, du point de vue de l’action politique.
Conclusion
23Le débat de 1952-1954 laissera des traces importantes chez chacun des deux auteurs. Pour Lefort, au-delà la rancune personnelle bien compréhensible qu’il gardera à l’égard de Sartre et de l’hostilité plus générale qu’il manifestera à l’égard de ceux qu’il appelle les « intellectuels progressistes [43] », cet affrontement sera une étape importante, d’un point de vue théorique et politique, dans la trajectoire qui le conduira à quitter le marxisme. On remarque en effet, par la suite, la disparition du terme « d’expérience prolétarienne » et, dans sa théorie de la démocratie, la reconnaissance de la conflictualité inhérente et indépassable de l’espace social et politique – phénomènes qui ne sont peut-être pas sans lien avec la violente critique que formule Sartre contre lui [44].
24Du côté de Sartre, les critiques de Lefort l’ont conduit à repenser les fondements théoriques de ses prises de positions initiales contenues dans les deux premières livraisons des « Communistes et la paix » et à approfondir son appropriation du marxisme, notamment en direction d’une ontologie sociale. C’est ce qui explique sans doute le fait que Sartre ait pris le temps de développer une aussi longue réponse à Lefort – l’enjeu n’étant pas seulement circonstanciel, mais celui d’une clarification théorique – alors qu’il ne répliquera ni à la réponse de Lefort à son propre texte, ni au texte de Castoriadis publié dans Socialisme ou Barbarie [45], ni à la nouvelle relance du débat par Merleau-Ponty dans Les Aventures de la dialectique. On pourrait en effet se demander si ce texte de Sartre ne constitue pas déjà une réponse aux Aventures de la dialectique de Merleau-Ponty, avant qu’il ne reprenne l’ensemble de ces questions de manière bien plus approfondie dans la Critique de la Raison dialectique.
Notes
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[1]
J.-P. Sartre, « Merleau-Ponty », Situations IV. Portraits, Paris, Éditions Gallimard, 1964, p. 257.
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[2]
Lorsque Michel Contat l’interroge sur Socialisme ou Barbarie, Sartre refuse de leur donner raison et déclare « Mais ce n’était qu’un petit machin de rien du tout ! […] Ce n’est pas parce que je juge aujourd’hui le Parti comme eux le jugeaient à l’époque que leurs raisons sont nécessairement bonnes. » (« Autoportrait à soixante-dix ans », in Situations X. Politique et autobiographie, Paris, Éditions Gallimard, 1976, p. 182-184).
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[3]
Ainsi, par exemple, dans la chronologie qu’il rédige pour les Œuvres de Merleau-Ponty dans la collection « Quarto », Lefort écrit-il que « Sartre approuvera l’intervention soviétique en Hongrie » (p. 60), ce qui est tout à fait faux. En 1958, il affirmait simplement que sa condamnation explicite de l’intervention russe et sa défense de l’insurrection hongroise faisait objectivement le jeu des communistes (cf. Lefort, « La méthode des intellectuels progressistes », in Socialisme ou Barbarie, n° 23, janvier-février 1958 ; repris dans Éléments d’une critique de la bureaucratie [ECB], Paris, Éditions Gallimard, 1979, chap. VIII, notamment p. 250-268).
-
[4]
Les Temps Modernes, n° 81, juillet 1952 ; n° 84-85, octobre-novembre 1952 ; textes repris in Situations VI. Problèmes du marxisme, 1, Paris, Éditions Gallimard, 1964, p. 80-152 et p. 152-253.
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[5]
C. Lefort, « Sartre et le marxisme », in Les Temps Modernes, n° 89, p. 1540-1570 ; repris dans la première édition d’Éléments d’une critique de la bureaucratie (1971), mais supprimé de la seconde (1979).
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[6]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », in Les Temps Modernes, n° 89, avril 1953, p. 1571-1629 ; repris in Situations VII. Problèmes du marxisme, 2, Paris, Édition Gallimard, 1965, p. 7-93.
-
[7]
C. Lefort, « De la réponse à la question », in Les Temps Modernes, n° 104, juillet 1954, p. 157-184 ; repris dans la première édition d’Éléments d’une critique de la bureaucratie (1971), mais supprimé de la seconde (1979).
-
[8]
« Sur les problèmes précis que j’avais étudiés dans ma réponse à Lefort, cette lettre n’apporte rien de nouveau. Quant aux autres questions qu’elle pose, et aux inquiétudes qu’elle exprime, la suite des Communistes et la paix y répondra d’elle-même. » (Note de Jean-Paul Sartre, in Les Temps Modernes, n° 104 juillet 1954, p. 184). La troisième livraison des Communistes et la paix est publiée in Les Temps Modernes en avril 1954 (n° 101 ; repris in Situations VI. Problèmes du marxisme, 2, p. 253-384).
-
[9]
« J’ai décidé, depuis la guerre de Corée, […] de ne plus écrire sur les événements à mesure qu’ils se présentent. Cela pour des raisons qui tiennent à la nature même de cette période et pour d’autres raisons qui sont permanentes. » (M. Merleau-Ponty, « Lettre à Sartre », 8 juillet 1953, Parcours deux. 1951-1961, Lagrasse, Éditions Verdier, 2000, p. 145-148).
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[10]
Sur les circonstances de la rédaction du texte, voir notamment J.-P. Sartre, « Merleau-Ponty », SIV, p. 244-257 et A. Cohen-Solal, Sartre 1905-1980, Paris, Éditions Gallimard, 1999, « Des pigeons et des chars », p. 555-561.
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[11]
J.-P. Sartre, « Merleau-Ponty », SIV, p. 189.
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[12]
C. Lefort, « Double et triple jeu. Réponse à Maurice Merleau-Ponty et à Pierre Hervé », in Jeune Révolution. Revue des étudiants communistes internationalistes, n° 2, 1946.
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[13]
Cf. par exemple Les Temps Modernes, n° 29, février 1948, p. 1516.
-
[14]
C. Lefort, « La contradiction de Trotsky et le problème révolutionnaire », in Les Temps Modernes, n° 39, décembre 1948-janvier 1949 [repris dans ECB, chap. I].
-
[15]
C. Lefort, « Kravchenko et le problème de l’U.R.S.S. », in Les Temps Modernes, n° 29, février 1948 [repris dans ECB, chap. V] ; « Le témoignage d’Anton Ciliga », in Les Temps Modernes, n° 60, octobre 1950 [repris dans ECB, chap. VI].
-
[16]
Sur la stratégie de « Socialisme ou Barbarie » à l’égard des Temps Modernes, voir notamment P. Gottraux, Socialisme ou Barbarie. Un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Lausanne, Éditions Payot, 1997, Partie II, chap. 3, p. 256-267.
-
[17]
Cf. P. Gottraux, op. cit., Partie I, chap. 3 « 1951-1952. Les basses eaux », p. 47-53.
-
[18]
Cf. C. Lefort, « Organisation et parti. Contribution à une discussion », in Socialisme ou Barbarie, n° 26, novembre-décembre 1958 ; repris dans ECB, chap. IV.
-
[19]
C. Lefort, « Sartre et le marxisme », p. 1542-1543.
-
[20]
Voir notamment « Le prolétariat et le problème de le direction révolutionnaire », in Socialisme ou Barbarie, n° 10, juillet-août 1952 et « L’expérience prolétarienne », in Socialisme ou Barbarie, n° 11, novembre-décembre 1952 [les deux articles sont repris dans ECB, chap. II et III]. J.-P. Sartre connaît ces articles et cite explicitement le premier dans sa réponse à C. Lefort.
-
[21]
Cf. par exemple « La direction prolétarienne », in Socialisme ou Barbarie, n° 10, juillet-août 1952.
-
[22]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 50.
-
[23]
J.-P. Sartre ironise sur ce point notamment en reprenant les termes de Jean Hyppolite : le « pantragicisme » finit par se résorber en « panlogicisme » (J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 15).
-
[24]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 10.
-
[25]
« Dans tout votre exposé, on le sent brusquement, quelque chose manque. […] J’y suis : ce qui manque, c’est la lutte des classes. » (J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 13 et 15).
-
[26]
J.-P. Sartre insiste alors notamment sur la dimension de passivité de la classe (en formulant contre Lefort un reproche que lui fera ensuite M. Merleau-Ponty).
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[27]
« Au fond, il me semble que ce que J.-P. Sartre ne voulait pas, c’est que la classe ouvrière fût mise hors circuit » (M. Merleau-Ponty, Entretiens avec Georges Charbonnier et autres dialogues, 1946-1959, Lagrasse, Éditions Verdier, 2016, p. 229).
-
[28]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 19.
-
[29]
C. Lefort, « L’expérience prolétarienne », ECB, p. 85.
-
[30]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 21.
-
[31]
« Vous qui vivez comme moi sur les revenus du capital et dont l’activité demeure improductive, vous n’avez le droit de nous éclairer sur la subjectivité ouvrière que si vous êtes Hegel et qu’elle est l’Esprit » (J.-P. Sartre, « Réponse à C. Lefort », SVII, p. 22).
-
[32]
« Vous ne voulez pas du tout qu’on vous situe : vous perdriez le Savoir. Votre situation vous enseignerait ce que vous n’êtes pas (Vous n’êtes pas Hegel. Vous n’êtes pas Marx. Ni un ouvrier. Ni le Savoir Absolu.) et ce que vous êtes (vous êtes un jeune intellectuel français remarquablement intelligent […]) » (J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 34).
-
[33]
Cf. J.-P. Sartre, Critique de la Raison dialectique, Introduction, A. « Dialectique dogmatique et dialectique critique ».
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[34]
Pour cette image, voir J. Cau, « Croquis de mémoire », in Les Temps Modernes, n° 632-634, juillet-octobre 2005, p. 12.
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[35]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », p. 13. J.-P. Sartre réitère ainsi les critiques que le dirigeant trotskyste Pierre Frank avait déjà formulées en 1949 à l’encontre de Lefort : « Il n’a jamais manqué d’intellectuels, plus ou moins fraîchement émoulus des universités bourgeoises, croyant que leurs diplômes leur permettaient de passer un trait de plume sur toute l’histoire du mouvement ouvrier, qui, après un court passage dans une organisation révolutionnaire, s’en allaient chercher une bonne petite place dans le monde bourgeois. […] Le dernier en date était C. Lefort. À peine sorti de ses classes de philosophie, il se trouve au-dessus des tâches élémentaires du militant, présenta de nouvelles analyses, découvrit le « pourrissement », compléta le marxisme et tout et tout. » (Pierre Frank, « Les mains sales », in La Vérité. Organe de défense des travailleurs, 2e quinzaine de février 1949, p. 2).
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[36]
C. Lefort, « L’échange et la lutte des hommes », in Les Temps Modernes, n° 64, 1951 ; repris dans Les Formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Éditions Gallimard, 1978, chap. 1, p. 21-45.
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[37]
P. Gottraux, op. cit., Partie II « Pour une sociologie d’un désengagement », p. 171-366.
-
[38]
C. Lefort, « Sartre et le marxisme », p. 1568.
-
[39]
C. Lefort, « Sartre et le marxisme », p. 1568.
-
[40]
J.-P. Sartre, « Lettre à Merleau-Ponty », juillet 1953, in M. Merleau-Ponty, Parcours deux, p. 134-135.
-
[41]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 92.
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[42]
J.-P. Sartre, « Réponse à Claude Lefort », SVII, p. 13.
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[43]
C. Lefort, « La méthode des intellectuels progressistes », in Socialisme ou Barbarie, n° 23, janvier-février 1958 ; repris dans ECB, chap. VIII. P. Gottraux remarque, quant à lui, qu’à partir de 1953 les sartriens deviennent la « première cible intellectuelle de Socialisme ou Barbarie » (cf. P. Gottraux, op. cit., p. 263-267).
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[44]
L’effet de cette critique peut être décelé dans l’article que C. Lefort publie en 1955 « L’aliénation comme concept sociologique » (in Cahiers internationaux de sociologie, n° 13 ; repris in Les formes de l’histoire, chap. 3, p. 78-112), dans lequel il critique un usage métaphysique et hégélien du concept d’aliénation appliqué à la compréhension de l’histoire.
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[45]
C. Castoriadis, « Sartre, le stalinisme et les ouvriers », in Socialisme ou Barbarie, n° 12, août 1953.